Département du Bui dans le NOSO : le préfet MENYONG Gilbert SUNDAY lance la saison de chasse à l'homme contre les enseignants
Dans une correspondance en date du 09 novembre 2021 portant le n°160/L/E.26/71 ou 79/105 adressée à tous les sous-préfets du Bui, M. MENYONG Gilbert SUNDAY, préfet dudit département, Région du Nord-ouest, porte contre les enseignants de son ressort de commandement des accusations graves, infamantes, inadmissibles.
Sur la base d’informations reçues par lui, et qu’il juge fondées puisqu’il les traite comme des vérités établies, faisant fi du coup de la présomption d’innocence, il affirme que « la plupart des enseignants qui n’ont pas pris leurs fonctions depuis le début de l'année scolaire 2021-2022, contribuent de l'argent et donnent aux combattants séparatistes pour les encourager à maintenir le statu quo de non reprise scolaire dans le Département[1] ». Ces enseignants sont donc, Monsieur le préfet en a la preuve certaine, passés du côté des séparatistes qu’ils soutiennent et financent pour déstabiliser l’une des plus importantes institutions de la République qui se trouve justement être celle confiée à leurs soins : l’école.
Passons sur la question des absences irrégulières que personne ne saurait approuver par ailleurs, et puisque par sa correspondance Monsieur le préfet choisit lui-même de déplacer le sujet sur le terrain du patriotisme. Pour M. MENYONG Gilbert Sunday, préfet du Bui, les enseignants de ce département sinistré par la guerre – en ne citant pas pour les distinguer ceux qu’il indexe de ceux qu’il exclut, il aboutit par son propos à amalgamer tous les enseignants en difficulté dans le Bui - sont par conséquent devenus des ennemis de la République qu’ils ont trahie ou trahissent. A ce titre, ils ne mériteraient pas seulement d’être suspendus de salaires, étant désormais passibles de poursuite devant les juridictions compétentes pour félonie ou forfaiture. Avant d’aller plus loin, il est bon de faire quelques rappels, à l’attention de M. MENYONG Gilbert SUNDAY préfet du Bui en particulier, mais également de tous ceux que sa rhétorique infamante peut avoir convaincus.
Dans ce conflit armé qu’ils n’ont pas choisi et qui se poursuit malgré les appels réitérés de leurs syndicats à user de la négociation pour y mettre un terme, non seulement les enseignants mais également leurs élèves sont sans aucun doute les seuls non professionnels de la guerre à y avoir le plus perdu. Pour d’autres catégories socioprofessionnelles, à une économie de paix s’est substituée une économie de guerre parfois plus juteuse encore. Quant aux enseignants et à leurs élèves, qu’ont-ils perdu ? En 2018-2019 dans la Région du Nord-ouest et selon des statistiques minorées, 287 élèves et 97 enseignants ont été kidnappés, torturés et libérés contre paiement de fortes rançons. 28 enseignants y sont décédés, directement assassinés ou des suites de tortures et affres diverses. Dans la même période, 428 établissements scolaires ont été attaqués, pillés totalement ou partiellement. En 2019-2020 malgré toutes les promesses de protection du gouvernement, dans les établissements scolaires qui ont bravé la menace pour rester ouverts, 24 élèves et 67 enseignants ont été kidnappés et torturés, 02 élèves assassinés et 36 enseignants ont perdu la vie, tués ou succombant des suites de tortures et traumatismes divers. 37 nouveaux établissements scolaires ont en plus été attaqués et pillés. En 2020-2021 dans la région du Sud-ouest, on dénombrait à peine 150 établissements scolaires du secondaires fonctionnels sur près de 409. Nous ne parlons même pas des élèves froidement assassinés en plein jour à Kumba, des dizaines d’enseignants de l’Université de Buea kidnappés, torturés et rançonnés, de l’engin qui a récemment explosé dans un amphithéâtre de l’université de Buea, blessant de nombreux étudiants. Et même dans la Région de l’Extrême-nord impactée par une toute autre crise et pâtissant des raids de Boko Haram, à la rentrée scolaire 2020-2021, on dénombrait 228 enseignants ayant abandonné leurs postes. Faut-il en conclure, suivant en cela la logique de Monsieur MENYONG Gilbert SUNDAY préfet du Bui, que dans le Sud-ouest, chefs d’établissements et enseignants ont massivement fait allégeance aux séparatistes et que dans l’Extrême-nord de nombreux enseignants ont pris la bannière noire de Boko Haram ? Faut-il conclure que tous ceux qui respectent les villes mortes dans le Nord-ouest et le Sud-ouest ont massivement pris faits et cause pour les séparatistes qu’ils soutiennent, financent et encouragent ?
