Crise malienne : les non-dits d’une diplomatie internationale de l’irresponsabilité intéressée.
Par Roger KAFFO FOKOU, auteur de Capital, travail et mondialisation vus de la périphérie, l’Harmattan, 2011
En proclamant vendredi 6 avril 2012 dans une déclaration publiée sur son site Internet et par la voix de l’un de ses porte-parole sur Francec24 ( !) l’indépendance de l’Azawad, le MLNA met l’Afrique et la communauté dite internationale devant ce qu’il semble vouloir faire considérer comme un fait accompli : la partition du Mali et donc la naissance d’un nouvel Etat en Afrique : l’Azawad. Tant pis pour le désormais défunt principe naguère sacro-saint de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. La mollesse de la réaction internationale vis-à-vis des rebelles touareg, la bienveillance qui caractérise jusqu’ici l’accueil des porte-parole du MNLA sur les médias de grande diffusion occidentaux et la condamnation presque du bout des lèvres des putschistes maliens au moment même où tous les discours s’en prennent à Amadou Toumani Touré, tout oblige les analystes à s’intéresser aux coulisses de ce qui se passe aujourd’hui au Mali. Entre le faire, discret, secret ou affiché, le faire-faire et le laisser-faire, qui est en train de tisser quoi, dans quel dessein, au Nord du Mali et du Niger, dans ce coin désertique aux confins de la Mauritanie, de l’Algérie et de la Libye ? De quoi la cause pourtant ancienne des Touaregs tire-t-elle sa légitimité actuelle ?
L’impérialisme marchand et la cause des touaregs
Depuis quand date la cause des touaregs ? Pour mieux la comprendre, il faut d’ailleurs comprendre qui sont les touaregs. Les Touaregs sont un peuple de Berbères nomades vivant dans le Sahara central, l’Algérie, la Libye et sur les bordures du Sahel, Niger, Mali, et Burkina Faso. Ils font sans contestation possible partie de la communauté la plus ancienne d’Afrique du Nord. Les Berbères vivaient en effet déjà dans cette région du temps de l’Egypte pharaonique. Aussi y ont-ils subi au long des siècles les influences égyptienne, carthaginoise (donc des Phéniciens), romaine, byzantine, et plus récemment, arabe et européenne occidentale. La composante touarègue de cette communauté vivant plus au sud au contact des communautés sahéliennes a connu un important brassage avec ces dernières. Ces mélanges font que le phénotype touareg est aujourd’hui très diversifié aujourd’hui et que l’identité touarègue est avant tout culturelle et plus fondamentalement linguistique. L’aire des berbères de façon globale s’étend de l’oasis de Siwa (désert occidental égyptien) aux îles Canaries et jusqu’aux massifs du Sahara central.
Peuple fier et farouchement indépendant, les Berbères romanisés opposent une farouche résistance à l’arabisation à partir du VIIè siècle. Finalement, ils ne cèdent qu’en adaptant l’islam à l’austérité de leur mode de vie, donnant naissance à des idéologies dissidentes qui font partie de ce que l’on a appelé les Kharijismes, et qui fleurissent justement en Afrique du Nord. L’invasion musulmane installe donc une fracture en Afrique du nord entre les populations d’origine et de culture berbères, et les nouveaux venus arabes. Les impérialismes marchands du XIXè siècle sauront en profiter.
A la fin du XIXè siècle et au début du XXè siècle, les Français, pour lutter contre le nationalisme arabe qu’ils n’arrivent pas à désarmer en Algérie et au Maroc, se servent des Berbères et par là, élargissent le fossé qui sépare les deux composantes sociologiques de cet espace. Finalement, le nationalisme gagne également les Berbères, ce qui fait perdre à l’impérialisme français son levier le plus important et accélère la marche vers l’indépendance.
