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ACHILLE MBEMBÉ, OWONA NGUINI ET PATRICE NGANANG : le mégalomane, la brute et le névrosé

Ce pourrait être le titre d’un roman ou d’un film à succès, comme Le bon, la brute et le truand de Sergio Leone. Pour l’instant, ce n’est que le titre possible d’un spectacle de mauvais goût, auquel se livrent trois intellectuels tropicaux, sur la toile mondiale. Nos politiques et la médiocrité qui les entoure et les encense aiment à ou ne peuvent s’empêcher de nous ridiculiser, à qui mieux mieux, sur toutes les tribunes nationales et internationales. Nous y sommes, depuis le temps, peu ou prou habitués et, finalement peut-être, en sommes d’une certaine façon immunisés. Voilà que trois de nos respectables intellectuels, de ceux qu’on appelle de « gros calibres », qui ont chacun leurs fans clubs quoi qu’en disent certains, trois intellectuels qui représentent sur la scène internationale chacun à sa manière et avec son génie particulier ce peuple qui a soif de modèles comme de héros, ce peuple à qui l’on voulut tout refuser même la simple possibilité d’une quelconque grandeur, voilà que ces trois intellectuels décident de se jeter en pâture à l’opinion. Nouveaux gladiateurs sans doute, ils veulent en découdre, s’étriper publiquement pour plaire à César !

Mais je pèche par iniquité : des trois, deux jouissent de toutes leurs libertés, et l’un croupit au fond d’une cellule, même si ce n’est nullement la faute aux deux premiers. Le trio se bat donc à armes bien inégales, et il faut le dire, n’en déplaise à Owona Nguini qui va ipso facto m’aligner dans le fan-club de Patrice Nganang. C’est d’ailleurs ce type raccourci facile, entre autres, qui m’amène à voir en lui la figure même de la brute. « Ils affectent de s'indigner en disant que MBEMBE a tiré sur un Énergumène au Sol!!! », s’indigne-t-il. « …que Mbembé et moi avons tiré… » serait plus correct. Que Patrice Nganang, Achille Mbembé et Owona Nguini ne s’aiment point, cela n’est plus un mystère et depuis longtemps pour ceux qui les lisent. Toutefois, ces petits drames intimistes mal ficelés, ces tragédies de coulisses ou d’alcôves jetés sur la grande scène et sous la puissante lumière crue des projecteurs, beaucoup de spectateurs malgré eux s’en seraient volontiers passés. On aurait peut-être mieux compris si la presse à sensation, qu’on appelle aujourd’hui du joli nom de « people », s’en était chargé. Cela en aurait édulcoré l’indiscutable mauvais goût.

Achille Mbembé choisit donc le moment où Patrice Nganang, ne serait-il qu’un énergumène, se trouve à terre, pour lancer ce que Owona Nguini, le plus authentique fan du premier – nous y reviendrons – appelle lui-même une « charge » : « Les Sophistes Hypocrites que sont ces Groupies de leur Idole d' Energumène, n'ont pas apprécié la Charge [1]d'Achille ». Les mots disent bien ce qu’ils disent. Une charge, c’est bien ce qui pèse dont alourdit la situation d’un accusé. Une charge, c’est aussi ce qui outre le caractère d’une personne pour le rendre ridicule. Venant de l’un de ses plus résolus supporters, cette évaluation du discours de Mbembé sur Nganang est des plus intéressantes. Owona Nguini aurait-il mal lu le texte de son idole ? Possibilité peu plausible. En a-t-il seulement mal parlé ? Qui le saura jamais ? Ce qu’il a voulu en dire, il l’a dit une fois pour toute, sans aucune possibilité d’y revenir de façon crédible. Il peut toujours se dédire, mais il aura auparavant dit ce qu’il en a dit. Pourquoi disons-nous que ces trois célébrités représentent bien les figures du mégalomane, de la brute et du névrosé ?

Commençons par le mégalomane : le Pr Achille Mbembé. Est-il au sommet d’un quelconque Olympe ? Je n’en sais fichtre rien. Lui par contre ne semble pas en douter. On le sollicite à répétition, répète-t-il emphatiquement et avec une surabondance manifeste, pour juger ses contemporains, et l’on sait que le juge participe de la divinité : il possède la science infuse et le pouvoir incommensurable qui va avec, notamment celui de dire le vrai et le faux, de condamner ou d’acquitter. Ce doit être très confortable. Il a condescendu, charitablement, à acquitter Nganang une première fois, mais comme les hommes de bois de la mythologie des indiens d’Amérique centrale, ce dernier ne s’est pas jeté à ses pieds pour se confondre en reconnaissance. Pire, il s’en est pris à lui. Mbembé est peut-être un dieu, mais n’allez pas croire qu’il est infiniment bon. La mégalomanie, c’est aussi le regard qu’il jette sur les choses. Voyez comment il parle de certaines universités américaines : « l’une des petites universités d’Etat de New York », « la petite université d’Etat de Stonybrook »… Une amplification presque obsessionnelle de la petitesse, qui opère comme un miroir inversé. De quelle hauteur envisage-t-il ces charmants établissements universitaires américains ? Du haut de sa propre grandeur certainement. C’est quoi, une petite université ? Une qui emploie de petits enseignants parfois un peu fous, comme Nganang Patrice ? Une qui forme de petits diplômés ou décerne de petits diplômes ? Je ne saurais le dire. Le Pr Mbembé finit par croire lui-même à son omnipotence. C’est donc le ton impérieux, condescendant, qu’in fine il s’adresse au pouvoir de Yaoundé : « Aux autorités de Yaoundé, je dis donc: libérez Nganang ». Il doit être surpris que ces derniers ne se soient pas encore exécutés. Mais sans doute lesdites autorités ont-elles vu clair dans le jeu de Mbembé ? Car en effet, s’il prend la parole en la circonstance, ce n’est pas pour reconnaître la compétence du tribunal de Yaoundé mais pour en décliner celle-ci, au nom d’un ordre judiciaire plus élevé et infaillible dont il serait l’un des grands dignitaires : le tribunal de la science. S’il s’oppose, dans son curieux réquisitoire, à la condamnation de Nganang par l’ordre judiciaire d’un « petit » Etat postcolonial, ce n’est pas qu’il envisage la relaxe pure et simple du prévenu. Il le traduit en même temps devant le tribunal de la science et là, il se fait procureur et juge à la fois. Nganang Patrice : écrivain ? Mbembé Achille a fait semblant de le croire par charité, quand on le lui a demandé. Tant pis si ce faisant, il a abusé de la confiance des autorités de l’une des « petites » universités d’Etat de New-York qui ont été assez crédules pour compter sur son jugement. Même les dieux peuvent tricher. En tout cas, il peut le dire aujourd’hui que Nganang est au sol, ce dernier n’a jamais été qu’un minuscule espoir de l’écriture vite déçu. Sain d’esprit malgré tout, Nganang ? Bien sûr que non, quelle idée ! Quel est donc le verdict du Pr Mbembé ? Nganang doit être acquitté à Yaoundé pour être mieux et plus sûrement condamné à la réclusion perpétuelle internationale. Le grand professeur peut-il suggérer un établissement spécialisé dans ce genre de cas ? Un de ces sanatoriums à la pointe peut-être ? Oui, il faut bien le dire, le Pr Mbembé n’est pas n’importe qui, et il tient à le faire savoir à tous.

