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Alliance française à l’étranger contre la culture et contre les enseignants : faut-il le reprocher à la France ou au zèle de ses serviteurs locaux ?

Par Roger KAFFO FOKOU,  auteur de Demain sera à l’Afrique, l’Harmattan, 2008


Qu’est-ce au fait qu’une alliance française ? Les Camerounais, dans leur immense majorité, appellent ceux de ces établissements implantés chez nous, improprement d’ailleurs, des « alliances franco-camerounaises », ce qui ne correspond pas du tout à la réalité au-delà de la forme. Créée le 21 juillet 1883 à l’initiative de Cambon et sous le ministère Jules Ferry, l’alliance française reçoit sur les fonts baptismaux l’appui des personnages exceptionnels tels Ferdinand de Lesseps, Louis Pasteur, Ernest Renan, Jules Verne et Armand Colin. Wikipédia nous apprend que « Cette création avait pour but de rebondir après la défaite française de 1870  en renforçant le rayonnement culturel français à l'étranger, notamment la philosophie des Lumières dans l'empire colonial naissant ». Comme on peut le voir, il y avait à l’origine une préoccupation impérialiste qui est depuis devenue néocolonialiste. Le statut actuel de Fondation qui est le sien et date du 26 juillet 2007 en fait clairement une personne morale de droit privé. Ce statut, redéfini pour s’adapter à celui des autres structures culturelles françaises à l’étranger avec lesquelles elle constitue désormais un réseau unique, « situe son action et son développement dans le cadre de la politique linguistique et culturelle définie par le gouvernement français et mise en place par le ministère » des affaires étrangères.

L’on a l’habitude de reprocher à la France son comportement paternaliste et néocolonialiste envers ses anciennes colonies en raison des réseaux mafieux tissés au lendemain des « indépendances » grâce à la diligence des services secrets français sous les ordres de Jacques Foccart, le tout au bénéfice des multinationales hexagonales en particulier et occidentales en général. L’immobilisme sociopolitique et économique qui en a résulté, et qui se traduit sur tous les plans par un retard de l’Afrique francophone par rapport à sa consœur anglophone, rend de moins en moins supportable pour les nouvelles élites africaines une situation qui n’a que trop duré et qui met encore tout en œuvre pour se perpétuer. En Afrique francophone aujourd’hui et malheureusement, le sentiment dominant est de plus en plus que les choses sont en train de changer pour le pire. Les exemples ivoirien, guinéen ou libyen semblent le confirmer. Aves ces cas d’espèce, la France héritière des Lumières et patrie des droits de l’homme a montré, de l’avis de la plupart des Africains, qu’il n’est pas d’extrémité jusqu’où elle hésiterait à aller pour défendre ses positions africaines, ce qui en d’autres termes correspond à transformer des abus en tous genres en droits.

Dans ce paysage françafricain de si détestable réputation, les alliances et autres instituts culturels français à l’étranger jouaient le rôle certainement plus pernicieux mais plus supportable de drogue douce vis-à-vis des populations locales. Après tout, la France a bel et bien le droit de défendre et de promouvoir sa langue et sa culture à l’étranger. Dans bien d’endroits, lorsque le droit d’expression se trouvait brimé, banni de la cité, il allait se réfugier, quoique pas toujours confortablement, dans les centres culturels français et les alliances françaises. A une certaine époque, l’on pouvait y sauvegarder le débat et le cultiver, même contre la France, ce qui constituait un mérite indiscutable pour cette dernière. Cela en réalité en faisait un défouloir dont le but ultime était encore de maintenir l’intégrité de l’empire néocolonial en diffusant au sens propre la contestation pour éviter une concentration susceptible à terme de provoquer des déflagrations. Il y a toujours cependant eu des limites, des limites aussi fines et subtiles que l’esprit français. Des limites toutes en litotes ou en euphémismes. Des limites qui ont toujours fait que dans les bibliothèques de ce réseau, le fonds local n’a jamais pu dépasser le seuil symbolique ; que dans la programmation culturelle la tournée du réseau n’a été le plus souvent que l’affaire de troupes hexagonales ; que la recherche et la promotion des talents locaux n’ont jamais occupé qu’une place marginale. Mais peut-on, encore une fois, reprocher à la France, même néocoloniale, de ne pas s’activer dans la promotion de la culture de chez nous ? Et tant que les alliances françaises sont dans leur rôle de défenseurs et promoteurs de la culture, même s’il ne s’agit uniquement que de la culture française, que peut-on avoir à leur reprocher ? Toutefois, à partir du moment où, en complicité ou de connivence avec les pouvoirs en place, les responsables de ces structures les transforment en espace de répression du débat et de la culture, on peut logiquement penser qu’une ligne rouge est franchie et en tirer les conséquences.