Plus au sud, les Touaregs quant à eux résistent de toutes leurs forces à la pénétration française et sont les derniers peuples de l’Afrique de l’Ouest à être soumis, encore que d’une manière indirecte, d’où la source des actuels problèmes du Mali. En effet, pour mettre fin à la résistance touarègue qui met en péril les troupes coloniales, les français réorganisent l’espace de l’Afrique du Nord et de l’Ouest sans tenir compte de la présence pourtant significative de la composante touarègue : des territoires sont tracés, certains gérés dans l’Afrique du Nord, d’autres dans l’AOF, et les Touaregs, pris de court par cette manœuvre, se retrouvent divisés et dispersés aux quatre vents, entre l’Algérie, le Mali, le Niger, la Haute-Volta (Burkina Faso), sans oublier les petites communautés qui se retrouvent en Lybie, au Nigeria et au Tchad. Leur résistance s’affaiblit même si leur ambition de se retrouver dans un territoire national qui leur appartient et les regroupe n’en est pas amoindrie. Celle-ci justifiera dès 1916 et après ce que l’on a appelé les rebellions touarègues.
Ainsi, dans l’espace qui peut être considéré comme le berceau de leur civilisation, les Touaregs, comme tant d’autres populations de par le monde, ont été victimes des conquêtes de l’impérialisme marchands de la fin du XIXè siècle et du début du XXè siècle. Mais la fin de la guerre froide et l’émergence de nouvelles menaces (islamisme radical au Moyen-Orient, nouveaux pays dits émergents en Asie, en Amérique latine et même en Afrique) va modifier l’équation Touareg, cette fois semble-t-il en faveur de ces derniers – le temps dira jusqu’à quel point - et au détriment principal du Mali, semble-t-il.
La post-guerre froide et son impact sur la question touarègue
Dans une importante déclaration signée par 20 intellectuels maliens, écrivains, historiens, économistes, éducateurs, avocats, nous lisons : « Le Mali n’est pas en danger du fait d’un « putsch militaire » mettant en péril un processus de démocratisation exemplaire, mais du fait de la démocratie formelle et des enjeux géopolitiques, économiques et stratégiques dont les citoyens ordinaires n’ont pas la moindre idée ». Cette déclaration cerne dans toute sa profondeur la problématique de la crise malienne.
D’abord sur la question de la démocratie libérale dans sa version tropicale ou tropicalisée, c’est-à-dire plus ou moins dégradée. Dans Capital, travail et mondialisation vus de la périphérie [1], nous attirions déjà l’attention sur les dangers de cette démocratie toute formelle. Une démocratie qui exalte une liberté formelle que sous-tend une inégalité réelle ne peut déboucher que sur une impasse. Comme dans la Grèce antique au temps des tyrans, le peuple malien s’est retrouvé en train d’applaudir une junte militaire – avec l’appui des caméras occidentales, il va sans dire - contre une aristocratie oligarchique qui s’était déguisée en démocratie avec pour ambition de l’abuser. Cette démarche, on peut le parier sans risque, ne s’arrêtera pas au Mali. Dans le cas Malien, le pouvoir s’est effondré un peu comme s’il n’avait jamais existé et l’on en est encore à se demander s’il a même jamais bénéficié d’un quelconque soutien populaire.
Il y a ensuite les enjeux géopolitiques, économiques et stratégiques. L’effondrement de l’empire soviétique en 1991 semble avoir eu pour principale conséquence d’ouvrir la voie à deux menaces graves pour l’hégémonie marchande qui gère le monde depuis la fin du XIXè siècle à partir de Londres puis de Wall Street : l’islamisme radical et l’émergence à la périphérie de nouvelles puissances économiques. Deux dangers qui imposent une reconfiguration stratégique pour les puissances jusque-là établies. L’on a vu les Etats-Unis renforcer leur présence militaire ici et là dans le monde depuis lors. Les Américains sont désormais présents à Djibouti depuis 2002, et le lien entre cette présence et septembre 2001 est ici évident. Depuis peu, ils renforcent leur présence dans le pacifique et notamment en Australie : le lien cette fois avec la montée en puissance de la Chine sur tous les plans est ici également évident. Mais revenons à l’Afrique de l’Ouest et au Mali des Touaregs. Et là nous retrouvons un mélange des impératifs aussi bien économiques que sécuritaires.
