BURKINA FASO : Le corps et l’esprit de Thomas Sankara
Ouagadougou, marché central de Baskuy, marché dit « des dix », ou n’importe quel autre place commerçante de la cité capitale du Burkina Faso. Comme dans toutes les grandes villes d’Afrique de l’Ouest, les motocyclettes abondent, s’arrachant des parkings interminables jusque dans les recoins les plus invraisemblables. Sur les allées encombrées entre deux rangées de boutiques ou de magasins, les intermédiaires sont à l’affût, vigilants ; courtiers agiles, intelligents, ils sont en plus de fins psychologues. L’étranger a beau se déguiser, jouer les habitués du marché, ils le repèrent presque infailliblement et, malgré ses protestations, se collent à lui, s’insinuent dans sa compagnie, le conseillent, lui suggèrent la meilleure qualité, le meilleur prix, les comptoirs les mieux fournis, et lui tiennent compagnie tout le temps qu’il faut. Oui, il n’y a pas plus adroit qu’eux pour se recruter à votre service, avec une patience illimitée, et la politesse la plus exquise du monde. Dès l’entrée du marché, c’est une foule, un essaim qui vous assaille, bruisse dans vos oreilles, exécute un véritable carrousel autour de vous. Et si vous débarquez de Douala, cela peut vous paraître suspect, susciter chez vous de l’inquiétude. Ne vont-ils pas vous soutirer votre porte-monnaie, votre téléphone portable ? Ce n’est pas impossible mais c’est rarissime ici. Vous êtes au pays des hommes intègres, au Burkina Faso, au pays de Thomas Sankara.
Voyez-vous, ce qui frappe un étranger de passage à Ouagadougou, c’est combien peu l’on y parle de Blaise Compaoré. Pas que celui-ci soit détesté dans son pays. L’on ne semble vraiment pas se plaindre de lui. C’est comme si l’on n’avait pas grand-chose à dire sur lui. Mais dès que vous évoquez Thomas Sankara, les vannes s’ouvrent, l’on devient prolixe. Le CD de Sankara se vend partout et, à la première occasion, l’on s’offre pour vous le faire lire et vous le commenter. « La révolution ? Vous savez, j’étais un gardien de la révolution du temps de Sankara », vous affirment un nombre surprenant de gens. Est-ce qu’ils ne fanfaronnent pas par hasard ? Mais non, ils sont sérieux. Et qu’est-ce qu’ils semblent fiers de leur révolution ! Le Burkina Faso sous Blaise Compaoré est étrangement demeuré le pays de Thomas Sankara.
Parfois, vous les taquinez :
- Vous êtes de mauvais gardiens de la révolution !
- Pourquoi ?
- Vous avez laissé assassiner le guide de la révolution.
Ils sourient, pas fâchés du tout. Pourquoi ? Peut-être parce que pour eux, la révolution n’est jamais morte, tant pis pour les rectificateurs. Cela explique certainement en bonne partie pourquoi le corps du capitaine gît presque abandonné dans un cimetière misérable, livré à la broussaille à la périphérie d’Ouagadougou. Quelques tombes ordinaires, stèles oubliées dans une espèce de champ vague à la lisière d’un pâté de maisons informes et sans style : Sankara et les siens ! Lui qui se souciait tant de la misère du peuple, on l’y a logé pour l’éternité. A moins que… Heureusement que l’homme n’est pas seulement corps, et que l’esprit de Sankara réside ailleurs, plus confortablement, dans les cœurs et la mémoire de ses compatriotes. Si le grain ne meurt….
Roger KAFFO FOKOU, écrivain...
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