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Décryptage : Le FESF à 1000 milliards d’euros peut-il sauver l’Europe de la crise ?

Par Roger KAFFO FOKOU, auteur de Capital, travail et mondialisation vus de la périphérie, l’Harmattan, 2011


Au cours des dernières semaines, la perspective du défaut de la Grèce a soufflé comme un vent de panique sur les marchés et a transformé la scène politique européenne en un ring où s’affrontaient les principaux acteurs étatiques pour tenter soit d’imposer chacun son approche, soit de réduire le fossé des divergences existantes. L’on a vu le ton subitement monter entre Sarkozy et Cameron, au-delà de la fréquence diplomatique habituellement usitée. S’entendre ou mourir, telle est apparue l’alternative qui s’offre aujourd’hui à l’Europe. Au centre de ce vif débat, le statut et la capacité d’action des principales institutions financières européennes dont le FESF (Fonds Européen de Stabilité Financière) notamment. Au cours de la rencontre de crise du 26 octobre 2011, sous la pression des marchés financiers mais également des opinions publiques, les Européens ont abouti à un consensus qui autorise le relèvement des capacités de ce fonds de 440 milliards d’euros à 1000 milliards d’euros désormais. C’est, indiscutablement, une bouffée d’oxygène pour les marchés et les Etats en difficulté. D’où la question : le FESF peut-il sauver l’Europe de la crise économique et sociale dont la crise de la dette n’est qu’une des manifestations aigües ? Pour répondre à une telle question, il faut partir du statut du FESF dans ses rapports avec la BCE (Banque Centrale Européenne) et les autres institutions européennes qui toutes interviennent dans la gestion des besoins financiers de l’Europe, et des possibles implications des actions dudit fonds non seulement sur la situation socioéconomique de l’Europe mais sur les grands équilibres de la scène politico-économique mondialisée.


Le FESF dans le dispositif de gestion de la dette des Etats européens

 Créé dans l’urgence le 9 mai 2010, le Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF) vient s’insérer dans un espace où opèrent déjà la Banque centrale européenne, la Banque Européenne d’Investissement, la Commission européenne, le Fonds Monétaire International pour ne citer que ces importantes institutions. Et chacune d’elles, conformément ou non à ses statuts, intervient désormais ou peut intervenir dans la gestion de la dette souveraine des Etats de l’Union européenne.


La mise en place du FESF résulte directement de deux facteurs : d’une part le fait que les statuts de la BCE assignent pour principale mission à cette institution de veiller à la stabilité de l’euro et que par conséquent celle-ci ne peut intervenir  sur le marché obligataire (primaire ou secondaire) que de façon exceptionnelle ; d’autre part, le niveau intolérablement élevé d’endettement de certains Etats (Grèce, Portugal, Irlande, Italie…) et l’amenuisement progressif de la capacité de ces derniers à honorer leurs engagements, avec pour corollaire que ces pays ont de plus en plus de mal à se refinancer sur le marché à des taux d’intérêts acceptables.  Il est d’ailleurs dit que le FESF ne peut intervenir dans un Etat qu’en qualité de sapeur-pompier c’est-à-dire lorsque celui-ci devient incapable d'emprunter sur les marchés à des taux acceptables. L’intervention du FESF traduit donc le fait que la situation de certains pays de la zone euro a franchi la ligne rouge. En la dotant d’une capacité de 440 milliards d’euros, les dirigeants européens estimaient raisonnables les chances de non contagion des autres pays – notamment l’Italie, l’Espagne, le Portugal – par la crise grecque.