Dans le même temps où l’école, les enseignants et leurs élèves ont subi et subissent autant, en infrastructures démolies et incendiées, surtout en personnes physiques violentées et assassinées, les préfectures et sous-préfectures ont été, sont à peine touchées, les préfets et sous-préfets, équipés de gilets pare-balles, abrités dans des véhicules blindés, protégés de troupes entrainées et armées jusqu’aux dents, n’ont subi, ne subissent que des pertes marginales. Certes, aucune perte humaine ne saurait être minimisée, mais quelques accidents isolés ne sauraient se comparer à de récurrentes hécatombes.
En traitant les enseignants du Bui de traîtres à la patrie, de vendus à l’ennemi, Monsieur MENYONG Gilbert SUNDAY insulte la mémoire de tous ces élèves, de tous ces enseignants morts, ou vivants mais mutilés pour certains, tous traumatisés à vie, victimes d’une guerre qu’on leur a imposée et qu’ils subissent sans véritable protection, abandonnés à eux-mêmes si ce n’est aux groupes armés dans d’innombrables territoires perdus pour la République depuis longtemps, à leurs seuls risques et périls. Monsieur MENYONG Gilbert SUNDAY par le fait s’attaque à l’honorabilité non pas de quelques enseignants, mais de tous les enseignants, pas seulement du Bui, ni même seulement du Nord-ouest et du Sud-ouest, mais de l’ensemble de la République. Monsieur MENYONG Gilbert SUNDAY s’attaque aux enseignants camerounais dans leur ensemble, au mépris des sacrifices immenses consentis par ce corps traditionnellement négligé dans notre République, un corps qui dans les zones de conflits que traverse notre pays subit les inconvénients de la guerre sans bénéficier des contreparties y liées tel - pour n’en citer que la moindre – le droit de relève au bout d’une période passée au front. Parce qu’il n’a pas eu le moindre scrupule et qu’il est peut-être sans scrupule, qu’il n’a pas éprouvé la plus petite honte à jeter l’opprobre sur le corps qui éduque les enfants de la République, le peuple en devenir, Monsieur MENYONG Gilbert SUNDAY, tout préfet qu’il est, ne se montre pas seulement comme un ennemi de l’enseignement, il se présente sous le jour sombre d’un ennemi de l’éducation, il se positionne tel un ennemi du peuple. Et comment pourrait-on être un ennemi du peuple sans être un ennemi de la République ?
Plus spécifique cependant, Monsieur MENYONG Gilbert SUNDAY, lui qui a osé, sans le moindre sens de la mesure, lever un index infamant sur l’un des seuls corps qui maintient encore présente la République dans ces territoires perdus abandonnés aux séparatistes, déshonore également la préfectorale, ce corps que nombre de gens intègrent depuis quelques années par effraction, sur des listes monnayées ou par les raccourcis du népotisme. Passe encore qu’il ait pensé une telle ignominie, qu’il l’ait couchée sur du papier à en-tête de la République et y ait apposé sa signature de préfet, cela seul dépasse les bornes du raisonnable, du bon sens. Tous les préfets et sous-préfets encore dignes de ce statut et nous espérons qu’ils sont encore en nombre, pourraient/devraient se sentir rabaissés, humiliés par l’image que Monsieur MENYONG Gilbert SUNDAY, préfet comme eux, projette de la préfectorale dans l’opinion. S’il continue à y trouver son confort, ce sont les autres préfets et sous-préfets qui devraient commencer à s’y trouver mal accompagnés.
Roger Kaffo Fokou, Syndicaliste et écrivain.
[1] La traduction est de moi. En version originale, « It has come to my knowledge that most teachers who have not assumed duty since the beginning of 2021/2022 academic year, contribute money and give to separatist fighters to encourage them to maintain the status quo of no school resumption in the Division”.
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