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ARRESTATION DE PATRICE NGANANG : une rare inintelligence politique !

Quel que soit le bout par lequel on les prend, l’arrestation et la détention de Patrice Nganang ne rendent service ni à notre république, ni à son « monarque présidentiel ». Qui a pu ordonner ce que, personnellement, je ne peux qualifier que de bavure politique ? Sur quel fond d’analyse s’est-il autorisé une si inintelligente décision politique ? N’essayons pas de sonder l’obscure dédale de ce qui doit servir de cerveau à ce monsieur : il doit y croupir un monstre plus repoussant que le minotaure que cherchait à bannir le génial architecte mythique de la Grèce antique. Faisons un petit peu d’histoire pour commencer.

Le 6 septembre 1960, un groupe d’intellectuels français signe une « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie ». Celle-ci sera retenue par l’histoire comme le Manifeste des 121. Parmi les signataires de l’incendiaire missive, un certain Jean-Paul Sartre, insoumis parmi les insoumis. Des politiciens zélés, désireux certainement de plaire au prince, vont conseiller à De Gaulle de faire arrêter l’écrivain-philosophe. Le grand homme d’Etat leur rit au nez et leur répond, laconique : « On n’arrête pas Voltaire ! ». Nganang Patrice n’est pas Jean-Paul Sartre, encore moins Voltaire, me dira-t-on avec raison. Il évident que seul Voltaire est Voltaire comme seul Jean-Paul Sartre est Jean-Paul Sartre. Je suis sûr que De Gaulle le savait autant que vous et moi. Mais revenons à ce bout d’histoire que nous avons convoqué : celle de la lutte de la France pour imposer l’Algérie française.

La guerre d’Algérie est connue pour avoir été une situation explosive pour la France de l’époque. Elle cristallisa comme l’on s’en souvient les passions les plus hautes et les plus basses dans tous les camps. Les 121 intellectuels du « Manifeste », en pleine guerre, prirent parti contre leur pays, pour une armée étrangère de libération. C’était, dans le langage militaire, une désertion doublée d’une trahison… au nom de la raison contre la raison d’Etat. Cela n’empêcha cependant pas De Gaulle de garder sa lucidité. Il savait que c’est la liberté de penser, de critiquer en pensant, même quelquefois dans l’outrance et l’outrecuidance, qui entretient la vitalité et nourrit le génie de la France. En véritable homme d’Etat, il savait distinguer ses ambitions personnelles des ambitions véritables de la France. L’Histoire le lui rend bien aujourd’hui.

Nous sommes dans un pays où des gens de l’âge de Patrice Nganang (Il est né en 1970) et tous leurs cadets n’ont vraiment connu qu’un seul président de la république. Un président de la république qui est une bénédiction pour une partie du peuple camerounais, celle qui profite de son interminable règne et remplit coffres-forts d’argent et dresse les collines de nos villes de somptueux palais. Qui ne les comprendrait pas ? Cette fraction ou faction souhaite à M. Biya de régner ad vitam aeternam sur le Cameroun. Mais ce président est surtout une malédiction pour une autre partie de ce même peuple camerounais, celle qui espère depuis une véritable éternité voir un autre portrait accroché dans la courte galerie du pouvoir suprême de leur pays.  Laquelle des deux parties du peuple camerounais est la plus numériquement importante ? Les outils de notre « système politique », essentiellement paradémocratiques, ne permettent pas pour l’instant de mesurer avec exactitude les proportions de ce partage.

En contexte démocratique, le citoyen sait que s’il ne supporte plus le tyran, au sens que donnait à ce mot Etienne de la Boétie, il peut s’en débarrasser par la voie des urnes. Et si le tyran, particulièrement bon démagogue, réussit à se concilier la faveur des urnes, la séparation des pouvoirs encadrera la férocité de ses lubies, et la limitation des mandats aura raison de ses mauvais instincts. Le citoyen américain qui n’aime pas Donald Trump sait qu’il ne votera pas pour lui dans quatre ans. Et si malgré cette sanction Trump survit au verdict des urnes le moment venu, quatre années plus tard ce sera une affaire réglée. Cette certitude seule suffit à désamorcer les sources les plus extrêmes de tension, et à conserver le côté ludique de l’exercice politique loin des territoires de la tragédie. De quelle issue dispose le citoyen camerounais qui en a marre de Monsieur Biya ? Il n’est pas nécessaire de savoir pourquoi il a marre de lui, et s’il a raison de l’être ou pas. La vérité, c’est qu’à ce dernier, il n’y a que peu d’options : il n’a plus qu’à souhaiter, voeu souvent pieux, soit que Monsieur Biya meure de quelque chose, vieillesse, maladie, accident ou, pour les plus extrémistes, qu’il tombe d’une balle entre les deux yeux. Quand on est forcé d’avancer dans un couloir, à moins de disposer des moyens de percer les murs, l’on a étonnamment peu de choix à faire.

