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Cameroun : la paix suspendue à un fil bien ténu

Par Roger KAFFO FOKOU, auteur de Cameroun: liquider le passé pour bâtir l'avenir, l'Harmattan, 2009

 

En pleine campagne électorale, la ville de Douala et ses environs viennent de vivre une journée cauchemardesque. En 2008, il s’était agi de jeunes désespérés qui, lâchés par la société, avaient voulu faire un peu de bruit pour rappeler à tous et surtout à ceux qui se sont accaparés le pays leur existence et leur misère. On ne peut s’empêcher de songer avec frisson comment cette plainte désordonnée et pourtant légitime avait été gérée et le dossier liquidé : férocement. En tout cas quel qu’en ait été le prix, la paix, si chère au cœur de l’establishment camerounais, avait été rendue aux bonnes gens, très provisoirement comme l’on a pu s’en rendre ce jeudi 29 septembre 2011.

Qu’on le veuille ou non cependant, ce jeudi marque une escalade indiscutable. En face de la troupe ce matin, ce n’était plus une bande de jeunes braillards cassant quelques vitrines de leurs poings nus pour dérober de quoi s’acheter un bout de pain.  Ce jeudi matin en face de la troupe, il y avait une troupe, du moins c’est ce qu’il a été donné de voir en attendant plus informé. En tous les cas, le canon ne tonnait plus d’un seul côté comme en 2008. S’il ne s’agit pas là d’un très mauvais signal, on ne peut nier qu’il s’agisse d’un signe de mauvais augure.

Les événements de 2008, nous les avions anticipés et tenté d’amener les hommes au pouvoir à les éviter. Dans une lettre que nous avions alors adressée en 2006 aux grandes représentations diplomatiques en place à Yaoundé et ayant pour objet « La position de votre pays par rapport à la situation de l’école et de la jeunesse camerounaises », nous écrivions qu’après l’échec aux objectifs du millénaire, le Cameroun était sur la voie de l’échec aux objectifs du XXIè siècle et qu’il s’agissait là d’une recette infaillible pour les instabilités à venir. « Le Syndicat National Autonome de l’Enseignement Secondaire (SNAES) disions-nous, pense qu’il est encore possible de corriger le tir pour limiter les dégâts. A condition d’agir sans délai. Si la coopération que votre pays exerce avec le Cameroun a une occasion historique de rendre un service véritablement utile à ce pays, voici de tous les secteurs celui où elle doit s’exercer en priorité. Demain, quand il faudra s’investir dans les médiations pour le retour à la paix, il sera déjà tard ». Seule l’ambassade de France nous avait alors reçu, écouté, puis vraisemblablement classé le dossier sans suite. Et Février 2008 était venu rappeler douloureusement que nous n’avions pas été en pleine science-fiction. Le bilan de 2008 reste encore à faire.  Il est vrai que nos hommes au pouvoir ne manquent jamais une occasion de faire une messe pour la paix, de préférence une messe œcuménique pour respecter la diversité religieuse.

La dernière en date s’est justement organisée à Douala…il y a tout juste quelques jours ! A Douala ! A Douala ! A Douala ! Ironie du sort ? Il y a comme un engrenage maléfique qui s’est mis en marche et qui tourne inexorablement. Le Sablier de la fatalité ? Lorsque nous avons promis 25.ooo emplois aux jeunes diplômés, nous avons récolté plus de 400.000 dossiers. Il y aura donc au moins 375.000 candidats déçus au bout de l’opération. 74% de jeunes Camerounais ne franchissent pas la classe de 5è. Ceux-là n’avaient pas la possibilité de s’aligner pour postuler pour les 25.000 postes en jeu. Combien de dossiers aurions-nous reçus si eux aussi avaient rempli les critères requis ? Je vous laisse le soin d’évaluer.

Dans un pays riche comme le Cameroun, où la jeunesse voit des immeubles de luxe pousser comme des champignons autour d’elle, où à chaque seconde l’on est dépassé dans la rue, dans tous les sens, par une grosse cylindrée et ce jusque dans nos plus petites villes ; dans un pays où les hommes aux affaires ne détournent pas s’il ne s’agit de milliards… Avez-vous observé le faste de la campagne électorale présidentielle ? Déploiement de matériels et de gadgets finement travaillés, tentes de luxe, chaises jupées, ballets de grosses cylindrées, billets craquants qui voltigent en tous sens… minuscules îlots de richesse dans un océan de misère, véritable insulte pour ceux qui ont perdu désormais jusqu’à l’espoir d’un lendemain non pas meilleur mais moins catastrophique. S’il est possible qu’il y ait une chose de pire que l’injustice, ce serait sûrement l’ostentation de celle-ci. Dans une édition de la Voix de l’Enseignant publiée en mai 2009, nous disions déjà que « L’injustice est le mal suprême ». A l’heure où malgré toutes les formes d’incantation il est clair que la paix sociale est de plus en plus menacée au Cameroun, il est bon que nous relisions cette mise en garde qui apparaît plus que jamais d’actualité :

