Cameroun et mal gouvernance : le covidgate à l’aune de la présomption d’innocence
En mi-mai, un rapport d’étape de la Chambre des comptes sur l’utilisation des fonds destinés à la riposte au corona virus au Cameroun fuite dans la presse et suscite un énorme scandale d’Etat. 167 milliards de francs CFA auraient été dépensés dans une totale opacité pour couvrir d’indécentes irrégularités. Selon Jeune Afrique, même le Chef du Gouvernement est convoqué et entendu dans cette affaire. L’opinion s’en émeut et réclame des têtes, mais le couperet tarde à tomber. Et alors que le rapport final de la Chambre des comptes disponible et annoncé à l’Assemblée Nationale est attendu de tous, son audition est déprogrammé sans la moindre explication à la veille de l’événement. Que se passe-t-il dans les coulisses du pouvoir autour de ce dossier dont il ne serait pas exagéré de dire, au regard du faisceau de présomptions qui l’entourent, qu’il a tout l’air crapuleux ?
Pour une bonne frange de l’opinion, le sommet de l’Etat hésite à appuyer sur le bouton de ce qui serait une véritable bombe à fragmentation, redoutant l’éventuelle puissance de la déflagration. Dans le camp du pouvoir en place, on tente la pirouette de la banalisation, met en avant la volonté du Chef de l’Etat de lutter contre la corruption, et crie à la violation de la présomption d’innocence. Mais en quoi et par qui ?
Faut-il qu’on s’en souvienne, cette affaire naît en 2020 de la détermination d’un lanceur d’alerte peu susceptible d’être muselé : le député SDF Jean-Michel Nintcheu. Elle n’est alors, malgré les éléments de probation épars que le parlementaire a grappillés ici et là, que l’ordre de la dénonciation. J.-M. Nintcheu saisit les rédactions, écume les plateaux de télévision, s’accroche malgré la mise en branle de la riposte multiforme des hommes d’en face. On peut à ce stade évoquer sans ridicule la présomption d’innocence, pour en appeler à la retenue dans les déclarations et propos des uns et des autres, de peur de voir l’opprobre jeter sur des personnes et leur causer des dommages éventuellement irréversibles, sans que l’on puisse ultérieurement établir leur culpabilité.
Il est constant que la présomption d’innocence est aujourd’hui bien installée dans l’arsenal juridique camerounais, notamment dans le préambule de la Constitution de 1996 (selon son article 65, ce préambule fait partie intégrante de la Constitution) qui dit que « tout prévenu est présumé innocent jusqu'à ce que sa culpabilité soit établie au cours d'un procès conduit dans le strict respect des droits de la défense », puis dans l'article 8 de la loi N°2005/007 du 27 juillet 2005 portant code de procédure pénale au Cameroun qui dispose ce qui suit: « Toute personne suspectée d'avoir commis une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui seront assurées. »
Il ressort cependant clairement de ces deux textes que la présomption d’innocence ne fait nullement obstacle à la suspicion (CPP 2005) ni à la prévention (Constitution de 1996). La suspicion comme l’on sait ouvre la voie vers la prévention. Et la prévention consiste justement à prendre des mesures pour que le suspect ne puisse pas se soustraire à la justice, soit en effaçant les traces de son éventuel crime, soit en se mettant hors de portée de la justice. On voit en quoi certains actes d’instruction relèvent de la mise en œuvre de la prévention, en d’autres termes, permettent à la justice de transformer le suspect en prévenu. Mais pour franchir cette étape, il faut plus que de simples dénonciations. Et c’est à ce niveau qu’intervient, dans ce dossier, la Chambre des comptes de la Cour suprême et ses rapports.
La Chambre des comptes, faut-il insister sur le fait, fait partie de la Cour suprême, la plus haute juridiction de l’Etat. Lorsqu’elle se saisit d’une affaire, elle pose dès lors un acte judiciaire qui ne saurait plus être situé au même niveau qu’un acte de simple dénonciation, et qui pour le moins ne pourrait s’assimiler qu’à un acte d’instruction. Son rapport, adressé au TCS, équivaut à une mise en examen des personnes concernées par les dossiers ainsi transmis. Celles-ci sont toujours présumées innocentes, mais désormais pèse sur elles un doute raisonnable qui justifie le fait que, pour l’opinion et également pour leurs relations contractuelles (mais non pour la justice cela s’entend), si elles ne sont pas déjà coupables, l’on ne puisse plus désormais les considérer et les traiter (ou traiter avec elles) comme innocentes, jusqu’à ce que le jugement ait clarifié leur situation. Si ces personnes dépendent pour leur statut de la confiance qu’on leur accorde, cet état de choses invite à reconsidérer le contrat passé avec eux. Aussi sous d’autres cieux sont-elles invitées poliment mais fermement à démissionner dès lors qu’elles sont mises en examen. Qu’en sera-t-il au Cameroun dans le cadre du covidgate ? Let’s wait and see.
Roger Kaffo Fokou
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