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Années 2000-2010 au Cameroun : causes et conséquences d’une décennie marquée par l’échec massif aux examens

Certains pensent que l’âge d’or du système éducatif camerounais se situerait dans les années 80. Une telle affirmation se justifie sans doute par le fait que dès les années 90, l’échec prend véritablement le pas et de manière durable sur la réussite aux examens aussi bien dans le sous-système francophone camerounais que dans celui anglophone, toute proportion gardée. L’histoire retiendra que c’est de cette période que datent des pratiques comme l’abaissement des notes d’admission : entre 1990 et 1995, la barre d’admission descend à 08/20. Cosmétique qui ne donne d’ailleurs aucun résultat satisfaisant puisque 1995 est l’année de tous les records d’échecs. Aussi, à partir de 1996, une stratégie additionnelle dite d’harmonisation des notes avec à la clé l’ajout massif des points aux candidats en déroute est-elle également adoptée. Toute cette volonté de sauvetage produit-elle les résultats escomptés dans les années qui suivent ? Il suffit de jeter un regard sur les données de la décennie 2000 à 2010 pour se rendre compte que si résultats il y en eut, ceux-ci n’ont pas du tout été à la hauteur des espérances. La prépondérance de l’échec En effet, tout au long des années 2000, les performances du système éducatif ont été, en dépit de tous les tripatouillages officiels, catastrophiques. Dès l’ouverture de la décennie, le ton est donné, tel qu’on peut le voir, dans les taux d’échecs enregistrés en 2002 et 2003 dans les examens francophones (BEPC, Probatoires et Baccalauréats) et anglophones (GCE O/Level et A/Level) :

 

 

Année

Examens

 

BEPC

Probatoire

GCE O/L

BACC

GCE A/L

Taux échecs année 2002

65,1%

63,9%

36,83%

44,38%

35,22%

Taux échecs année 2003

64,2%

60,8%

41,73%

59,74%

40,79%

Source : rapport service carte scolaire 2002/2003


 

Comme cela apparaît clairement dans l’histogramme ci-dessous, au cours de ces deux années, l’échec est la règle, avec une courbe qui côtoie les 70%, et la réussite l’exception.

Et désormais cette règle s’appliquera d’année en année jusqu’à la fin de la décennie, malgré la volonté maintes fois affirmée de réformer le système pour mettre la pédagogie au centre de l’école afin d’aller vers l’excellence scolaire. Le leitmotiv du ministre Louis Bapès Bapès, dépositaire tout au long de la décennie des clés de ce département, sera « la gestion qualité pour une pédagogie de l’excellence renforcée ». Mais, soit qu’il prêche dans le désert, soit qu’il n’appuie pas sur les leviers appropriés, rien n’y fait, les taux de réussite refusent de remonter et semblent prendre un plaisir ironique à rester collés au plancher, comme le montrent le tableau et l’histogramme ci-dessous, qui portent sur les années 2004 à 2010 :

Examens

Taux d’échecs

 

Année

2004

Année

2005

Année

2006

Année

2007

Année

2009

Année

2010

DECC

70,20 %

64,50 %

66,94 %

59,90 %

56,29%

56,09%

OBC

64,99 %

58,13 %

58,98 %

57,38 %

62,08%

56,35%

GCE Board

53,27 %

48,23 %

56,75 %

57,57 %

42,74%

40,45%

Sources : Rapports du comité de suivi des examens au MINESEC

 

Les taux d’échecs aux examens francophones, partis de 70% en 2004, restent égaux ou supérieurs à 60% au long de la décennie. Les examens anglophones, traditionnellement moins catastrophiques, rentrent également dans la tourmente et, au milieu des années 2000, égalent le record d’échecs des examens francophones (voir histogramme ci-dessus). Ces tendances de la première décennie des années 2000 semblent faites pour durer, puisqu’au cours de la session 2011 qui vient de s’achever, les résultats ont été encore plus mauvais qu’en 2010, l’échec remontant en flèche vers les 60% au baccalauréat ESG et le BEPC, malgré l’abaissement intolérable de la moyenne d’admission, n’atteignant pas les 40% de taux de réussite. Les causes de ce désastre sont bien connues, même si personne ne peut dire avec exactitude quelle est et sera l’ampleur des conséquences pour le Cameroun aujourd’hui et demain.  

