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Cameroun : Septennat des « grandes opportunités », clin d'oeil aux jeunes et cercles ésotériques

Le Messager : Dans son discours de prestation de serment et par rapport à son nouveau mandat qu’il qualifie de « septennat des grandes opportunités », Paul Biya entend faire un clin d’œil à la jeunesse dans la désignation de ses collaborateurs. Des intelligences pointues pensent toutefois qu’il doit se démarquer des réseaux mafieux et ésotériques qui sont des passages obligés pour l’accession à des postes de souveraineté. Quand l’on sait que ces réseaux façonnent les personnalités qui ne servent pas les intérêts du peuple mais de ceux des loges ésotériques qui les tiennent, quel est votre avis ?

Roger Kaffo Fokou : Il y a beaucoup d’a priori discutables dans votre question. Commençons par le slogan « septennat des grandes opportunités » : vous voulez sans doute faire croire qu’il signifie quelque chose et que les Camerounais devraient y voir l’expression de quelque intérêt pour eux et pour leur pays. Après les grandes ambitions et les grandes réalisations, dites-moi, comment peut-on, séquentiellement, passer aux grandes opportunités ? C’est une planification stratégique à rebours, une reculade en un mot, peu importe la gymnastique cérébrale que l’on mettra au service d’un tel alignement de concepts. Si c’est leur musicalité qui a emporté la décision des concepteurs-programmateurs, alors je m’incline devant leur génie. Pour ce qui est de la pertinence du contenu, ces slogans ne rendent pas un grand service à l’équipe du président de la république. Par contre, l’opportunité qui semble le plus s’ouvrir aux jeunes – à eux de voir s’il s’agit vraiment d’une opportunité - est celle de soldat, en raison de ce que ce septennat va être, et ceci est déjà vérifiable sur plusieurs fronts, celui des grandes menaces : Boko Haram au septentrion, bandes armées en déshérence au levant, sécessionnistes en fureur en zone anglophone, politiciens à couteaux tirés sur toutes les tribunes, travailleurs aliénés aux bords des pavés, tribus en mal de vivre ensemble un peu partout… et un système politique cadavérisé, rigide comme une momie ! Ce n’est pas, vous le constatez avec moi, un cocktail d’opportunités, ce serait plutôt un cocktail Molotov.

Vous parlez ensuite du clin d’œil que M. Paul Biya a fait ou pourrait faire aux jeunes dans le choix de ses collaborateurs : laissez-moi vous dire que vous regardez dans la mauvaise direction et poussez les jeunes à en faire autant. L’obsession des postes est bien ce qui a jusqu’ici désagrégé le Cameroun. Ce que les jeunes veulent, du moins ceux qui sont sérieux et qui ont appris quelque chose malgré la déconfiture de l’école, ce n’est pas s’intégrer au clientélisme qui anesthésie le pays et fait une poignée de milliardaires aux dépens de la fortune publique. Ce n’est que le côté rutilant d’une immonde Kleptocratie. Ce que ces jeunes  souhaitent consciemment ou confusément, c’est que quelque chose se passe qui libère véritablement les énergies, qu’on sorte de cette république népotique et prévaricatrice qui ne s’accommode du vice que lorsqu’il fait dans le gigantisme. Vous voulez que les jeunes, hypnotisés, continuent à s’abîmer dans la contemplation de l’étoile Biya qui fut peut-être belle autrefois mais qui ne brille plus depuis longtemps qu’au passé justement, au lieu de s’arc-bouter pour faire avancer le char du progrès sur les chemins de demain. Il est à craindre que, même s’il y mettait le maximum de bonne foi, M. Paul Biya ne puisse plus comprendre les jeunes d’aujourd’hui, peut-être même pas ses propres enfants : trop de choses les séparent désormais. Tandis que ces jeunes pensent qu’il est temps qu’ils prennent eux aussi le pouvoir pour assumer leur destin (regardez les candidats de la dernière élection présidentielle !), lui Paul Biya ne pense qu’à s’y éterniser. En contrepartie, il leur fait des promesses risibles, il leur distribue des colifichets : de petits ordinateurs dépassés, une poignée de postes dans une fonction publique qui sous-paie notoirement les services, la liberté de s’enrôler massivement dans la brigade des motos-taxis, des postes subalternes au front dans une guerre qui ne fait pas de cadeaux aux troupes et qui ne devrait pas être, qui en tout cas n’a que trop duré… On se croirait dans l’univers de Georges Orwell avec une sorte de Big Brother dont on sait seulement qu’il a toujours été là – pensez à un jeune né après 1982 et qui a plus de 30 ans aujourd’hui - et dont on se demande s’il y aura un jour où il ne sera plus là. J’en sais quelque chose justement puisque j’ai été jeune fonctionnaire quand M. Paul Biya était déjà président de la république, et je prends ma retraite alors qu’il y est toujours. Non, il n’y a pas là grand-chose pour les jeunes et ce serait un mauvais service à leur rendre que de leur faire croire le contraire. Je ne crois pas que leur intérêt est, aujourd’hui, d’accompagner un système politique qui sous-finance notoirement l’éducation (en tout cas beaucoup moins que n’importe quel autre pays du même niveau), méprise l’intelligence, vend  ou tribalise l’accès au moindre concours, à la moindre promotion dans le secteur public, réserve les postes dits juteux aux rejetons des pontes du système, transfère massivement le contenu des coffres-forts publics dans des comptes privés… et se rit de la détresse du grand nombre.

Quant à cette histoire de loges ésotériques, c’est probablement l’une des puissantes branches sur laquelle M. Biya est assis. Il y a trouvé son compte ces 50 dernières années, ce me semble en tout cas. Ceux qui lui conseillent de la scier lui-même, cette branche, sont probablement en panne de bon sens. Il n’est pas certain qu’ils le feraient à sa place. Ils espèrent sans doute que M. Biya et ceux qui l’entourent vont se coltiner les misères des loges – il y en a d’innommables  dans ces cercles, paraît-il - et leur laisser les gloires y associées même s’il ne s’agit que de clinquants fugitifs ? Cette absence de réalisme est probablement la cause des malheurs de ce pays. C’est en même temps un discours soporifique, un puissant et dangereux anesthésiant. Rien ne sera donné gracieusement à personne, ni le pouvoir ni autre chose, tout devra se payer, cash et au comptant. Je ne me fais pas d’illusions sur le sort de ce propos que je partage avec  vous : sa portée est limitée. Pour changer le Cameroun dans le sens du progrès, il faut plus que cela : plus que des discours, plus que des conseils, plus que des jérémiades… M. Biya ne donnera rien ni aux vieux ni aux jeunes, il faudra payer le prix pour lui arracher ce à quoi vous tiendrez : c’est la règle du jeu, la vraie et non celles qui figurent sur la paperasse constitutionnelle.

 



17/11/2018
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