AU SORTIR DU CONSEIL DIT CONSTITUTIONNEL: Exit l’Etat de droit, bienvenue à l’Etat de force !
C’était une partition écrite d’avance. L’inspiration n’avait pas changé. Les acteurs étaient les mêmes à quelques nuances près et avaient la même détermination. Les enjeux non plus n’avaient pas varié d’un pouce. Tout le reste n’était que tralala, falbalas. Seul le peuple, le bon et naïf peuple, celui du changement qui n’a pas encore succombé aux charmes maléfiques du chant des sirènes de l’apocalypse, a cru un instant qu’on écrivait une pièce nouvelle au Conseil constitutionnel. Les hommes et femmes en robes bleues, dûment sélectionnés par le système, aux perruques soigneusement poudrées, et qui ont eu besoin d’une nuit entière pour ourdir leur coup, étaient comme toujours en mode replay.
Car que s’est-il réellement passé au Conseil Constitutionnel ces 04 et 05 août 2025 ? Une sorte de rediffusion, cette fois-ci sans caméras, presque à huis clos, tellement le projet était sombre, funeste. Un zeste de honte ? Je ne le crois pas. Ces gens-là n’en ont plus depuis belle lurette. Plutôt une volonté désespérée de mystification. Plus le système est sale, plus il veut paraître propre. Cette date restera donc dans l’histoire du Cameroun comme celle d’un grand crime contre la République, la démocratie et l’Etat de droit ; celle d’un coup d’Etat juridique, organisé par des gardiens d’institutions qui ne se soucient même plus de maquiller leur forfaiture. Il suffit de considérer les faits.
Le défi donné au MANIDEM et à ses avocats à relever était proprement ubuesque : prouver l’évidence, sans doute jusqu’au doute ! Démontrer que 1+1=2 ! Nul n’aurait pu prétendre qu’il s’agissait là, pour la partie demanderesse, d’une tâche herculéenne, titanesque. Et cette partie a mouillé le maillot, avec un sérieux digne du plus grand respect. Elle a joué avec le plus grand sérieux le rôle à elle confié dans ce qu’elle savait n’être qu’une farce, dans ce que tous les gens avertis savaient n’être qu’une farce. Il y avait là quelque chose de radicalement violent, dans cette espèce de mise à mort, d’exécution publique orchestrée froidement. Mais en même temps, et parce que personne au fond n’était dupe de rien, quelque chose de définitivement ridicule, comme ce défi enfantin donné à de grandes personnes. A quoi servait-il donc, ce défi ridicule ? A ridiculiser les institutions aux yeux du peuple, aux yeux de la terre entière. A prouver que celles-ci sont incarnées par des aveugles de la pire espèce, de celle qui a décidé de ne pas voir. Il n’y a pas pire aveugle que celui qui refuse de voir, qui est déterminé à ne pas voir. Mais cette honte dont on a recouvert le pays aux yeux du monde, elle rejaillit sur tous les Camerounais, individuellement et collectivement. Ils sont désormais tous, sans aucune exception, des citoyens d’un pays dont les dirigeants sont incapables de résoudre la plus simple des équations arithmétiques : 1+1=2 ; des citoyens d’un pays où il est possible à des personnes incapables de résoudre la plus simple des équations de gouverner aussi longtemps qu’elles le souhaitent ; des citoyens qui acceptent d’être couverts de honte aux yeux du monde sans véritablement en vouloir aux auteurs de ce forfait, en leur trouvant quelque fois, au contraire, des excuses. Des citoyens qui ne trouvent pas mieux, face à leur insigne malheur, que de s’en prendre à ceux qui ont conservé le courage de rester debout, à ceux qui ont retrouvé le courage de se relever alors qu’ils avaient chuté pour certains, de se dresser face à l’inacceptable, de lever haut le poing de la résistance, de montrer la direction du combat. Ce soir 05 août 2025, toute cette honte est désormais bue, jusqu’à la lie !
