CONSIGNE DE VOTE DE MAURICE KAMTO : entre deux maux, il ne faut pas s’abstenir, mais choisir le moindre
Ce 26 septembre 2025, la consigne de vote de Maurice Kamto, tant attendue jusque-là, est enfin tombée des télescripteurs. Sous forme d’une non-consigne de vote, d’une abstention de consigne ! Entre deux maux, Maurice Kamto a donc décidé, contrairement à ce que dit l’adage, non pas de choisir le moindre, mais de s’abstenir de tout choix. Cette position est son droit le plus absolu, mais elle est aussi une position de confort. Elle plait à nombre de ses supporters (notamment ceux qui plaidaient pour l’abstention), mais justement elle trahit douloureusement une phobie du risque qui n’est pas sans précédent. On peut même lire cette position, toute proportion gardée, comme un boycott… de consigne ! Et cette rebelote aura des conséquences ultérieurement, notamment dans la reconfiguration de la carte politique du Cameroun au-delà du 12 octobre 2025.
- Cette abstention est une position de confort
Le 17 septembre dernier, le Pr Maurice Kamto dans un message très largement partagé affirmait : « Nous nous exprimerons bientôt au sujet de l'élection prévue le 12 octobre prochain. » Cette prise de parole visait à tempérer l’impatience des Camerounais qui trouvaient pour beaucoup qu’il faisait durer excessivement le suspense, d’autant plus qu’une indéniable dynamique était en train de se créer autour d’un candidat inattendu : Issa Tchiroma Bakary. Dans cette communication, Maurice Kamto mettait une insistance particulière sur le 11 de l’opposition, alors même qu’il n’était plus un mystère pour personne que certains sont inféodés au pouvoir en place, d’autres déterminés à faire route solitaire. En même temps, il disait et avec raison qu’il ne fallait pas inverser les responsabilités : « la responsabilité politique première et cruciale est sur les épaules des candidats et non pas sur les épaules d'un quelconque "faiseur de roi", expression qui pourrait flatter l’égo de certains. » La traduction de cette phrase ne disait pas que Maurice Kamto n’avait aucune espèce de responsabilité mais que sa responsabilité à lui venait désormais au second rang, au-dessous de celle des candidats cela va sans dire, mais loin au-dessus de celle du Camerounais ordinaire. Maurice Kamto avait même, dans ce texte important, trouvé nécessaire de particulariser les responsabilités de deux des 11 candidats de l’opposition : Issa Tchiroma Bakary et Bello Bouba Maïgari : « j'en appelle à la responsabilité particulière de deux valeureux et dignes fils du Cameroun, candidats originaires de la partie septentrionale du pays. » Apparemment, il ne s’était pas aperçu que, s’il semblait en effet logique pour un grand nombre d’analystes d’ainsi singulariser ces deux candidats, il allait également de soi que sa responsabilité à lui, Maurice Kamto, ne pouvait être que particulière. Jusqu’à sa disqualification en effet, il était celui qui portait le mieux l’espoir de changement des Camerounais de l’intérieur comme de l’extérieur. Si ces millions de compatriotes étaient prêts (ils le sont encore) à le porter à la présidence de la République, c’était justement parce qu’ils pensent qu’il n’est pas n’importe qui ; et du coup, qu’il a une responsabilité particulière dans ce qui est en train de se jouer en ce moment, qu’il soit au premier rang ou, par la force des choses, au second. Ce 26 septembre 2025, Maurice Kamto a décidé de remettre à chaque Camerounais le choix entre les 11 candidats de l’opposition en lice : « il convient de laisser à chaque électeur la responsabilité pleine et entière de voter librement, en son âme et conscience, pour le candidat de l'opposition de son choix, lors de l'élection présidentielle prévue le 12 octobre 2025. » Ce faisant, il vient de renoncer à cette obligation de spécificité qui va avec le statut de leader, un statut qu’il a librement construit et que les Camerounais ont avalisé et soutenu, certains à leurs risques et périls. Par-dessus le marché, il renonce à une possibilité même minimale de voir émerger une ligne de convergence susceptible de grossir au long de la campagne qui commence. Enfin, il augmente les chances d’émergence d’une abstention importante, dans la mesure où son communiqué peut déjà être considéré comme donnant l’ossature de l’argumentaire qu’utilisera probablement le parti au pouvoir au lendemain du 12 octobre 2025 pour justifier le hold-up électoral qui se prépare :
- absence d'une coalition de candidats, même limitée, avec les deux candidats du grand Nord, capable de fédérer les moyens et de créer une dynamique populaire puissante en mesure d'assurer la victoire du peuple à l'élection présidentielle prochaine
- existence de profondes divisions au sein de la population, en particulier parmi les soutiens des candidats de l'UNDP et du FSNC, conséquence de l'absence d'une entente pour un seul candidat parmi les deux
- éparpillement des voix susceptible de compromettre sérieusement les chances de victoire d'un candidat de l'opposition