Ainsi, pendant que les uns célèbrent et se réjouissent bruyamment de l’exceptionnelle longévité de leur champion au pouvoir, prient pour que le temps se fige pour l’éternité, d’autres pestent et disent leur ras-le-bol, puis prient, d’abord silencieusement, puis à voix de plus en plus haute pour la mort du tyran. En vérité, les deux groupes sont impuissants devant le fait de la longévité politique du tyran l’un autant que l’autre. Prières pour, comme prière contre, ne sont que des manifestations d’impuissance de part et d’autre. Et c’est exactement ainsi qu’il faut lire le post facebook de Patrice Nganang.

En 2012, Patrice Nganang on s’en souvient avait lancé un appel à François Hollande nouvellement élu à venir débarrasser le Cameroun de M. Paul Biya. A l’époque, nous avions écrit pour lui dire qu’il commettait ce faisant une double faute, intellectuelle et politique. C’était déjà un évident et pathétique aveu d’impuissance de M. Nganang et derrière lui, d’une certaine sensibilité politique camerounaise, projeté sur la toile mondiale. De quoi faire des Camerounais la risée de la planète ! Ce post facebook d’aujourd’hui n’est rien d’autre qu’une récidive : autant que l’appel à François Hollande, à qui Paul Biya a déclaré, ironie du sort, que « Ne dure pas au pouvoir qui veut mais qui peut », il traduit, pathétiquement une fois de plus, la conscience que Patrice Nganang a de son impuissance personnelle face à M. Paul Biya qu’il n’a jamais fait mystère de détester, il faut le dire à son crédit. Et pourquoi ceux qui aiment M. Biya auraient-ils le droit et la permission de le dire, de le crier même et pas ceux qui le détestent ?

Faut-il donc dire que dans notre république l’impuissance est devenue un crime si l’on ose l’afficher publiquement ? Car, en laissant tomber l’accusation initiale et farfelue « d’outrage au Président de la République », ceux qui ont maladroitement orchestré cette arrestation suivi de détention devant un public international (l’avion de Kenyan Airways, comme pour donner de puissantes ailes internationales à l’image grimaçante  du Cameroun qu’on lançait ainsi dans l’espace planétaire !) comprennent avec bien du retard qu’il ne s’est jamais vraiment agi de cela. Au fait, on peut même dire que, s’ils n’ont rendu aucun service à la République ni à M. Biya, en revanche ils en rendent un sacré à Patrice Nganang.

Il suffit en effet de se rappeler la polémique qui a opposé naguère (2014) le turbulent écrivain au politiste Mathias Owona Guini. Ce dernier affirmait alors entre autres choses qu’ « Ici au Cameroun, Nganang ne fait peur à personne!!! ». C’était sans doute vrai à l’époque, ça ne l’est certainement plus aujourd’hui. En payant de sa personne, ou plutôt en lui permettant de payer de sa personne, ceux qui à l’ombre du pouvoir ont fait arrêter Patrice Nganang viennent de donner du contenu à la stature d’insoumis que celui-ci a toujours voulu sienne et que son exil new-yorkais rendait si peu crédible.  Mais ce prix-là, Nganang a-t-il souhaité le payer ? A-t-il évité de le payer ? Fallait-il le lui faire payer ? Et le contre-prix assumé par la république, ce bien commun, ce contre-prix qui se chiffre en milliards de ridicule, qui nous l’a imposé ? Méritons-nous cet immense supplément de ridicule ?

Roger Kaffo Fokou

 

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12/12/2017
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