Cameroun, projets dits « structurants », intérêts du grand capital et populations déshéritées
Par Roger KAFFO FOKOU, auteur de Cameroun : liquider le passé pour bâtir l’avenir, l’Harmattan, 2009
Pour son énième mandat à Etoudi, le Président camerounais Paul Biya s’est octroyé un slogan-gadget tout chatoyant : « Les grandes réalisations ». Tout au long de ce nouveau septennat, affirme-t-il avec orgueil, le Cameroun sera un vaste chantier. Après l’opération « recrutement de 25000 jeunes dans la fonction publique », la perspective réelle de voir de nouveaux chantiers ouvrir leurs portes à de nombreux autres Camerounais, jeunes et moins jeunes frappés par un chômage endémique de longue durée, suscite un espoir qui pourrait être démesuré. En tout cas, cela permettra d’infléchir un instant la courbe vertigineuse du chômage, et peut-être d’inscrire autre chose que de bonnes paroles sur le bilan jusqu’ici peu glorieux du locataire d’Etoudi. Après les années des « grandes ambitions », nous sommes donc passés aux années des « grandes réalisations ». Et notre vocabulaire s’y est déjà enrichi d’un concept nouveau : « projets structurants ». Il nous faut cependant être vigilants : la nature même des chantiers qui lèvent aujourd’hui un immense espoir dans le cœur des Camerounais pourrait nous ouvrir les portes d’un enfer qui sous d’autres cieux non loin de nous (exemple de la République démocratique du Congo) ont transformé la vie de millions de citoyens en véritable malédiction. Quand le grand capital vient battre le dollar sur l’enclume de notre dos…
Cameroun, nouvel Eldorado minier de l’Afrique
Après des décennies marquées par une politique orientée vers la production de « l’or vert », le Cameroun est en voie de retourner sa veste pour entrer dans le cercle fermé des plus grands producteurs miniers d’Afrique. Ces dernières années, il a distribué à tour de bras des permis d’exploration et d’exploitation et peu à peu la carte minière du sous-sol camerounais se dessine, dévoilant d’importants gisements de toutes natures du nord au sud et de l’est à l’ouest : pétrole et uranium dans le septentrion (Tcholliré pour l’uranium), de l’or à Bétaré Oya et à Djoum (un gisement sur près 1995 km2 selon certaines sources), de la bauxite à Minim-Martap, Ngaoundal et Fongo-Tongo (plus d’un milliard de tonnes en tout), du diamant à Mobilong et Limakoali dans la Boumba et Ngoko ( réserve cinq fois équivalente à la production mondiale selon l’agence Cyrcom news), du Nickel-cobalt et nickel-manganèse dans la région de Nkamouna, arrondissement de Lomié (réserves recensées aujourd’hui comme les plus importants gisements mondiaux de cobalt primaire non exploité), du fer à Mballam mais surtout à Nkout (potentiel estimé à près de 4 milliards de tonnes, ce qui en ferait le plus important gisement camerounais), sans oublier le calcaire (Figuil), le marbre et on en oublie certainement.
Déjà les compagnies minières internationales se bousculent et de vastes chantiers s’ouvrent. On cite entre autres Geovic mining corporation (américano-canadienne), African aura resources limited (britannique), Hydromine inc (américaine), Sundance resources ltd (Australienne), Mega uranium limited (canadienne), C&K mining (coréenne), Affero Mining (anglaise)… Il n’y a point de doute, le Cameroun est devenu en quelques années un véritable « champ de mines », dans tous les sens du terme, et la ruée a commencé. Bousculades, affrontements, coups tordus, et victimes collatérales à grande échelle, rien ne lui sera épargné. Le pays y gagnera néanmoins un certain volume d’emplois, et des infrastructures. De quelles natures et pour quel développement ? La question mérite d’être posée tout de suite plutôt qu’a posteriori.
