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Coût de l’éducation au Cameroun et déscolarisation massive sous le Renouveau

Par Roger KAFFO FOKOU, auteur de Misères de l’éducation en Afrique : le cas du Cameroun aujourd’hui, l’Harmattan, 2009

 

 

Notre pays a la particularité à défaut du monopole de pouvoir à tout moment se prévaloir de disposer d’une pléthore de textes d’une qualité remarquable. C’est pourtant un truisme de dire que ceux qui nous dirigent n’en appliquent que les aspects qui les arrangent ou ne les dérangent pas. A titre d’exemple, lorsque l’on parle du droit à l’éducation au Cameroun, l’on peut indifféremment s’appuyer sur les préambules des diverses Constitutions en vigueur qui garantissent celui-ci, ou sur la loi de 1998 d’orientation de l’éducation. Le préambule de la Constitution du 18 janvier 1996, qui fait partie intégrante de ce texte comme l’affirme son article 65 dispose en effet que « L’Etat assure à l’enfant le droit à l’instruction. L’enseignement primaire est obligatoire ». L’article 6 de la loi d’orientation de l’éducation de 1998 rappelle que « L'Etat assure à l'enfant le droit à l'éducation » et son article 9 précise que: « L'enseignement primaire est obligatoire ». Les petits Camerounais à bénéficier de ce droit apparemment sans exclusive ne sont pourtant qu’une étroite minorité. Bien sûr, ils accèdent presque tous au premier niveau de l’éducation de base comme l’attestent les taux bruts de scolarisation supérieurs à 80% ; c’est toutefois pour en repartir rapidement, et au niveau de la classe de CM2, plus de 40% n’y sont plus. Un tel taux de déperdition, insolemment élevé, atteint le pic de 75% dès la classe de 4è du secondaire. Au-delà du fait que les enfants camerounais apprennent à détester  l’école en raison de son inconfort (cf. « Financement de l’éducation au Cameroun : une politique obstinée de la pénurie »), d’autres facteurs entrent en jeu qui contribuent puissamment à écarter cette jeunesse des campus scolaires et des salles de cours. L’un de ces facteurs est le coût de l’éducation, tant dans le public que dans le privé qui gagne chaque jour en importance. A lui tout seul, il est responsable d’une déscolarisation massive depuis près de deux décennies.


 1.      L’importance de l’éducation privée et son coût exorbitant pour le parent camerounais

L’école coûte cher, très cher même au Cameroun. Le premier indicateur du coût de l’éducation est ici la part de plus en plus importante qu’y prend le secteur privé. Dans une enquête que nous avions réalisée il y a de cela quelques années et que nous avons publié en 2009 (« Accès à l’éducation : une éducation de plus en plus réservée à une riche minorité », in Misère de l’éducation en Afrique : le cas du Cameroun aujourd’hui, L’Harmattan 2009), nous attirions déjà l’attention sur la volonté de désengagement de l’Etat de l’éducation et sur la conséquence de ce désengagement en terme de montée de la privation du secteur éducatif national.


L’insuffisance de l’investissement public de l’éducation a en effet pour conséquence le rétrécissement de l’offre publique d’éducation et concomitamment l’élargissement de l’offre privée aux coûts généralement plus élevés si ce n’est prohibitifs.  Déjà au début des années 2000, le recul du financement public de l’éducation et conséquemment la dégradation de la qualité de l’offre publique d’éducation avait permis à l’offre privée de s’amplifier dans des proportions proprement inquiétantes. Le tableau ci-après permet de se faire une idée de l’importance du secteur privé dans l’éducation camerounaise au début des années 2000 :

 

Niveau d’éducation

Enseign public

Enseig privé

Total

Part enseign.

privé

Maternelle

62773

113197

175970

64,32%

primaire

2222051

684681

2906732

23,55%

Secondaire général

519259

242794

762053

31,86%

Normal

4955

113

5068

02,28%

Total

2809038

1040785

3849823

27,03%

Nombre d’établissements

9623

4916

14539

33,81%

 

Comme on peut le voir, l’enseignement privé représente alors déjà plus du tiers de l’offre globale d’éducation, avec des pics qui se situent dans le préscolaire (64,32%), et au niveau de l’enseignement supérieur où l’on dénombre dès 2006 pas moins de dix-huit établissements privés (« La dynamique de l’enseignement supérieur privé au Cameroun », Roger Tsafack Nanfosso, 2006). Les raisons relevés par Roger Tsafack dans l’étude ci-dessus citée à ce boom de l’enseignement supérieur privé sont significatives : déséquilibre de l’offre par rapport à la demande, perspectives alléchantes de retour sur investissement, préoccupation pédagogiques reléguées à l’arrière-plan : « Au Cameroun, face à la rentabilité croissante du secteur, à la déliquescence du système mis en place par le secteur public, à l’existence d’une épargne nationale oisive à la recherche de projets qualitatifs d’investissement, et face à l’inefficience de l’enseignement supérieur public (Khan et Tafah 2000), l’enseignement supérieur privé a pris une place centrale dans le dispositif de formation existant après le Baccalauréat ou le General Certificate of Education, GCE « A » level ».