Le FESF permet à l’Europe de bénéficier d’un avantage : il soulage la BCE et lui permet de rester autant que possible près de sa mission principale, maintenir la stabilité de l’euro et celle des prix, deux paramètres dont l’économie allemande, moteur de l’Europe, a absolument besoin. Il a cependant un inconvénient majeur : il ouvre la voie à la mutualisation de la dette européenne au détriment des économies les plus performantes et les plus disciplinées de cette zone. De par les textes en effet, les obligations émises par le FESF pour financer les dettes des Etats en difficulté sont garanties par chaque pays membre de la  zone au prorata de ses parts dans le capital de la BCE, lesquels correspondent au poids du PIB de chacun dans celui de l’Europe. Et Il y a pire : non seulement le FESF intervient sur le marché obligataire secondaire (donc a pour mission de soulager les banques des risques que celles-ci ont librement consenties en les débarrassant des dettes pourries) mais, en plus du capital garanti, l'accord élargi du FESF tient les États garants pour responsables de tous les frais d'intérêt des obligations émises par le Fonds, contrairement à la structure originale du FESF. Cela élargit considérablement le passif potentiel du contribuable européen. Et d’après certains comme Olivier Delamarche, associé et gérant de Platinium Gestion, « le fonds a la possibilité d'agir juridiquement contre un pays qui ne paierait pas, il a le droit de demander n'importe quelle somme à un pays, qui doit s'exécuter dans les 7 jours. En revanche les banquiers qui le dirigent se sont votés l'impunité, c'est-à-dire qu'il y a l'article 27 qui dit « on ne peut pas agir contre les décisions du FESF ».   


Cette situation signifie clairement la chose suivante : que le FESF intervient dans un espace où les Etats sont déjà surendettés, certains étant de plus en plus incapables d’honorer leurs engagements, et où le système bancaire est désormais en danger. le FESF ne semble cependant pas conçu comme une véritable solution à la crise ambiante : il permet tout au plus de choisir entre deux maux l’un : il contribue à la protection des épargnes des déposants (stabilité monétaire) et du pouvoir d’achat du citoyen de l’Union, facteurs nécessaires à la consommation donc à la croissance ; mais en même temps, il permet de repousser indéfiniment le plafond de l’endettement souverain. Dans ce sens, il offre un répit aux Etats en difficulté : il décongestionne le marché obligataire en le nettoyant d’une quantité de mauvaises dettes en même temps qu’il réduit l’offre d’obligations primaires en achetant directement auprès des Etats les nouvelles émissions.


Pour donner plus d’amplitude à l’action du FESF, la rencontre du 26 octobre a pris trois décisions importantes : augmenter la capacité du fonds de 440 milliards à 1000 euros, de quoi lui permettre d’intervenir en cas de difficultés de grosses économies comme l’Espagne ou l’Italie (il faut rappeler qu’au moment de ce relèvement, le FESF après l’intervention auprès du Portugal et de l’Irlande ne disposait plus que d’une capacité d’intervention de 250 milliards d’euros) ; effacer une partie de la dette grecque (50%) qui de toute façon risquait d’être entièrement perdue ; la recapitalisation des banques à hauteur de 106 milliards d’euros sur fonds privés sans doute mais avec la garantie des Etats. En attendant la mise sur pied du véhicule spécial (SPV) censé donner un effet de levier au fonds et adossé en même temps au FMI, on peut dire qu’un sursis vient d’être acheté en Europe. A quel prix et pour combien de temps ?


Les points faibles du système

La première faiblesse du dispositif mis en place est qu’il creuse l’endettement public au détriment du contribuable et octroie toutes les protections imaginables aux banquiers. Les sources d’un endettement public acceptable par tous en Europe,  saturées au moment de l’établissement du FESF comportent entre autres, la Banque Européenne d’Investissement (BEI), le Mécanisme européen de stabilité qui peut prêter aux Etats en difficulté jusqu’à 60 milliards d’euros garantis par le budget de la Commission de l’UE, la BCE à qui l’autorisation a été donnée d’acheter de la dette publique malgré ses statuts (Depuis mai 2010, la BCE a en effet déjà racheté 169,5 milliards d'euros d'obligations d'Etats en difficulté de la zone euro), les interventions du FMI… Au sortir de la réunion de Bruxelles du 26 octobre, le contribuable européen voit s’ouvrir devant lui un fossé de plus de 500 nouveaux milliards d’endettement éventuel auquel il faut ajouter les charges qui sont de l’ordre d’au moins 6% par an (Le FESF emprunte à 3% sur le marché et prête à 6% au Etats en difficulté, allez donc savoir pourquoi !).