De l’or pour les majors, à coup sûr, et des enveloppes sous la table
Bien gérée la manne minière qui tombe sur le Cameroun pourrait transformer notre pays. L’exemple de l’Afrique du Sud est là pour le prouver. Le secteur minier a porté ce pays dès le XIXè siècle sur le chemin de la prospérité et même aujourd’hui, malgré la diversification et les difficultés énergétiques, il représente encore près de 30% de l’économie sud-africaine. Mal gérée, la manne minière pourrait transformer le pays en poudrière et en un enfer. Les Philippines qui malgré un secteur minier générant plus du tiers de la richesse du pays restent l’un des pays les plus pauvres et les plus dangereux de l’Asie du sud-est (seul le secteur tertiaire bénéficiaire de l’effet des délocalisations et générant plus de 50% du PIB porte l’économie du pays). Le second exemple négatif nous est donné par la République démocratique du Congo.
Les ressources minières constituent la principale richesse de la RDC, qui détient la moitié des réserves mondiales de cobalt, était le deuxième producteur mondial de diamant en 1995, sans compter les autres produit comme le cuivre, l’or, l’argent, le zinc, le manganèse, le tungstène, le cadmium ou le pétrole. Malgré ce richissime sous-sol qui a fait dire de ce pays qu’il est le coffre-fort du monde, il a dû s’aligner dans les PPTE. De nombreux chefs de guerre y ont constitué des gangs qu’ils financent grâce au pillage du riche sous-sol, ce qui a rendu pendant longtemps le pays ingouvernable et livré au pouvoir des bandes armées. La situation sera-t-elle différente au Cameroun ?
Premièrement, le flou dans lequel les grandes compagnies sont en train de s’installer au Cameroun n’augure rien de bon. Selon le journal Les Afriques, le Cameroun a distribué des permis de prospection, d’exploration et d’exploitation dès 2007 alors même que la mise en place d’un cadre juridique et organisationnel en matière de gestion des ressources naturelles n’est intervenue qu’en 2008. Comme très souvent, tout a dépendu d’une poignée de responsables gouvernementaux agissant avec les pleins-pouvoirs donnés par le chef de l’Etat. La plupart des compagnies parties prenantes de l’aventure minière camerounaise seraient ainsi sans surprise immatriculées dans les paradis fiscaux et échappent donc à tout contrôle : Geovic et Hydomine Inc dans le Delaware aux Etats-Unis ; African aura resources limited dans les îles vierges britanniques ainsi que la Mega Uranium Limited. En dépit de l’Initiative pour la transparence des industries extractives, des contrats se signent dans l’opacité qui souvent donnent la part belle aux compagnies étrangères contre de volumineux pots-de-vin et des places grassement payées dans les conseils d’administration. Dans de telles conditions, que peuvent attendre les Camerounais du lancement de ces importants chantiers miniers ?
Une épaisse retombée de poussière, de pollution et de misère pour les Camerounais…
Dans un pays comme la RDC, environ 15% de la population active travaille dans les mines, à des conditions qui rappellent le célèbre roman d’Emile Zola que de nombreuses générations de camerounais ont étudié à l’école, Germinal. Un nouveau sous-prolétariat est donc en route et bientôt l’enfer de la mine fera son entrée dans notre pays si la législation du travail reste celle du 14 août 1992. A côté de ces milliers d’emplois sous-payés, il faudra compter les emplois précaires générés par les projets dits structurants dont le modèle nous a été donné par le chantier aujourd’hui oublié du pipeline Tchad-Kribi dont on avait manifestement trop attendu, et qui s’est achevé sans modifier substantiellement la courbe du chômage national. Il en sera de même pour les travaux des barrages hydrauliques, de la centrale à gaz de Kribi, du port en eau profonde, des lignes de chemin de fer en perspective. Cette analyse peut paraître trop pessimiste mais il suffit de tenir compte du fait que la plupart de ces projets, pompeusement dits structurants, ont été pensés et élaborés pour servir une activité économique extravertie.