Du refus d’agir sur des causes bien connues

La brusque plongée dans les enfers du système éducatif camerounais s’enclenche dans les années 90 suite à la baisse des salaires et à la dévaluation du franc CFA. La soudaine dégradation des conditions de travail et de vie des Camerounais bascule ceux qui le peuvent dans la corruption. C’est au cours de ces années-là que le Cameroun commence à battre tous les records de corruption au classement de Transparency International. Dans l’enseignement, même les conditions de l’exercice du métier se détériorent de manière inacceptable. Dans une enquête conduite en 2010 dans une des régions du Cameroun, il apparaît que sur 76 établissements enquêtés, 52 n’ont pas d’eau courante, que le ratio de toilettes est de 1 pour 52 enseignants, que 85% d’établissements n’ont aucune espèce de cantine, que dans les salles de professeurs là où il en existe, on trouve peu de tables (1 table pour 17 enseignants), peu de chaises (1 pour 5 enseignants)…Tandis que, logiquement démotivés, les enseignants qui attendent désespérément une prime de documentation et de recherche et un rééchelonnement indiciaire depuis 11 années peu à peu s’habituent à faire le service minimum, d’autres paramètres naguère acceptables se dégradent eux aussi rapidement : trafics de notes d’entrée et de passage des élèves, effectifs pléthoriques (jusqu’à 170 élèves par classe dans certains lycées de Yaoundé sous les fenêtres mêmes de Monsieur le Ministre des Enseignements Secondaires), enseignants d’une qualité de plus en plus discutable en raison du marchandage qui devient la règle d’admission dans les écoles de formation, pénurie prononcée de personnel enseignant et de personnel d’encadrement. Sur un total de 4828 enseignants recensés dans les établissements enquêtés, 1676 sont des vacataires, soit plus du tiers des effectifs (34,71%). Il suffit de se pencher sur le traitement réservé à ce tiers pour comprendre dans quel cauchemar l’on a installé l’éducation des jeunes Camerounais : la moyenne des salaires qui leur sont servis mensuellement s’élève à 35.661FCFA, tout juste le SMIG.

Notre école va donc mal parce qu’elle est sous-financée : elle est sous-équipée (45% d’établissements enquêtés n’ont aucune espèce de bibliothèque), manque d’enseignants de qualité et même d’enseignants tout court, sombre de plus en plus dans l’indiscipline et la violence faute de personnel d’encadrement… La réalité du financement public de l’éducation au Cameroun, comparée à la même situation dans d’autres pays africains apparaît comme suit à l’orée de la décennie qui nous intéresse :

 

Pays

Ratio

Cameroun (2001)

2,4 (2,7)

Côte-d’Ivoire

Sénégal

Togo

Nigeria

Kenya

3,9

3,2

4,4

4,6

6,3

Pays IDA d’Afrique subsaharienne*

3,4

*Pays ayant un PIB par tête inférieur à 885 US$

Source : Rapport d’Etat du Système Educatif National Camerounais, Eléments de diagnostic pour la politique éducative dans le contexte de l’EPT et du DSRP du 19 décembre 2003

 

N’est-il pas curieux que la courbe de l’échec soit en raison inverse du niveau de financement de chacun des examens concernés ? Comment expliquer autrement l’échec au BEPC et aux CAP qui est égal ou supérieur à 60% depuis plus de 10 ans ? Relativement à l’échec scolaire en général, nous disions plus haut que l’année scolaire 1995/96 avait connu le pire taux d’échecs de l’histoire de l’éducation au Cameroun. Or, la part du financement de l’éducation dans le budget de l’Etat chute dramatiquement justement au cours de ces années-là, avant de recommencer à remonter lentement (tableau ci-dessous).

Année scolaire

1991/92

1992/93

1993/94

1994/95

1995/96

1996/97

1997/98

1998/99

1999/00

Budget éducation/PIB(%)

2,8

2,8

2,6

1,5

1,3

1,6

2,1

2,1

2,1

Source : Rapport d’Etat du Système Educatif National Camerounais, Eléments de diagnostic pour la politique éducative dans le contexte de l’EPT et du DSRP du 19 décembre 2003

 

Il est vrai, les principales causes que nous énumérons ci-dessus ne sont pas les seules, mais en dernière analyse il convient d’insister sur la responsabilité publique en matière d’éducation du citoyen, pour rappeler qu’il s’agit d’un devoir régalien de l’Etat, et que si les moyens gérés par l’Etat appartiennent au peuple, il y a un crime de lèse-propriétaire à ne pas en mettre suffisamment pour lui assurer la voie d’une véritable mobilité sociale. Ceci n’exonère pas la responsabilité parentale, ni celle de l’élève lui-même, encore que l’Etat dispose, par délégation de la loi, des moyens de s’assurer que le parent aussi bien que l’enfant accomplissent chacun son devoir.