Au plan sécuritaire, la naissance d’AQMI (Al-Qaida au Maghreb islamique) connu avant le 25 janvier 2007 sous le nom de Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) a ouvert une voie de pénétration pour l’islamisme radical sur le continent par le Nord. Une telle pénétration représente une menace d’autant plus sérieuse pour les intérêts américains en Afrique qu’entre 1990 et 2001, l’intérêt des Etats-Unis pour l’Afrique est passé du niveau simplement économique au stratégique. En témoigne la création en 2007 de l’USAfricom, le commandement militaire américain pour l’Afrique. Or l’Africom n’a pas de base en Afrique, et dans cette zone du désert où sévit AQMI, l’ancienne puissance coloniale, la France, n’arrive pas à forcer la main du pouvoir malien pour y installer, comme à Djibouti sur le Golfe d’Aden, une base militaire pour contrôler le Sahara. Les trois bases aériennes qu’elle détenait au Nord du Mali : Tessalit, Gao et Tombouctou, elle avait dû les fermer au début des années 60 et depuis lors, malgré des pressions pour obtenir la réouverture de la base de Tessalit, non seulement les différents pouvoirs maliens ont su y résister mais leur exemple a fait tache d’huile puisque Wade au Sénégal a exigé et obtenu récemment la fermeture de la base militaire française qui se trouvait dans ce pays.
De même qu’en France il a fallu un pragmatique américanophile comme Sarkozy pour briser le tabou du gaullisme et ramener ce pays dans le commandement intégré de l’OTAN, au Mali, l’on voyait difficilement comment un pouvoir « démocratiquement » élu pouvait prendre sur lui de redonner les clés de Tessalit aux Français. Il ne restait plus que la solution commode de la suspension des institutions démocratiques par une junte militaire d’opérette, actionnée à point nommé - en fin de mandat d’un président qui ne se représentait plus, ce qui enlevait à l’argumentaire des putschistes toute crédibilité – pour permettre de contourner le processus démocratique et, sans doute, aider par la désorganisation inévitable qui allait s’en suivre, les nouveaux protégés touaregs [2] à se positionner sur le terrain à toutes fins utiles.
Les Touaregs du MLNA sont comme on le sait, à la fois indépendantistes et partisans de la laïcité. Il n’est donc plus nécessaire de les convertir à la modernité dans sa version occidentale. Cela en fait des alliés fiables dans la lutte contre AQMI, groupuscule qui justement cumule les attributs opposés : en effet, que ce soit les islamistes d’Ansar Dine ou les éléments d’AQMI opérant au sein des groupes qui ont investi le Nord du Mali, ils veulent installer sur l’ensemble du Mali un Etat islamique et ne veulent point entendre parler de l’indépendance de l’Azawad. La qualité et la quantité de l’équipement que ces assaillants sont censés avoir ramené de Libye est d’ailleurs encore pour l’instant un sujet d’interrogations sans réponses. Qui les a réellement équipés ? Pour quelle mission ?
De l’avis de plusieurs spécialistes occidentaux, la composante islamiste au sein de la rébellion touarègue était évaluée comme fortement minoritaire et c’est donc une surprise lorsqu’il apparaît au lendemain de l’occupation de tout le Nord malien que sur le terrain, c’est AQMI qui semble dicter sa loi : « Les islamistes d'Ansar Dine, dirigés par le chef touareg Iyad Ag Ghaly, et des éléments d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) ont, depuis lors, pris le dessus sur le MNLA », lit-on dans Le Monde.fr du 06 avril 2012. Cela faisait-il partie des plans ou s’agit-il d’un grain de sable dans une belle machinerie ?
En tout cas, depuis que les événements ont pris cette tournure, la perspective d’un Azawad indépendant semble avoir perdu beaucoup de son attrait pour les stratèges de la communauté dite internationale. Quelle serait en effet l’utilité pour l’Occident d’un Azawad riche en uranium et en phosphate si cet Etat se créait sous la bannière de l’islamisme radical ? Après avoir justifié la précipitation du Mali dans la crise, la présence dans le Sahara des islamistes d’Ansar Dine et d’AQMI va-t-elle être la raison suffisante du salut de cet Etat ?
[1] Capital, travail et mondialisation vus de la périphérie, l’Harmattan, 2011
[2] On comprend le sens de l’étonnement d’ATT qui, dans un entretien au Figaro, jeudi 15 mars, accuse les rebelles touareg du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) de "crimes de guerres" à Aguelhok et s'étonne du "silence des organisations internationales sur ces atrocités".
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