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Avenir du modèle démocratique : des pistes pour sortir du carcan de la démocratie libérale.

Par Roger KAFFO FOKOU, auteur de Capital, travail et mondialisation vus de la périphérie, l’Harmattan, 2011

 

La démocratie libérale est à bout de souffle et il est grand temps de penser à son au-delà. Le rêve d’une société véritablement démocratique, rêve jusqu’ici trahi par la démocratie libérale autant qu’il l’a été par la démocratie dite populaire, ne doit pas mourir. Il est au bout du chemin et il suffit de franchir l’horizon actuel, pour apercevoir, même si de loin, la terre promise…

 

La démocratie grecque était directe et offrait la possibilité à tous les citoyens de participer à la prise de décision. Mais n’était pas citoyen grec qui voulait. Avant les réformes de Solon (594 av. J.-C.), sur 340.000 à 400.000 habitants, la Grèce ne comptait que 35.000 à 40.000 citoyens. Les réformes de Solon vinrent instaurer l’égalité de naissance mais non l’égalité politique qui, elle, dépendait encore du pouvoir financier de chacun. Ainsi, dans une société divisée désormais en 4 classes en fonction de la richesse, seules les membres des 3 classes du dessus pouvaient avoir accès aux charges politiques. Et ils constituaient la stricte minorité. La classe des pauvres au bas de l’échelle ne pouvait servir que dans la marine, en qualité de galériens ! Seul Clisthène (v. 570-507 av. J.-C.), et encore ce ne fut que pour faire contrepoids à l’hostilité que lui vouait l’oligarchie athénienne, vint élargir l’assiette de la démocratie grecque, avec un succès d’ailleurs mitigé. En fermant les yeux sur les différences de fortune pour ne considérer que le lieu de résidence, il mit en place le véritable modèle qui allait inspirer l’Europe à partir du XVIIIè siècle.  

Plus de deux millénaires après, la démocratie directe grecque inspira en effet les libéraux européens des XVIIIè  et XIXè siècles, marchands et penseurs bourgeois. Quelles que soient les raisons qui sous-tendaient leur action, ceux-ci se firent les champions des droits de l’homme et des libertés, et prêchèrent comme catéchisme politique la démocratie, qu’ils définirent sur une base étymologique comme le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. Mais comme l’on n’était plus à l’époque des cités grecques et qu’aucune arène ne pouvait être assez vaste pour abriter l’ecclésia,  - assemblée qui réunissait tous les hommes-citoyens de plus de 18 ans dans la Grèce de Solon - ils durent se résoudre à forger une démocratie indirecte, autrement appelée démocratie représentative. Mais qui allait donc représenter qui ? C’est là que le débat permit de forger l’âme perverse que la démocratie libérale a gardée jusqu’à ce jour.

Le problème part du concept central de la démocratie libérale : le peuple. A quoi renvoie-t-il ? A un ensemble d’individus, répond Rousseau : on débouche sur la souveraineté populaire et le mandat impératif. A la nation, rétorque Montesquieu, c’est-à-dire à une entité abstraite et indivisible en individus : on débouche sur la souveraineté nationale et le mandat représentatif. La seconde position triomphera, et permettra de bâtir la démocratie sur une fondation fictive, le peuple assimilé à la nation. Comment voulait-on qu’une telle démocratie ne fût pas elle-même fictive ?


En effet, à partir du moment où l’on déréalisait le peuple et qu’on s’en faisait une idée toute romantique sur la base d’une égalité fictive, l’on permettait à une inégalité bien réelle d’opérer en toute discrétion et impunité. Tandis que le peuple fictif n’était constitué que d’égaux, le peuple réel était bel et bien structuré en groupes d’intérêts inégaux et disposant d’atouts spécifiques : les militaires, les hommes d’église, les marchands et les travailleurs. Cette répartition recoupe d’ailleurs celle de la société de l’ancien régime français que la révolution de 1789 a prétendu avoir gommé par la seule magie d’un slogan : « liberté – égalité – fraternité ». A l’époque, l’on parlait d’aristocratie, de clergé et de tiers-État, cette dernière catégorie étant subdivisée en marchands, artisans et paysans, les deux derniers sous-groupes constituant le groupe des travailleurs.


 Pendant les états généraux, chaque groupe élisait ses représentants, ce qui permettait à l’assemblée des états généraux de parler le langage authentique de tous les groupes d’intérêts constituant le peuple. Avec l’avènement de la démocratie libérale, les militaires en ont été exclus mais sont devenus un des grands corps de l’Etat ; autant dire qu’ils se sont vus intégrés dans la substance même du pouvoir d’Etat. Le clergé a été également évincé mais a conservé le pouvoir d’onction des élus, forme moderne du pouvoir d’investiture, ce qui en a fait un client privilégié du pouvoir politique, et donc un incontournable allié. Les marchands quant à eux ont pris le pouvoir. Et le reste ?


Travailleurs, artisans, paysans, ouvriers et autres, ainsi que leurs représentants, exclus de l’enceinte de la véritable représentation politique qu’est l’assemblée ou le parlement, se sont retrouvés poussés dans l’impasse syndicale, de l’autre côté du pouvoir d’Etat. Et tandis que les autres solidairement décident, ils sont vus réduits à quémander auprès de ceux-ci des bouts de décisions favorables à leurs intérêts.  


Comment a-t-on pu faire croire qu’en excluant la majorité numérique du peuple du cercle de la représentation, de la décision, l’on avait quand même mis en place un système démocratique dans lequel le peuple gouvernait par lui-même et pour lui-même ? Il y a là une mystification qui a fonctionné pendant près de deux cents ans mais qu’il est temps de démonter. Il est temps d’aller au-delà de la démocratie libérale, non pas en donnant le pouvoir aux pauvres dans une espèce de dictature impossible et absurde du prolétariat, mais en permettant aux divers groupes qui constituent le peuple réel et non le peuple-nation fictif d’exercer chacun son droit sacré à la participation. Quel meilleur moyen d’y parvenir que celui qui consiste à ouvrir les parlements à un système de représentation sur la base de collèges électoraux formés chacun des membres d’un des 4 groupes qui composent réellement le peuple, à savoir les militaires, le clergé, les marchands et les travailleurs ? Telle me semble être la voie d’avenir pour dépasser la démocratie libérale vers une démocratie de plus en plus véritable.



26/12/2011
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