Quoi qu’il en soit et quelles que soient les causes d’un tel niveau d’échecs, les conséquences à terme sont incalculables pour l’avenir du Cameroun. Il suffit d’en examiner quelques-unes pour s’en convaincre.

 

Les conséquences désastreuses de l’échec scolaire

La première conséquence des échecs scolaires et notamment des échecs aux examens officiels est matérielle et financière. L’école a un prix en partie payé par l’Etat et en partie par les ménages. Dans un pays pauvre et lourdement endetté, disposant de ressources limitées, le concept central de toute gestion doit être l’efficience et tout doit tendre vers l’optimisation des ressources. Qui paie pour les échecs que charrie notre système éducatif et à hauteur de combien ?

Au début de la décennie 2000-2010, l’Etat budgétise environ 200 milliards de FCFA pour les dépenses directes du secteur de l’éducation. A ces dépenses, il faut ajouter celles consenties par les collectivités locales. Au cours de la même période considérée, l’ensemble des dépenses des ménages pour l’éducation des enfants s’élève à 233 milliards de FCFA (239 milliards de FCA selon ECAM II), soit une contribution supérieure à celle de l’Etat (Rapport du 19 décembre susmentionné). Comment admettre que l’Etat s’arroge seul le droit d’organiser l’éducation et en fasse une usine à échecs alors que les plus grands perdants sont les ménages ? Il y a là une situation véritablement préoccupante sur laquelle l’on devrait se pencher.

La seconde conséquence porte sur le coût social des stratégies de rattrapage. Nous avons dit que dès le début des années 90, la barre d’admission est tombée de 10/20 à 08/20 ; il n’empêche qu’en 1995/96, l’on a vu pire, et des diplômes ont été distribués à des candidats ayant réuni à peine 06/20. Il s’agissait pour l’Etat, impérativement, de faire bonne figure à la fois au plan interne et international. En interne, il fallait notamment démentir le diagnostic des syndicats d’enseignants qui affirmaient qu’en raison de leur clochardisation, les enseignants avaient pour la plupart déserté la conscience professionnelle. Une culture de la médiocrité s’est installée dans les campus scolaires, les élèves ayant très vite compris qu’il leur suffirait à chaque fois de faire le minimum et que l’Etat se chargerait de faire le reste pour eux. Cette contre-culture, on peut dire qu’elle est aujourd’hui profondément enracinée et il ne sera pas facile de s’en débarrasser. La compétitivité des produits de notre système éducatif sur le marché international ne souffrait pas du moindre complexe avant les années 1980. Aujourd’hui, nous essayons de faire la course au premier rang des cancres et nous satisfaisons de les devancer. Curieux destin pour un pays qui a des ambitions d’émergence à terme rapproché.   N’oublions pas que selon un rapport commun OCDE/UNESCO  réalisé en 2002 et intitulé « Le financement de l’éducation – Investissements et rendements : analyse des indicateurs de l’éducation dans le monde », «En général, les résultats des pays IEM indiquent qu’une augmentation d’un an de la durée des études moyennes de la population adulte entraîne une augmentation de 3,7% du taux de croissance économique à long terme ».

L’échec aux examens est, on le sait, avec le coût de scolarisation, l’une des principales causes de la déperdition scolaire. Or cette déperdition scolaire toujours plus précoce est l’une des caractéristiques principales de notre système éducatif. Au Cameroun, la brièveté de la durée moyenne des études des enfants (5,6 ans soit le CMI alors que celle-ci est de 8,1 en Ouganda et de 9,6 au Zimbabwe) devrait nous interpeler sur le phénomène de la recrudescence de l’illettrisme et partant de la délinquance juvénile dans sa version de plus en plus violente. Il y a là un foyer de frustration gigantesque pour des jeunes qui très tôt se considèrent comme abandonnés par le train de la mobilité sociale dans un contexte où celui qui ne sait pas lire ni écrire est rarement traité avec ménagement. Comment empêcher que la pauvreté intellectuelle ne se transforme en pauvreté puis en misère tout court, notamment en misère morale ? Et dans un tel contexte, qui en paie le prix fort ? Ce citoyen qui a eu la chance de recevoir une éducation acceptable et d’en donner une à ses enfants, et que les millions de rejetés du système d’éducation considèrent non sans raison comme un privilégié ne sera jamais en sécurité et pourtant, la première responsabilité du désastre ne lui incombe pas. C’est lui cependant qui est la première victime de la délinquance et de la violence de proximité. C’est dans ce sens que la destruction du système éducatif est l’affaire de chaque citoyen, qui doit se rappeler que, comme le disait Albert Einstein, « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui regardent et refusent d’agir ».

 

Roger KAFFO FOKOU



29/08/2011
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