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Bataille médiatique : comment la communication de Sarkozy a raté le débat du 2 mai 2012

Par Roger KAFFO FOKOU, auteur de Capital, travail et mondialisation vus de la périphérie, l’Harmattan, 2011, et Médias et civilisations, Inédit.


Depuis quelques temps nous n’avons cessé d’attirer l’attention des uns et des autres sur le phénomène médiatique[1] comme production et consommation, volontaire ou involontaire, d’images. Nous avons même consacré un ouvrage entier aux médias, ouvrage qui malheureusement est encore en attente de publication depuis que nous nous sommes brouillés avec notre éditeur, ce dernier n’appréciant visiblement pas notre liberté d’esprit et de ton. Mais peu importe le nombre des mises en garde, les médias fascinent et endorment même les plus avertis (les experts en communication), probablement en raison de leur pouvoir narcotique. La dernière campagne pour l’élection présidentielle en France en est une excellente illustration. Il suffit de passer au crible la communication du candidat président Sarkozy : l’on a le sentiment qu’il a payé ses conseillers en communication – très cher probablement – pour rien, et que si ces messieurs étaient honnêtes, ils lui rendraient son argent. Tout au long de la campagne, ils n’ont pas semblé comprendre que tout se jouait au niveau non pas analytique (c’est-à-dire de l’hémisphère cérébral gauche donc de la rationalité pure) mais du synthétique (de l’hémisphère cérébral droit donc de l’image et même des images). Cette incompétence a culminé au cours du débat du 2 mai 2012.


M. Sarkozy démarrait cette campagne avec une situation paradoxalement déficitaire d’images  qu’il fallait corriger. D’un côté deux images négatives : celle d’un président ayant raté son quinquennat d’où l’obstacle théoriquement insurmontable du bilan auquel son principal adversaire s’est accroché et qu’il a exploité outre mesure, et celle d’un mauvais garçon élevé par erreur à une dignité qu’il ne mérite pas, d’où la rhétorique du « président normal » que la gauche n’a cessé de brandir. Pour contrebalancer ce double déficit, deux images positives: celle d’un président techniquement très compétent et maîtrisant presque parfaitement ses dossiers, et celle d’un capitaine courageux sur qui l’on peut compter en temps de crise. Il y avait donc équilibre ? Point du tout : le second point faible de Sarkozy tendait à faire de lui quelqu’un à qui l’on ne pouvait pas se fier sans risque. Il ne semblait pas être au-dessus de tout soupçon et pouvait passer pour quelqu’un de qui l’on devait s’attendre à tout. Vu sous cet angle, sa très grande expertise devenait un handicap, un peu comme une arme de très grande précision entre de mauvaises mains. On voit comment un équilibre apparent au plan quantitatif a pu se muer en un déséquilibre de fait au plan qualitatif. L’objectif de la campagne aurait dû être la correction de ce déséquilibre négatif pour essayer d’atteindre l’équilibre ou quelque chose de mieux, c’est-à-dire un déséquilibre positif.  
Face à Sarkozy, Hollande il est vrai n’avait pas non plus que des qualités. Il trainait notamment une image de mollesse (la gauche molle comme disait Martine Aubry) en temps de crise qu’il essayait de blanchir en la faisant passer pour de la normalité ; il avait un programme de campagne qu’il ne tenait pas à faire examiner de très près. Pour réussir ce doublé, il lui fallait réussir à attirer le moins d’attention possible sur lui-même et sur son programme, et faire maintenir les projecteurs sur Sarkozy en veillant à ce que ce dernier n’en tire pas profit, c’est-à-dire en faisant de telle sorte que la lumière ne ressorte que les images négatives de Sarkozy. Cette stratégie a-t-elle réussi à la gauche. Oui : Hollande et son équipe n’ont pas arrêté de rappeler à Sarkozy toutes les cinq minutes son bilan, qui au fond n’était pas son bilan mais celui qu’ils lui ont collé dessus et réussi à imposer à l’opinion comme fait établi et vérifié ; Sarkozy a fini par porter ce faux bilan comme un véritable boulet. D’autre part, ils ont réussi presque sans effort à faire que Sarkozy donne lui-même la preuve de ce qu’ils disaient de lui, à savoir qu’il était un mauvais garçon : cet acharnement à crier que Hollande « ment », à le dire aussi crument, sur toutes les tribunes, tous les plateaux, n’était pas autre chose qu’une confirmation des affirmations de la gauche. Avec cela, il a suffi de ressortir un ou deux mensonges de Sarkozy lui-même – qui d'entre eux ne s’est pas dédit une ou deux fois au cours de cette campagne ?  Aussi le principe de « que celui qui n’a jamais péché lance la première pierre » s’est-il appliqué – pour que le délit de mensonge se retourne contre le président-candidat. De quelles possibilités disposait la communication de Sarkozy pour contrer ceux de la gauche et atteindre ses propres objectifs ? Tout sauf ce que l’on a vu au débat télévisé du 2 mai 2012.