La République en sort complètement abimée. Elle n’est même plus une république, une res publica : elle est désormais un bien privé, privatisé, dont les propriétaires se comptent sur les doigts de la main. On a vu récemment ceux-ci tenir des rencontres d’une association privée, le RDPC, dans son sanctuaire le plus sacré, la présidence de la République. De la prestation du conseil constitutionnel, l’Etat sort également complètement défiguré. Il n’est désormais plus qu’un Etat menteur, tricheur, falsificateur. Un Etat dont la signature a perdu toute crédibilité parce qu’il peut signer une chose le matin et ne pas la reconnaître le soir, parce que sa signature n’engage plus que ceux qui y croient. Tous les actes revêtus de la signature de ce nouvel Etat sont désormais apocryphes. S’il ne les a pas déjà remis en question, rien en l’état actuel ne peut plus garantir qu’il ne le fera pas ce soir, demain matin, un de ces quatre matins. C’est également un Etat qui a cessé d’être un Etat de droit, qui a tordu lui-même le cou à l’Etat de droit. Il n’a toujours pas publié la liste électorale nationale, comme l’exige son propre code électoral ; il peut interdire ce que la loi permet, et exiger la déclaration des attroupements spontanés sous peine de sanctions…sans texte !
Ce 05 août 2025, le Cameroun officiel qui sort du Conseil constitutionnel a définitivement abandonné toute prétention à l’Etat de droit ; et le peuple toute illusion de vivre dans un Etat de droit. Cela restait à tous comme une ultime chimère à laquelle tous étaient désespérément accrochés, comme le naufragé à la queue du serpent. Désormais, chacun doit se trouver une autre bouée de sauvetage. Exit l’Etat de droit, bienvenue à l’Etat de force ! Est-ce une bonne chose pour le peuple d’avoir ainsi perdu sa dernière illusion ? On le saura. De l’affrontement titanesque entre Maurice Kamto, le « pape du droit » pour citer une figure en vue, l’Etat dit de droit, malgré ses grands prêtres qui se recrutent sur nos campus, malgré les incantations, est sorti en miettes, entièrement nu, sans même un cache-sexe. Désormais il ne peut plus faire usage que de ce qu’il lui reste : sa force, sa capacité à dire la force, à exercer la force, à passer en force. S’il n’y avait qu’une victoire que Maurice Kamto pouvait déjà revendiquer, ce serait celle-là : celle d’avoir contraint l’illusion d’Etat de droit à mettre les deux genoux en terre, à se démasquer, à se présenter dans toute la nudité de sa tricherie. Il peut toujours continuer à ergoter, à fanfaronner ; et il ne va certainement pas se priver de le faire. Mais il ne trompera plus grand-monde ; il ne trompera plus que ceux qui ont accepté d’être trompés par lui pour des raisons évidentes ou dissimulées.
Et que va-t-il se passer maintenant que l’illusion de l’Etat de droit s’est dissipée ? Que la privatisation des institutions républicaines est révélée au grand jour ? Que ceux qui tiennent les manettes de l’Etat ne cachent plus leur haine de la justice, du droit, du bien ? Personne ne le sait encore, mais le peuple doit vite trouver un chemin, aussi escarpé puisse-t-il être, pour ne pas céder à la tentation du chaos. Cet Etat de non droit qui s’exhibe de manière décomplexée, il ne faut pas s’y tromper, est un prélude au chaos. C’est un appel aux pêcheurs en eaux troubles de tous poils. Ces derniers ont tout à y gagner et le peuple, celui des honnêtes gens, celui qui gagne difficilement son pain à la sueur de son front, a tout à y perdre. Bien sûr, ce peuple ne le sait pas encore. Il le sait toujours trop tard, quand le Rubicon est déjà franchi. Tous ceux qui se considèrent comme l’élite de ce peuple doivent donc se mobiliser, maintenant ! Demain, il sera sans doute trop tard !
Roger KAFFO FOKOU, écrivain.
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