Le ministre de la propagande du IIIè Reich disait : « chaque fois que j’entends le mot culture, je sors mon révolver ». Il exprimait ainsi la haine viscérale que les pouvoirs oppressifs ont pour la culture, et la culture n’est rien si elle n’est un espace d’échange et de débat. Ce qui s’est passé le 5 octobre 2011 à l’alliance française de Dschang mérite ainsi une petite réflexion. A l’occasion de la 18è Journée Mondiale des Enseignantes et des Enseignants, les enseignants de la localité avaient programmé avec l’alliance une table ronde sur le thème mondial de cette journée, contextualisé pour prendre en compte l’environnement local : « Justice sociale, éducation et égalité genres dans la perspective de l’émergence du Cameroun en 2035 ». L’alliance s’était chargée d’assurer la communication de l’événement par voie d’affichage. Tout semblait aller pour le mieux  lorsque subitement, le 5 octobre autour de 11 heures, l’alliance opère un revirement à 180°, et informe les coorganisateurs que la table ronde prévue pour 14 heures ne peut plus avoir lieu à l’alliance. Naturellement à cette heure-là, il n’est plus possible de décommander auprès de tous ceux qui se préparaient qui à venir y présenter un exposé, qui à contribuer au débat. Face à l’entêtement de la direction de l’alliance, toute tentative de négociation s’est révélée infructueuse.

Lorsque les enseignants ont commencé à arriver à l’alliance à partir de 14 heures, ils y ont trouvé la salle de spectacle hermétiquement close et le premier responsable des lieux opportunément absent. Curieusement, l’affiche réalisée par l’alliance continuait à annoncer l’événement sur le panneau d’affichage de l’alliance. La situation est devenue presque irréelle lorsque le Sous-préfet de la localité, entouré d’une escouade de gendarmes, a investi l’alliance pour s’assurer que les enseignants n’y étaient pas en train de donner une table ronde.

Dans cet espace où flotte fièrement le drapeau français, ce débarquement a semblé tellement déplacé bien qu’exprimant en même temps un signe des temps. Qu’est-ce qui est donc en train d’arriver à notre société pour que le projet d’une simple table ronde provoque un tel branle-bas ? L’alignement de la France derrière les appareils de répression de nos bananeraies a-t-il atteint le seuil où même les structures culturelles de ce pays à l’étranger se permettent d’y ajouter du leur ? Est-ce le fait des serviteurs locaux de ces intérêts qui dans un zèle non commandé livrent les espaces confiés à leur soin à la rage répressive des autorités locales ? L’on peut multiplier ces questions. Elles traduisent le fait que la France est tombée et peut-être a sombré dans ce que Marcel Aymé appelait le « confort », c’est-à-dire la paresse, la facilité, et que ce travers l’empêche de voir le monde changer. L’Afrique n’est plus ce qu’elle était, les prochaines élites africaines n’auront probablement que peu de choses en commun avec celles d’aujourd’hui. Dans un monde en pleine reconfiguration, la France aura-t-elle toujours les moyens de faire face aux dommages occasionnés çà et là, par elle ou en son nom, du fait de l’exercice abusif de son statut actuel de puissance ? ]

 



06/10/2011
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