« Il est des vérités qui nous viennent du fond des âges et nous arrivent odorantes et puissantes comme fraîchement cueillies. « La justice renferme toute vertu », dit Théognis à la fin du VIè siècle avant notre ère. Cette phrase met en exergue le concept de justice et le définit comme la source de tout bien. Or l’on sait que pour Platon, le vrai, le beau et le bien se confondent. Et si la justice est la vertu suprême, celle qui renferme toutes les vertus c’est-à-dire la perfection, alors l’injustice est le vice suprême, celui qui renferme tous les vices, en un mot le mal absolu. Il est vrai, la justice comme idéal est insaisissable et peut-être n’existe-t-elle pas tout simplement. Le besoin profond et viscéral de justice que l’homme éprouve a cependant une origine et a amené les sociétés à codifier un ensemble de normes dites positives qu’elles se sont imposées au nom de cet idéal : la nature a horreur du vide. A défaut donc d’une justice tombée du ciel, les hommes ont créé par eux-mêmes leur divinité de justice devant laquelle ils ont tous l’obligation de se prosterner. Ainsi conçue, la justice se confond avec le droit, subjectivement ou objectivement.

Ramenée au niveau d’un Etat, la justice comme droit est à la base de ce que l’on appelle l’Etat de droit qui n’est autre qu’un Etat qui fonde son action sur des règles de droit c’est-à-dire sur ce qui est admis collectivement comme juste. Et comme/quand ces règles de droit sont instituées par l’ensemble du corps social à travers ses représentants, elles seules tracent les limites au-delà desquelles le juste devient injuste. L’Etat de droit, celui qui respecte le droit qu’il s’est librement donné, seul cet Etat est juste aux yeux de sa population, donc légitime. Or l’Etat est incarné par l’ensemble de ceux qui le dirigent d’une part, d’autre part par l’ensemble de ceux qui y sont gouvernés c’est-à-dire la population. Chacune de ces deux entités a le devoir, par fidélité pour l’Etat qu’ils incarnent chacune depuis sa position, de lutter pour le respect des règles qui font de cet Etat un Etat de droit, c’est-à-dire un Etat légitime, un Etat qui se refuse à céder à la pression de l’injustice. En principe, tout Etat aspire à devenir toujours plus juste, donc toujours plus légitime. Pour cela, l’injustice, quand elle émane des individus ou de groupes d’individus, doit être combattue par l’Etat ; quand elle émane des institutions de l’Etat, elle est une trahison, une félonie, et doit être combattue par le peuple.

La Constitution de la république du Cameroun en son préambule dispose que le peuple camerounais « affirme sa volonté inébranlable de construire la patrie camerounaise sur la base de l’idéal de fraternité, de justice et de progrès ». Elle ajoute que ce peuple est « résolu à exploiter ses richesses naturelles afin d’assurer le bien-être de tous en relevant le niveau de vie des populations sans aucune discrimination ». En instituant la pratique des rémunérations discriminatoires, l’Etat camerounais trahit donc l’idéal républicain contenu dans sa Constitution. La loi N°92/007 du 14 août 1992 portant code du travail en son article 2 dispose que «Le droit au travail est reconnu à chaque citoyen comme un droit fondamental.  L’État doit tout mettre en œuvre pour l’aider à trouver un emploi et à le conserver lorsqu’il l’a obtenu » En laissant l’immense majorité des jeunes Camerounais, diplômés et non diplômés, sombrer dans le chômage et le désespoir, l’Etat camerounais trahit derechef cet idéal de justice gravé dans la loi au nom du peuple.

Face à cette situation et sous peine de forfaiture, le peuple doit assumer sa part de responsabilité et se lever pour défendre l’Etat de droit, au nom de cet idéal républicain de justice et de progrès. Un tel engagement, auquel nul n’a le droit de se soustraire, n’est rien d’autre que la proclamation de cette vérité simple qu’il n’y a pas d’Etat de droit sans respect du principe de justice, et que seule la justice, appliquée également à tous, confère aux yeux de tous une légitimité indiscutable à l’Etat ».

 Quel type d’Etat avons-nous construit depuis 50 ans ? Si nous avons conservé un peu de bon sens, il est temps que nous cessions de faire courir un risque à la paix dans notre pays. Parce que si le fil venait à se rompre et la paix à se fracasser, il faudra beaucoup plus que quelques régiments de BIR mal équipés pour en récupérer les morceaux pour la refaire. Que ceux qui ont des oreilles pour entendre entendent.



29/09/2011
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