generationsacrifiées

La mondialisation marchande est darwinienne ou, si l’on préfère un mot comme on dit aujourd’hui plus kitsch, néo-darwinienne. Elle superpose un espace économique de plus en plus globalisé à des espaces politiques qui peinent à se décloisonner. Il s’agit là d’un mélange qui peut être explosif et l’est même de plus en plus, regardez l’Union Européenne. Les élus (et les moins élus) politiques doivent ainsi, dans les arènes internationales, se battre pour augmenter  les parts de marché - puisque tout devient marchandise - des Etats qu’ils dirigent ou font semblant de diriger, sous une double pression, extérieure des marchés et intérieure des populations. S’ils veulent y parvenir, ces élites politiques doivent se munir d’un diagnostic froid de l’environnement international et national comme base de l’élaboration et de la mise en œuvre d’une feuille de route réaliste et au besoin volontariste de développement et de croissance. Ce document, généralement baptisé à juste titre de stratégique, outil essentiel, n’est rien s’il n’est mis en œuvre méthodiquement et rigoureusement. Pour cela, les conditions d’une telle mise en œuvre, qui relèvent d’une science qui a nom gouvernance, doivent être réunies.

Depuis 2009, le Cameroun dispose d’un tel document et l’a fait savoir, urbi et orbi : c’est le document de stratégie pour la croissance et l’emploi (DSCE). Document réalisé avec un soin indiscutable, il peut même, à première lecture, paraître enchanteur, dans tous les sens du terme. Est-ce la formule – à la fois au sens chimique et alchimique – qui va transformer (ou transmuter ?) le cendrillon Cameroun en une radieuse princesse lorsque les douze coups de minuit sonneront l’entrée dans l’année de grâce 2035 ? C’est encore largement à voir. En attendant cette heure bénie, quel est l’état réel du Cameroun dans la mondialisation au moment où ce précieux sauf-conduit est supposé le propulser vers 2035 ? Ni paradis ni enfer, ainsi pourrait-on caricaturer la situation.  

Les paramètres principaux de ce pays sont en effet très mitigés : ni gaillard, ni tout à fait grabataire. Tout juste un tantinet hypocondriaque ? Sans doute. Le pauvre se porte le mieux qu’il peut, mais comme il singe de plus en plus l’âge de ceux qui le gouvernent… C’est pourtant ce qu’Alfred Sauvy aurait classé dans la catégorie pays jeunes, les plus de 55 ans n’y représentant qu’à peine 6,5% de la population! Mais voilà, les choses sont ce qu’elles sont et les conséquences à l’avenant. Le Cameroun, résultat sans doute de ce vieillissement précoce, ne pèse presque rien dans l’économie mondiale en 2014 : 0,02% des importations et 0,03% des exportations. L’indice de développement humain (IDH) y est de 0,504 pour la même année. Il était pourtant de 0,523 en 2007. Vous allez me dire que la différence est peu visible et vous n’aurez pas tout à fait tort mais il reste que la qualité de la vie s’y est donc dégradée au cours des sept dernières années, le reléguant au 24è rang du classement africain, et, successivement en 2012 et 2013, au 150è puis 153è rang sur 187 du classement mondial^[1]. Remarquable performance n’est-ce pas ? Cela s’appelle conforter sa place au fond de la classe. La pauvreté, au regard des données du DSCE, s’y est pourtant allégée depuis la mise en œuvre du Document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP, 2003), mais si peu qu’on hésiterait à le clamer sur les toits. Entre 2001 et 2007, la proportion de la population en-dessous du seuil de pauvreté y a diminué imperceptiblement, passant de 40,2% à 39,9%. La mise en œuvre de la première étape du DSCE de 2010 à 2014 a-t-elle modifié cette situation ? Selon la banque mondiale, les perspectives du pays seraient encourageantes. Selon la Banque Mondiale…

Roger Kaffo Fokou, Eduquer pour une mondialisation humaniste, Chapitre II, L'Harmattan, 2015, pp.28-29