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Brexit : Boris Johnson seul contre le parlement britannique et Bruxelles, mais pas contre tous

La nuit dernière, le parlement britannique, après lui avoir imposé il y a tout juste quelques jours une obligation d’accord avec l’UE avant toute séparation, vient de refuser à Boris Johnson l’organisation de nouvelles élections. C’est certes un camouflet de plus pour le toujours très populaire premier ministre britannique, et cet oxymore politique justement donne à réfléchir. Alors que certains s’en délectent, cette longue série de passes d’armes perdues par le sommet de l’exécutif britannique depuis Theresa May traduit une véritable crise du parlementarisme du Royaume-Uni, une crise dont les instigateurs ne sont pas forcément du côté que pointent les médias mainstream. Confrontée à la rouerie de l’institution bruxelloise, cette crise révèle finalement la volonté d’une certaine élite européenne d’instrumentaliser les institutions et les processus démocratiques pour faire barrage aux intérêts du grand nombre.  Si cette stratégie est payante jusqu’ici, elle pourrait à force se retourner et ouvrir la boîte de pandore.

Boris Johnson a donc, et cela était aisément prévisible, de nouveau perdu face aux parlementaires britanniques la nuit dernière. C’est une humiliation de plus, à n’en pas douter. Cela l’a-t-il surpris, lui ? On peut en douter. S’il s’est malgré cette ultra prévisibilité exposé à ce camouflet de plus, on peut parier que cela n’a pas été par naïveté, par mauvais calcul. Il a vu Theresa May se heurter au même mur parlementaire avant lui.  La nouveauté cependant, c’est qu’il s’est installé au 10 Downing street avec une ambition opposée à celle de sa prédécesseur : May voulait à tout prix un « deal » avec Bruxelles, lui Johnson en voulait peut-être un aussi, mais était prêt à s’en passer le cas échéant. Entre le Parlement britannique et Bruxelles, on a pu voir, dans un cynique jeu de pingpong, la pauvre Theresa May se faire propulser d’un côté à l’autre du canal, impuissante et pourtant terriblement volontaire, sous les acclamations et les quolibets des uns et des autres.

L’accord que pouvait lui concéder Bruxelles n’était jamais assez bon pour les parlementaires britanniques, et les concessions qu’espéraient les parlementaires britanniques étaient hors de question pour Bruxelles. Avec Johnson, Bruxelles s’est subitement réconciliée avec le parlement britannique sur la nécessité absolue d’un brexit avec accord. Ledit accord sera-t-il plus aisé à conclure avec Boris Johnson qu’il ne l’a été avec Madame May ? Bruxelles ne cache pas qu’il n’en sera rien, et le parlement britannique n’en est pas dupe. Il faut donc absolument un accord avant tout départ du Royaume-Uni de l’UE, mais le seul accord que l’UE est disposé à conclure avec les Britanniques est inacceptable des parlementaires britanniques. Cela veut dire une seule chose : Bruxelles et les parlementaires britanniques sont d’accord pour que le Brexit reste lettre morte. Deal ou no deal, ce que les deux institutions veulent et mettent tout en œuvre pour imposer, c’est le « no brexit at all ».

Face à cet attelage quelque peu étrange, Boris Johnson, comme l’était Madame May, est bien isolé. Mais est-il seul ? On pourrait le penser si de récents sondages au Royaume-Uni ne montraient la cote toujours très élevée du premier ministre britannique. Qui sont-ils donc, ces gens qui, en nombre, continuent à soutenir ce premier ministre que le parlement (théoriquement constitué d’élus du peuple) n’a de cesse de ridiculiser depuis qu’il a pris le risque d’emménager au 10 Downing street ? On peut penser que, parce que Johnson veut à tout prix mettre en œuvre le brexit, avec ou sans accord, il s’agit de ceux-là mêmes qui avaient voté en faveur de cette solution, et qui avaient alors été majoritaires. Peut-être le sont-ils encore ? Cela permettrait de comprendre pourquoi les parlementaires britanniques ne souhaitent pas retourner aux urnes avant de s’être assurés que leur solution liera Johnson dans toutes futures éventualités. La démocratie aurait-elle subitement peur d’elle-même ?

Cette question se pose d’autant que dans toutes les facultés de droit, l’on enseigne que le referendum est l’outil démocratique par excellence : il permet de consulter directement le peuple quand les élus estiment que la question à trancher est si essentielle que le principe de représentation devient faible comme caution à la décision à prendre. Dans le cas du Brexit, la question de la sortie de l’UE est apparue avec raison comme une question de ce type. Appelé à se prononcer, le peuple britannique l’a fait. Apparemment dans un sens que ne souhaitait pas son élite. Et celle-ci ne semble nullement disposée à reconnaître la souveraineté de ce peuple, quoique l’on soit en démocratie au Royaume-Uni. Aussi a-t-elle décidé de prendre en otage l’agenda de l’exécutif britannique qui, du coup n’agit plus ou ne doit plus agir que sous la dictée du parlement. On peut alors se demander qui, le moment venu, devra rendre compte au peuple des résultats de l’action de l’exécutif britannique : le premier ministre et son gouvernement désormais sous la botte du parlement, ou le parlement ayant manœuvré pour imposer un contrôle a priori sur l’action de l’exécutif britannique ? Nous sommes donc bel et bien en présence d’une grave crise du parlementarisme britannique, et celle-ci trace de nouvelles limites à la démocratie dans un système réputé jusque-là plus avancé dans le domaine.

En fait, la démocratie aujourd’hui, qu’elle soit de type présidentiel ou  parlementaire, semble avoir de plus en plus de mal à s’accommoder de la souveraineté du peuple. La raison principale pourrait être que les élites l’ont prise en otage et ne la tolèrent plus que lorsqu’elle énonce leur catéchisme à eux. En 2005, les Français rejettent par referendum le traité constitutionnel européen. Nicolas Sarkozy le remplace par une copie – le traité de Lisbonne - qu’il fait voter par le parlement français réuni en congrès. En catalogne, l’on a vu à quel point le vote du peuple pouvait irriter les élites dirigeantes, comme ce fut le cas en Grèce au plus fort de la crise économique dans ce pays.

La démocratie peut-elle se permettre de ne prendre en compte l’avis du peuple que lorsque celui-ci arrange ses élites ? Et lorsque lassé des promesses sans lendemain le peuple se tourne vers les Marine Le Pen et les Mateo Salvini, la solution est-elle de court-circuiter l’exercice normal de la démocratie comme on l’a récemment vu faire ouvertement en Italie ou comme l’on a l’habitude de le faire de façon déguisée en France ? Toutes ces stratégies qui s’apparentent à des coups bas, tout en discréditant ceux qui en usent, ne discréditent-elles pas à la longue la démocratie elle-même ? Ne traduisent-elles pas l’entêtement d’une classe politique soit incapable de changer (et on aimerait bien savoir pourquoi) soit déterminée à ne pas le faire, et qui dans ce cas apparaitrait véreuse et cynique ? En tout cas, la montée ininterrompue de ce que l’on appelle « populismes » depuis près d’une décennie devrait donner à réfléchir aux uns et aux autres.

Roger Kaffo Fokou, écrivain

 

 



11/09/2019
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