generationsacrifiées

generationsacrifiées

CRISE ANGLOPHONE : quand le cynisme et l’arrogance prévalent au sommet de l’Etat

Par Roger KAFFO FOKOU

Enseignant et écrivain

Paru dans Germinal N°109 du 08 août 2017

 

Ce 02 août 2017, dans son rapport Afrique N°250, l’International Crisis Group s’est penchée sur la crise anglophone au Cameroun. A la fin de son rapport d’enquête et d’analyse, l’ONG internationale spécialisée dans la prévention et la résolution des conflits d’une part constate que la pression de l’Etat camerounais conjuguée aux difficultés financières est en train d’essouffler le mouvement anglophone sur le terrain, d’autre part relève que de l’avis des spécialistes le risque de partition du pays est infime. Mais elle précise que sans une « avancée consistante, notamment sur le terrain des réformes éducatives et de la gouvernance », l’amertume des populations du Nord-Ouest et du Sud-ouest risque de s’accentuer.

Au-delà des petites choses que l’on peut reprocher à ce rapport – aucune œuvre humaine n’est parfaite – cette conclusion est fortement marquée au coin du bon sens. Malheureusement, comme l’affirme Charles Exbrayat, « Le bon sens a beau courir les rues, personne ne lui court jamais après. » La preuve de ce déficit de bon sens est patente dans ces propos cyniques et arrogants de hauts fonctionnaires de la Présidence de la République (indiscrétions du rapporteur) que cite ce rapport pour qui « tant que les anglophones ne prennent pas les armes, la grève actuelle ne gêne pas outre mesure », ou « Les anglophones peuvent faire quoi ? S’ils ne vont pas à l’école tant pis pour eux. »

Quelle analyse pouvons-nous tirer de ces indiscrétions ?

Essentiellement, que le malheur du Cameroun vient de ce qu’il est gouverné par des imbéciles (Imbécile : qui est dépourvu d'intelligence, qui parle, agit sottement) et des insensés. Car ces messieurs qui s’expriment ainsi ne sont pas seulement ce que l’on appelle des « hauts fonctionnaires », ce sont des hauts fonctionnaires qui officient à la Présidence de la République. Ce sont eux qui instruisent les dossiers les plus délicats dont dépend notre vie quotidienne, dont dépendent le présent et l’avenir du Cameroun.  Ils sont tellement intelligents qu’ils ne se sont pas aperçus que de 1990 – démissions de John Ngu Fontcha et de Solomon Tandeng Muna – les mouvements d’humeur liés à la question anglophone au Cameroun ont connu une escalade constante, et que cette escalade a finalement atteint le seuil de crise cette année. Ils ne se sont pas aperçus que de la radicalisation individuelle, on est presque passé au stade de la radicalisation collective en 2016-2017 ; que l’audience internationale des contestataires anglophones n’a jamais été aussi grande qu’aujourd’hui, contraignant le Gouvernement camerounais à des missions d’explication à travers le monde.

Enfermés dans cette bulle qu’est la Présidence de la République, ces messieurs particulièrement intelligents ne se sont guère aperçus que, sur le terrain, au sein des populations anglophones, il s’est fait une évolution symboliquement critique : une idée a été semée, celle de la possibilité pour les anglophones du Cameroun d’avoir un Etat à eux où ils jouiraient de tout ce dont les prive ce qui leur est présenté comme une puissance occupante tyrannique (La République du Cameroun), et que beaucoup, confrontés aux difficultés de toutes natures, commencent à considérer comme telle. Ils ne se rendent pas compte qu’un mythe est né, celui de l’Ambazonie, avec Premier Ministre, hymne, drapeau, passeport et autres armoiries même s’il ne s’agit que de pures fantasmes, et que si ce mythe ne meurt rapidement, il va s’enraciner dans la conscience collective des anglophones et commencer à vivre, à se fortifier, et bientôt beaucoup seront prêts à mourir pour lui ; que leur cynisme et leur arrogance sont justement le terreau idoine qu’il faut à ce mythe pour s’épanouir et conquérir davantage de cœurs et d’esprits.

Dans leur petit paradis d’Etoudi où ils cultivent le cynisme et rêvent de violence à l’abri des hauts murs du palais, le destin du pays pèse peu sur la balance de leur égoïsme, ne compte pas beaucoup à leurs yeux fascinés par les illuminations crépusculaires, surtout pour eux qui jouissent pour la plupart de la double nationalité et ont en permanence un billet d’avion dans la poche. Comment pourraient-ils comprendre que dans le Nord-ouest et le Sud-ouest, quand l’école ferme, ce sont tous les enfants, francophones comme anglophones, qui  restent à la maison, et que ce ne sera jamais tant pis seulement pour les anglophones ? 

Et justement, tant que la crise est gérée par des gens qui pensent et s’expriment ainsi, quelle chance y a-t-il pour qu’il y ait une « avancée consistante, notamment sur le terrain des réformes éducatives et de la gouvernance » ? Concernant l’éducation, le Forum où il est possible d’obtenir des « avancées consistantes » de manière consensuelle, promis pour 2017, ne semble plus faire partie des préoccupations du gouvernement, accaparé comme il l’est par la préparation de la Coupe d’Afrique des Nations. Sur le terrain de la gouvernance, l’on s’est empressé de criminaliser le simple fait de parler de « fédéralisme », pour créer une commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme. Promouvoir : encourager, favoriser, soutenir… objectif peu SMART. A chacun de conclure. Le meilleur laboratoire du bilinguisme et du multiculturalisme, n’est-ce pas l’école ? Il suffit de réformer l’éducation, de la doter de ressources intellectuelles, pédagogiques, matérielles et humaines appropriées pour développer à terme, de façon infaillible, le bilinguisme et le multiculturalisme. Mais ceci est soit trop simple, soit trop compliqué pour les hauts fonctionnaires de la Présidence de la République. A la place, ils préfèrent la recette patrimoniale qui a prévalu depuis 1961.

A Foumban en juillet 1961, Ahidjo avait tout mis en œuvre pour corrompre la délégation du Cameroun méridional : hébergement de luxe, frigidaires surchargés, hôtesses ravissantes, mallettes bourrées de billets neufs et craquants… Et le tour avait été joué. 56 ans plus tard, M. Biya récidive : commission d’une poignée d’individus dotée de centaines de millions de francs de budget, augmentation du quota des anglophones dans la distribution de strapontins à la mangeoire de la république, et beaucoup d’autres choses peu honorables pour la république qu’il ne sert à rien d’énumérer ici. A peu d’exceptions près, il est clair que les mêmes grandes familles qui ont créé et entretenu la crise aux dépens du grand nombre vont seules en tirer profit, encore une fois. Et dans six mois, tout aura repris sa place, exactement comme avant. Et avec un peu de chance, la prochaine crise, qui si l’on s’en tient à la courbe tracée jusqu’ici sera probablement dévastatrice, surviendra quand d’autres seront aux affaires, il suffit de calculer l’âge moyen de ceux qui nous gouvernent. On ne peut vraiment être plus cynique !

 

 

 



08/08/2017
0 Poster un commentaire
Ces blogs de Politique & Société pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 52 autres membres