Sur la question du Bilan : il était prévisible que Hollande, qui n’avait pas de bilan à défendre, en ferait le centre du débat. Du côté de Sarkozy, l’on n’a vu à l’œuvre aucune stratégie mise en place pour contrer cela.  Le programme de 2007 sur lequel l’on a jugé le président candidat était pourtant devenu caduc avec la survenue de la crise dès 2008, et parce que cette crise a couvert 4 années sur le quinquennat de Sarkozy, c’était davantage sur la gestion de la crise qu’il eût fallu faire son bilan. Or ce bilan-là était loin d’être négatif, au contraire. Et cela n’est pas vraiment ressorti dans la campagne, ni au cours du débat. Sarkozy est donc apparu sans doute comme un remarquable résistant, mais très peu comme un vainqueur. Une image en demi-teinte donc.


Sur la question de sa personnalité, de l’image désastreuse d’un président « anormal ». Il est apparu au débat agressif, agité, disant à répétition à Hollande qu’il était un menteur et un calomniateur. C’était exactement le piège qui était tendu et dans lequel il s’est engouffré et s’est retrouvé enfermé, cadenassé. Constamment en avance sur Hollande sur le temps de parole, il a perdu la plupart du temps l’initiative du débat et s’est vu contraint à la réaction, position pas toujours confortable. Il aurait pu s’en rendre compte, s’en est peut-être rendu compte mais n’a rien fait pour corriger cet inconvénient. Pourquoi ? A notre avis parce qu’il croyait que cela lui profitait de parler plus. Ses stratèges, on le sentait bien, avaient préparé le débat sur les programmes à dérouler, à expliquer, misant sur l’expertise de Sarkozy, sa très grande capacité à convaincre. Nous avons déjà vu que ce ne pouvait être que l’opposé de la stratégie du camp Hollande, et cela n’a pas été payant pour Sarkozy.


 D’abord, celle-ci a conduit à mettre beaucoup de temps à enfoncer une porte ouverte. Il n’était pas nécessaire de s’appliquer tant à convaincre les Français d’une chose dont ils étaient déjà convaincus par avance, à savoir que Sarkozy est très compétent sur les sujets techniques, qu’il maîtrise bien ses dossiers, et qu’il sait les défendre avec conviction. Beaucoup de temps perdu à essayer de prêcher aux convertis. Pendant ce temps, tout ce qui avait trait à la personnalité a été oublié, et c’est là-dessus que tous les adversaires de Sarkozy mais surtout Hollande ont fait la campagne et le débat.
Le discours de la défaite de Sarkozy a corrigé l’essentiel de ces erreurs de communication, trop tardivement cela va sans dire. On peut imaginer que ce discours-là, il l’a fait tout seul, les rats ayant probablement déjà quitté le navire. Les mots prononcés venaient du cœur, et faisaient mouche à tous les coups. Le plus beau discours de Sarkozy de toute la campagne. L’image de lui que cette dernière adresse a construite aurait pu, survenue à temps, modifier bien des choses. Ses communicateurs avaient misé sur autre chose que des images : des slogans, des argumentations, des démonstrations, apparemment sans jamais prendre en compte le fait qu’ils construisaient à chaque slogan, à chaque argumentation, démonstration une image susceptible, si elle n’attire, ne rassure, n’apaise, de repousser, inquiéter, faire peur. Et ce second cas de figure a fini par l’emporter, de peu il faut le dire, mais en matière électorale il suffit de peu pour tout changer.  

 

[1] Voir les articles « L’image : un pouvoir qu’il ne faut pas subir inconsciemment », 22 septembre 2011, « Mort de Kadhafi en images : au-delà des excuses de Libération », 25 octobre 2011, « Attention, les images sont des médias bien plus dangereux que vous ne croyez ! », 24 novembre 2011, tous sur https://demainlafrik.blog4ever.com




07/05/2012
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