Deuxièmement, les banquiers et investisseurs institutionnels ont réussi l’exploit d’obtenir des Etats des garanties substantiels : ils peuvent refiler en cas de nécessité les risques de leurs mauvaises dettes aux Etats via le FESF ou la BCE, c’est-à-dire aux contribuables (en intervenant sur le marché obligataire secondaire, la BCE et le FESF jouent les rôles de Bad banks ; en contrepartie, les banques acceptent de se refinancer sur fonds privés mais, il fallait s’y attendre, avec la garantie des Etats) ; l’ensemble des créances qui résulteront donc de ce processus de surendettement est garantie intérêts compris par les Etats. Il faudrait donc que toute la zone s’effondre pour les banquiers et investisseurs institutionnels perdent leurs mises. Le coût de cette opération de sauvetage apparaît ainsi extrêmement élevé, aux dépens du seul contribuable européen. Combien de temps peut-elle tenir ?


A première vue, pas longtemps. La rhétorique du « véhicule spécial » adossé au FESF et au FMI dit clairement que les dirigeants européens savent qu’ils jouent contre la montre et qu’il faut rapidement mettre en place un nouveau mécanisme avant que la digue de la dette ne cède à nouveau. Dans un système rongé complètement par la spéculation, ils savent qu’il existe des forces et pas des moindres qui travaillent à miner le terrain pour que tout aille mal. C’est notamment le cas des détenteurs des CDS, les fameux « credit default swaps », ces instruments de garantie des créances à risques largement utilisés aujourd’hui, et qui sont désormais l’objet d’une importante spéculation à partir du moment où l’on peut en acquérir sans même être détenteur d’une quelconque créance. De nombreux géants du système bancaire européen et certainement outre-Atlantique détiennent aujourd’hui un important portefeuille de ces CDS et cela ne contribue pas peu à empoisonner le marché de la dette souveraine en Europe.


On voit d’ici l’engrenage qui s’est peu à peu mis  en place : un endettement dont la courbe grimpe incessamment, des banquiers et investisseurs qui prennent le meilleur et laissent le pire aux contribuables notamment ceux des Etats qui gèrent rigoureusement, une spéculation sur la dette qui enfle et introduit dans le système une pression en faveur de la faillite de ce dernier. En démultipliant les possibilités du FESF grâce au véhicule spécial qui est en train d’être mis en place avec l’appui des économies émergentes, la zone euro pourra-t-elle sortir de la crise ?


Les chances de l’Europe aujourd’hui

Si le problème de la zone euro en particulier et de l’UE en général se limitait à la crise de la dette, le dispositif actuel appuyé par le futur véhicule spécial aurait certainement un maximum de chances d’être une solution. Pour repartir, l’Europe doit pouvoir se financer sur le marché à un coût raisonnable mais cela ne sera possible à long terme que si elle retrouve la croissance économique à niveau lui permettant de réduire ses déficits budgétaires d’abord, puis de faire des excédents afin d’éponger sa dette souveraine. Tant que cette possibilité-là ne se transforme pas en probabilité, le risque pour les créanciers de l’Europe de perdre leurs créances sur celle-ci seront trop élevés pour que ceux-ci y investissent à un niveau compatible avec les besoins de l’économie. Ceci explique d’ailleurs les précautions et les réticences des pays émergents à engager leurs épargnes dans le processus. M. Pascal Lamy, directeur de l’OMC rappelait dans une interview sur France 24 que les Chinois disposent aujourd’hui de 3200 milliards de dollars de réserve, et que réfléchissant forcément en banquiers, ils n’ont aucun intérêt à laisser oisif ce pactole alors que le marché européen en a besoin. Et justement les Chinois ont laissé entendre qu’ils sont prêts à investir entre 50 et 100 milliards de dollars en Europe ; les Brésiliens quant à eux pourraient y mettre 10 milliards. Ce n’est pas énorme au regard des besoins mais ce serait déjà une bouffée d’oxygène et un signal qui pourrait inciter d’autres à en faire autant, dans un effet d’entrainement. Seulement, tous ces pays trouvent que le risque reste trop élevé pour l’instant. Parlant du véhicule spécial attendu,  le vice-ministre chinois des finances, Zhu Guangyao, a déclaré lors d'un point de presse sur le déplacement du numéro un chinois, Hu Jintao au G20 de Cannes la semaine prochaine : « Nous devons attendre les détails techniques pour y voir clair et entreprendre des études sérieuses avant de décider d'un investissement ». Quant aux Brésiliens, ils sont également clairs : «Nous devons voir s'il s'agit d'un bon produit ou non », disent-ils. Et pour ne rien simplifier à l’affaire, les risques redoutés sont à la fois réels et multiples.