Et maintenant, la brute : le professeur Owona Nguini Mathias. J’aurais certainement apprécié le côté volcanique de son débit, quitte à l’assimiler à une expression artistique un tantinet forcenée s’il choisissait mieux ses cibles et évitait de verser dans l’amalgame. Tout art, comme l’on sait, est choix ; la nature, elle, est avant tout fatalité. Il suffit qu’elle vous tombe dessus au mauvais endroit au mauvais moment. D’où vient ce délire qui veut que tous ceux qui n’apprécient pas les choix discutables du Pr Mbembé soient tout de suite taxés de tous les noms d’oiseaux, vilipendés et voués aux gémonies ? Faut-il absolument, comme le Pr Mathias Owona Nguini, hisser le Pr Achille Mbembé sur un piédestal et se prosterner à ses pieds, boire avidement ses paroles y compris les plus contestables pour échapper aux foudres de son zélateur le plus inconditionnel ? En quoi réside la puissance des mots ? Dans l’actualisation de leur potentiel de violence, leur usage en tirs groupés à la manière de ces mitrailleuses qui fauchent à l’aveuglette tout sur leurs trajectoires ?

Le Pr Owona Nguini semble en effet se passionner autant pour le Pr Mbembé – son idole incontestablement – que pour les mots violents. Son texte, truffé de majuscules, est déjà une pure violence faite à la langue elle-même, à moins que ce ne soit la faute à l’éditeur. Quand vous le lisez, vous ne pouvez vous empêcher de vous croire dans une forge, tellement les mots, frappés avec une extrême puissance, se fracassent sur l’enclume de vos tympans. Tout le contraire de son idole qui, lui, pétrit son verbe, l’informe en douceur pour lui donner une force insinuante, mortellement intrusive. Et ce n’est là qu’un paradoxe usé. Comme dans Des Souris et des hommes de John Steinbeck, Mathias Owona Nguini semble être un « doux colosse innocent aux mains dangereuses ». Gare à vous si vous le frottez à rebrousse-poil ! Mais quel service croit-il, à force de dithyrambe, - on écrirait « dithyrampe » sans encourir le moindre reproche – rendre au Pr Mbembé ? Cette passion presque amoureuse qu’il étale pour le Professeur Mbembé finit par en gêner plus d’un, par dévoyer le sens même du soutien qu’il lui apporte bruyamment, un peu trop bruyamment sans doute. On a envie de lui demander : pourquoi en faites-vous à ce point, Pr Owona Nguini ? Mais ce ne serait que son problème s’il s’y entendait pour ne pas s’en prendre à tous les passants qui refusent de rendre un culte à son dieu. Quel fondamentalisme !

Et pour finir, le névrosé : Patrice Nganang. Qu’en dire qui soit mieux dit que ce qu’en ont dit deux professeurs es-qualité ? Quand après la subtilité même la violence tonitruante a parlé, il semble que tout est dit. Pauvre Patrice Nganang ! Mais est-il réellement à plaindre ? Je n’en suis pas si sûr, mais je ne suis pas un expert, ni un savant. Je sais par contre que c’est un homme qui souffre en ce moment. Et comme disait Césaire, un homme qui souffre n’est pas un ours qui danse : on trouverait meilleure scène qu’une cellule de l’infect pénitencier de Nkondengui, même dans son quartier dit VIP. Oublions donc ces propos de Mbembé parlant du « cas d’un homme enfermé dans une cellule, peu importe qu’il veuille en sortir ou qu’il juge, pour des raisons d’opportunisme, d’en tirer je ne sais quel bénéfique. » Le meilleur moyen de rejoindre Nkondengui ne consistait pas, on s’en doute bien, à prendre place dans un avion de la Kenyan Airways. Cette petite bassesse-là est assez inhabituelle chez Mbembe pour qu’on l’oublie. Quand Nganang aura retrouvé sa liberté et s’il la retrouve, quand il pourra à nouveau choisir ses moyens librement, il sera toujours temps de guerroyer avec lui.

Roger Kaffo Fokou

 

 

[1] C’est nous qui soulignons.

 



18/12/2017
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