L’importance du secteur privé de l’éducation est d’autant significative pour notre analyse que dans le cas de l’éducation de base elle est l’une des sources de la violation de la Constitution en son préambule et de la loi d’orientation de l’éducation de 1998 en son article 9 qui dispose que l’enseignement primaire est obligatoire. Comment concilier l’obligation de fréquentation, la pénurie de l’offre publique et les coûts exorbitants de l’enseignement privé ? Selon une enquête menée par le quotidien Le Messager du 25 août 2010, les frais annuels de scolarité dans le primaire privé varient de 100.000FCFA pour les établissements « bas de gamme » jusqu’à 175.000FCFA pour les établissements huppés. Comment obliger un parent pauvre qui n’a pas pu trouver une place dans l’un des rares établissements publics de sa localité à l’insérer dans une école privée à un coût qui dépasse son revenu semestriel si ce n’est annuel ? Dans le secondaire privé, comme il n’existe aucune règle – libéralisation oblige – les promoteurs s’en donnent à cœur joie. C’est ainsi que d’une année sur les l’autre, l’on voit des établissements faire passer les frais de scolarité de 75.000FCFa à 98.000FCFA, 125.000FCFA sans explication.


 2.      La privatisation déguisée de l’enseignement public

A priori, l’éducation publique est supposée être abordable et permettre la mise en œuvre de l’article 7 de la loi d’orientation de l’éducation de 1998 selon lequel «  L'Etat garantit à tous l'égalité de chances d'accès à l'éducation sans discrimination de sexe, d'opinions politique, philosophique et religieuse, d'origine sociale, culturelle, linguistique ou géographique ». Sans discrimination d’origine sociale ! En proclamant à la suite des engagements de Jomtien de 1990 et du cadre d’action de Dakar de 2000 la gratuité de l’école primaire, l’Etat a introduit au même moment dans le système les contributions APEE. Ainsi, au lieu des modiques 1500FCFA de frais exigibles de la veille, des associations dites de parents d’élèves ont installé leurs comptoirs sur les préaux et avec la complicité active des autorités de l’éducation, ils étranglent les véritables parents d’élèves, chassant des campus tous ceux qui n’ont pas le pouvoir d’achat suffisant pour négocier avec eux une place pour leur progéniture.


Au cœur de nos villes, certaines de ces APEE collectent jusqu’à 25.000FCFA, 30.000FCFA par élève. Que l’on y ajoute pour l’enseignement secondaire les multiples autres frais dont l’assiette s’élargit au fil des années – frais exigibles, contributions pour l’enseignement de l’informatique… - et l’on commencera à voir s’effilocher le mince tissu qui aujourd’hui sépare l’enseignement public du privé. C’est que de plus en plus le rôle de l’Etat se limite à créer et ouvrir les établissements scolaires, et à nommer dans chacun de ceux-ci un chef d’établissement et un agent financier. Aux parents d’élèves incombe le reste : mise en place des infrastructures et équipements de toutes natures, recrutement et rémunération des enseignants, fourniture du budget de fonctionnement… L’on comprend pourquoi ces dernières années, en violation de la loi N°90/053 sur la liberté d’association, les autorités de l’éducation tentent, au moyen maladroit de textes réglementaires, de faire des APEE des associations à régime spécial, comme si un arrêté pouvait déroger à une loi. Il y a une volonté non déguisée de privatiser l’éducation publique pour sortir définitivement des circuits scolaires et universitaires les pauvres, qui constituent, de l’avis de l’Etat même – selon le rapport réalisé en décembre 2002 par des experts nationaux, de la coopération française et de la Banque Mondiale, plus de 40% des Camerounais vivent en-dessous du seuil de pauvreté – la quasi moitié de la population camerounaise. Déjà en instituant des frais universitaires au début des années 90 – 50.000FCA/an – l’on avait réussi à décongestionner l’enseignement supérieur de manière, on le voit, radicale. Le boom de l’enseignement supérieur privé consécutif à la libéralisation de ce sous-secteur n’a pas contribué à remonter les taux d’accès qui sont résolument collés au plancher, étant pour l’instant inférieurs à 7% pour chaque génération. Comme le dit si bien Roger Tsafack Nanfosso (2006), « Le coût de la formation est très élevé par rapport au coût normal de la formation supérieure au Cameroun. A titre d’illustration, les frais de scolarité annuels dans le cursus universitaire public s’élèvent à 50000FCFA. Mais l’inscription dans les formations professionnelles n’est valide que si le candidat débourse des frais de scolarité compris entre 650 000 F CFA et 1 300 000 F CFA en fonction de la filière choisie. La conséquence logique est la réduction drastique du nombre d’étudiants inscrits (qui sont en général moins de 25 par filière) ; ce qui était déjà l’une des solutions proposées par Khan et Tafah (2000) dans leur étude économétrique sur l’efficience de l’enseignement supérieur public au Cameroun ».  