Il y a d’abord les risques conjoncturels qui sont à la fois financiers et politiques. Financièrement, la situation grecque n’est pas un bon signal pour les créanciers d’autant que certains y ont déjà perdu 50% de leurs créances. Elle contribue à détériorer un climat qui dégrade continûment la confiance des marchés et met en danger les investissements. Politiquement, les responsables publics sont pris pour la plupart entre deux feux. D’un côté, il y a la pression des milieux d’affaires. Comme le dit  Marc Roche, correspondant du Monde à Londres et auteur du livre Le Capitalisme hors la loi (Ed. Albin Michel), « le pouvoir politique paraît à première vue impuissant face à l'économie. Et pour cause, les milieux d'affaires ont littéralement phagocyté dans de nombreux pays la classe politique. Que font les politiciens de gauche quand ils quittent le pouvoir ? Beaucoup rejoignent la banque : Tony Blair chez JP Morgan, Peter Mendelson chez Lazard, Romano Prodi chez Goldman Sachs et Gerard Schroeder dans la nébuleuse énergético-financière Gazprom ». Signer des engagements avec des hommes politiques manifestement si peu maîtres de la situation représente toujours un risque difficile à évaluer à l’avance. De l’autre, il y a la pression des opinions publiques et des rues en amont des échéances électorales. Même la Chine doit tenir compte de son opinion publique pour intervenir dans la gestion de la dette souveraine européenne.


Il y a surtout les risques structurels. Comment faire pour, d’une part, améliorer les recettes de l’Etat sans pénaliser le pouvoir d’achat donc la consommation, et d’autre part améliorer la compétitivité pour retrouver une balance commerciale positive ? Dans le premier cas, il faut engager une restructuration fiscale permettant à la fois de lutter contre l’évasion fiscale (cas de la Grèce et de l’Italie) et de faire payer davantage les classes riches. Le problème, c’est que les capitaux n’ont pas de frontière et que le nationalisme n’est pas le point fort des milieux d’argent. Et comme le dit Audrey Fournier, «  Rien n'est en effet plus simple pour une banque que d’aller travailler ailleurs, si elle estime que les conditions qui lui sont offertes sur telle ou telle place financière lui sont défavorables, et ce choix n'est pas sans conséquence sociale quand on sait le poids que représente le secteur bancaire et financier à Paris, Londres ou New York ». Marc Roche renchérit : « En effet, chaque Etat protège cette place offshore. Les Etats-Unis ont le Delaware, où est immatriculée la quasi-totalité des entreprises américaines pour payer le moins d'impôts possible et se soustraire aux impératifs de sécurité des employés. Dans le même ordre d'idées, la Grande-Bretagne utilise les îles anglo-normandes et les îles Caïmans comme rabatteurs de fonds pas toujours propres au bénéfice de la City. L'Italie a Monaco ; la France et l'Espagne ont l'Andorre ; la Belgique a le Luxembourg ; l'Inde, l'île Maurice ; la Chine, Hongkong ; et ainsi de suite, pour une suite sans fin ».Dans le second cas, il faut libéraliser davantage, et donc rendre le marché de l’emploi plus flexible : en d’autres termes, il faut déconstruire le système de protection sociale en vigueur, pour permettre les réductions de salaires, de pensions de retraite, du montant des prestations sociale, faciliter les licenciements etc. Sauf à vouloir déclencher une guerre sociale, aucun Etat n’est prêt à souscrire à de telles mesures à moins d’avoir le dos au mur et le couteau sous la gorge comme c’est le cas de la Grèce actuellement. Et comme l’on a pu le voir, cela permet d’économiser pour faire face à la dette mais a un effet extrêmement négatif sur la croissance.


Les résultats de la réunion du 26 octobre à Bruxelle ont sans doute eu le mérite d’obtenir du marché un répit mais ce sursis est très provisoire. Pour aller vers une véritable issue, il faudra des mesures plus courageuses. Les politiques oseront-ils à un moment faire front pour les prendre ? Rien n’est moins sûr.



30/10/2011
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