Ce non-choix est une position de confort. Il évite à Maurice Kamto d’assumer un éventuel échec de l’opposition au soir du 12 octobre 2025. « Si les 11 candidats de l'opposition décidaient de se mettre tous derrière l'un d'entre eux, parmi les plus expérimentés politiquement et dans la gestion de l'Etat, face au candidat du RDPC, il pourrait s'enclencher une dynamique populaire irrésistible qui rendrait la victoire inéluctable. », écrivait-il le 17 septembre dernier. A postériori, il faut avouer que la barre avait été placée trop haut, au regard des faits connus du terrain politique camerounais actuel. En fait, si la condition sine qua non de l’enclenchement d’une « dynamique populaire irrésistible » était l’union des onze, il est évident que l’échec était inscrit d’avance dans le projet. En 1992, cette condition n’a pas dû être remplie pour la victoire de Ni John Fru Ndi. De même, en 2018, le MRC ayant revendiqué la victoire cette année-là, ladite condition n’a pas non plus dû être remplie. En mettant ensemble Issa Tchiroma Bakary et Bello Bouba Maïgari, on ne garantit pas au peuple du changement (et je pense que Maurice Kamto en conviendra) la victoire au soir du 12 octobre 2025 : on en améliore cependant la perspective, étant entendu que la capacité à défendre ce résultat reste un paramètre déterminant de l’issue de l’exercice. Il n’y a donc pas de position de confort qui tienne sur la simple base de l’entente ITB-BBM. Il faut donc sortir de cette illusion de position de confort pour accepter le risque inhérent à l’exercice en cours, et travailler sur les moins mauvaises solutions qui se présentent quand les solutions idéales se dérobent. Au regard des enjeux de cette élection présidentielle, une telle prise de risque s’impose à l’ensemble du leadership du peuple du changement, et il est même permis de penser qu’en fonction de la prise ou non de ce risque, la carte politique du Cameroun sera redessinée au lendemain des résultats, favorables ou non pour le peuple du changement, du scrutin présidentiel du 12 octobre 2025.
- Au-delà du 12 octobre 2025 : quel paysage politique pour le Cameroun ?
Comme l’a dit Maurice Kamto dans son communiqué du 12 septembre 2025, « Nous sommes à un moment historique » pour notre pays. Pas seulement parce que, comme il le précise, « un basculement politique est possible ». Soyons clairs : au-delà du 12 octobre 2025, au Cameroun et quelle que soit l’issue de la bataille électorale en cours, il y aura un basculement politique, dans le meilleur comme dans le pire. Il s’agit aujourd’hui, pour les Camerounais, de travailler à l’avènement de l’un contre celui de l’autre. En 1940, alors que la France est occupée par l’Allemagne nazi, Jean-Paul Sartre surprend ses étudiants en leur affirmant que « La France n’a jamais été aussi libre que sous l’occupation allemande ». En effet, la nécessité de choisir son camp (et non de s’abstenir) n’avait jamais été aussi impérieuse pour les citoyens français. Le Cameroun fait face aujourd’hui à une situation de même nature.
En effet, si le pouvoir en place depuis 43 ans réussit à se conserver à travers le scrutin en cours, il va se donner les moyens d’une nouvelle longévité. En 1992, une telle possibilité s’était présentée à l’occasion d’une part des législatives (le score confondu de l’opposition lui donnait la majorité parlementaire), d’autre part à l’occasion de la présidentielle : les scores cumulés de Ni John Fru Ndi et de Bello Bouba Maïgari donnaient Paul Biya largement battu. L’opposition ne sut jamais dans un cas comme dans l’autre, transformer ces opportunités en réussites. Certains des acteurs de cette épopée manquée sont encore en lice aujourd’hui, et peut-être vont-ils récidiver. 1992 avait, il faut le répéter, donné trois décennies supplémentaires de pouvoir sans véritable partage à Paul Biya. 2025 pourrait ouvrir un bail illimité aux procurateurs agissant aujourd’hui à l’ombre du patriarche désormais dépassé par les affaires. Et ce nouvel éventuel pouvoir, si l’on ne se réfère qu’à Atanga Nji le ministre de l’Administration territoriale, n’aura strictement rien à voir avec le laxisme débonnaire de Paul Biya.
Que pourraient attendre les partis politiques d’un tel pouvoir ? Qu’il organise des législatives et des municipales transparentes ? Il semble que certains aient déjà enjambé cette présidentielle sous le fallacieux prétexte qu’elle les aide à se préparer pour les scrutins à venir. Ce déficit de réalisme ou de lucidité est dangereux pour eux mais également pour les Camerounais dans leur ensemble. En fait, il constitue une défection déguisée au moment où le destin du pays a le plus besoin de leur engagement. S’ils ont choisi de faire de la politique, eh bien, qu’ils la fassent bien, je veux dire dans un souci véritable des intérêts supérieurs de la nation. S’ils manquent à leurs engagements, la future carte politique du Cameroun, celle que dessinera l’après 12 octobre 2025, le leur rappellera.
Roger KAFFO FOKOU
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