L’on a l’habitude, en s’appuyant sur le cas de l’éducation en zone anglophone, de dire que les parents peuvent mieux financer l’éducation de leurs enfants mais qu’ils manquent de bonne volonté. Les taux exorbitants de scolarisation en zone anglophone et l’attachement des parents de ces régions à l’éducation confessionnelle a longtemps fait desdites régions des zones sous-scolarisées. Ce n’est donc nullement un exemple à brandir. D’un autre côté, au regard de leurs niveaux de revenues, les parents camerounais financent l’éducation pratiquement  au-dessus de leurs moyens.


3.      Pouvoir d’achat des citoyens et financement de l’éducation par les ménages

En 2001 d’après ECAM II (enquête sur la consommation des ménages), les ménages financent l’éducation au Cameroun à hauteur de 239 milliards de francs CFA. Ce résultat est calculé sur la base d’un échantillon de 15.000 ménages, soit à l’époque 0,5% de la population. L’enquête distingue 19 postes de dépenses. 239 milliards, cela représente selon les niveaux d’éducation, au Primaire : 41,82% ; au secondaire général : 45,19% ; au secondaire technique : 34,21% et au supérieur : 33,92% des dépenses publiques, et 5% des dépenses totales des ménages. Dans une version aux calculs plus affinés, les dépenses des ménages pour assurer une éducation aux enfants dans le cadre de l’enseignement privé sont évaluées par élève à 44.000FCFa dans le primaire, 134.000FCFA dans le secondaire général, 200.000FCFA dans le secondaire technique et à 408.000FCFA dans le supérieur.


Cinq ans plus tard, nous avons conduit une enquête sur le même sujet dont le but était d’arriver, à partir des facteurs de coût de l’éducation, à déterminer ce qu’il en coûte à un parent d’envoyer un enfant à l’école chaque jour. Notre enquête s’est elle aussi, comme par hasard, appuyée sur une liste de 19 postes de dépenses. Il apparaît à ce moment-là que, pour scolariser un enfant selon les niveaux, un parent doit débourser annuellement entre 134.000FCFA et 224.000FCFA à la maternelle ; entre 192.000FCFA et 284.000FCFA au primaire ; entre 227.000FCFA et 327.000FCFA au secondaire premier cycle, et entre 251.000FCFA et 356.000FCFA au second cycle du secondaire. Cela représente quotidiennement une somme qui varie entre 745FCFA et 1985FCFA, dans un pays où 40,5% de la population sont « pauvres », c’est-à-dire ont un revenu annuel inférieur à 234.500FCFA, ou vivent avec moins de 1 dollar par jour. Voilà donc au moins 40% d’individus incapables de scolariser leurs enfants. En analysant la contribution des ménages au financement de l’éducation, il apparaît que deux ou trois postes – frais exigibles, contributions APEE et livres représentent près de 50% de ces dépenses. Le marché du livre scolaire qui représentait au début des années 90 un pactole de 42 milliards de FCFA et qui n’est pas loin de 80 milliards aujourd’hui est ainsi une importante source d’appauvrissement des Camerounais au profit de l’industrie étrangère du livre scolaire. L’on comprend pourquoi la jeunesse camerounaise sous M. Biya peut se diviser en trois catégories. La première et la plus nombreuse faite de ceux qui, faute de moyens, désertent les bancs au plus tard après la classe de CM2 : il est significatif qu’elle représente à peu près 40%, soit l’exacte proportion de ces Camerounais qui sont considérés comme vivant sous le seuil de pauvreté. La deuxième catégorie est faite de ceux qui peuvent s’autoriser l’essentiel – frais exigibles, contributions APEE – mais va à l’école sans livres ni casse-croûte et s’habillent et se chaussent à peine : c’est la deuxième tranche la plus importante ; elle nourrit rapidement les échecs scolaires et s’élimine avant l’enseignement supérieur. Le reste, une poignée de privilégiés, est là pour donner l’illusion, dans un contexte de pénurie organisée d’infrastructures, que la jeunesse camerounaise se bouscule sur les bancs de l’école.



01/12/2011
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