Les 216 MW que produira la centrale à gaz de Kribi – de même que sa possible extension à 330MW - seront exclusivement destinés à couvrir les besoins énergétiques de l’extension de l’usine d’aluminium ALUCAM, propriété à 46,7% du groupe anglo-australien Rio Tinto Alcan. L’exploitation minière est très gourmande en consommation électrique comme le montre l’exemple sud-africain dont la production pâtit du déficit énergétique. Le barrage d’Inga, projet pharaonique dont l’économie congolaise n’avait pas réellement besoin, fut édifié dans les années 70 pour alimenter l’exploitation du sous-sol de ce pays, et n’eut même pas la décence de faire profiter les villages que ses lignes survolaient. Les grands projets de barrages hydro-électriques – Lom-Pangar et Memvelle - qui surgissent ces derniers temps des cartons vont surtout « structurer » l’exploitation du sous-sol camerounais au profit des multinationales minières. Des infrastructures ferroviaires seront également mises en place, en direction de toutes les zones d’exploitation. Dans la partie sud et est, 500km de voie ferrée sont déjà prévus. D’après Peter Taylor, responsable du projet d’exploitation du fer de Nkout (cf. Jeuneafrique.com), « Des pourparlers seraient en cours avec les autres opérateurs pour une exploitation mutuelle du chemin de fer du Congo qui, partant du fleuve du même nom, passerait par Mbalam pour déboucher sur le port de Kribi ». Le projet de port en eau profonde de Kribi se trouve ainsi être avant tout la tête d’un réseau infrastructurel destiné à exploiter le sous-sol camerounais pour en évacuer le produit à l’étranger : énergie électrique indispensable, voies de communication dans l’hinterland pour déplacer les produits, port en eau profonde pour l’exportation. Le développement de l’économie domestique ne figure pas dans les plans.
La totalité de la bauxite est et continuera à être exportée et l’aluminium produite à l’extérieur. Il en sera de même du fer, dont l’exploitation ne favorisera pas la mise en place d’un embryon d’industrie lourde au plan local. Toute la valeur ajoutée de notre impressionnant parc minier sera donc fabriquée à l’extérieur et profitera au grand capitalisme international, alors que nous payons une TVA fort élevée à l’intérieur, nous qui ne produisons aucune valeur ajoutée. Même des retombées élémentaires échapperont aux Camerounais. Prenons l’exemple de la production d’électricité : elle sera facturée à ALUCAM à 12,94 F CFA le kilowattheure (en hausse même de 50% par rapport au coût qui lui est facturé en ce moment), alors que le pauvre citoyen camerounais doit payer pour sa consommation le même KWH entre 50 et 77 FCFA, soit de 4 à 8 fois plus cher. Le port en eau profonde, tel qu’il est structuré, montre bien qu’il s’agit d’un port minier. Il permet déjà d’évacuer le brut tchadien de Doba, brut qui ne nous laisse sur son parcours que la dégradation et la pollution environnementale, des villages entiers rasés et déplacés, des modes de vie démolis. A côté de son terminal hydrocarbures il y aura un terminal minéralier.
Le Cameroun sera indiscutablement un vaste chantier dans les années à venir. La gestion de ces projets doit cependant être organisée dans la transparence, et la négociation des contrats faite dans la perspective d’un impact positif substantiel sur le développement du pays, parce que le sous-sol camerounais appartient indivis à tous les Camerounais : amélioration du budget de l’Etat (d’où possibilité de financement des secteurs sociaux qui seuls impactent durablement sur le bien-être des citoyens), législation minière favorable aux travailleurs de ce secteur, meilleur développement de l’économie domestique (à la rigueur semi-transformation locale des produits, et développement des infrastructures non directement liées aux exploitations minières). Si donc tout cela n’est pas pris en compte, notre pays ne tardera pas longtemps à devenir une seconde république du Congo où seule la force des armes écrit les lois et les fait appliquer en fonction des territoires, dans une logique maffieuse.
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