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Demain l’Europe : quel choix entre le chaos et la dictature ?

Les récentes élections européennes ont abouti à des résultats somme toute raisonnablement  éloignés de la catastrophe que beaucoup avaient crainte un moment, ouf ! Le fameux raz-de-marée annoncé des populistes n’a pas eu lieu. Ce soulagement manifeste et même bruyant, un peu trop bruyant, peut-il durer et les conditions de son éventuelle durabilité existent-elles ? Oui mais, le moins que l’on puisse dire, c’est que celles-ci sont difficiles à réunir, tant les tendances sociales et leurs conséquences politiques que ces élections ont confirmées sont constantes : elles ne s’écartent guère, à l’analyse, des perspectives esquissées de façon véritablement visibles depuis 2008-2009. Le filigrane que l’œil attentif discerne derrière le bousculement de l’actualité trahit ainsi l’inexorable poursuite de l’effondrement des idéologies nées à la fin du XIXe siècle. Le chaos provisoire qui s’en suivra, si ce processus va à son terme, balaiera pour un temps le système démocratique dans sa version libérale actuelle, pour des raisons que nous verrons. A sa place s’installera un chaos durable ? Peut-être pas forcément : un ordre autoritaire semble être l’issue la plus probable, au regard des projections actuelles.  

De l’effondrement des idéologies de la fin du XIXe siècle

A la fin des années 1980, la chute du mur de Berlin et la dislocation de l’Union soviétique ont été interprétées avant tout comme la victoire du capitalisme sur le communisme. Fukuyama est alors devenu célèbre en théorisant la fin de l’histoire. La montée progressive du capitalisme en Chine a un temps conforté cette position. Tous ont oublié un très vieux principe de fonctionnement de l’univers : celui de l’équilibre. Dans la mythologie égyptienne, le soleil et le serpent Apophis se livrent à une lutte perpétuelle, de l’équilibre de laquelle dépend la survie du monde. De même, l’équilibre des forces entre l’Est communiste et l’Ouest capitaliste a certes engendré la guerre froide et ses horribles conséquences, mais a aussi obligé le capitalisme à des concessions qui, ne serait-ce que dans les pays du Nord et malheureusement très souvent aux dépens des pays du Sud , ont permis le développement du syndicalisme avec la constitution d’une véritable classe moyenne, laquelle s’est interposée avec succès entre les riches et les pauvres pour bloquer la réalisation de la prophétie marxiste. Le capitalisme a pu tout ce temps se prévaloir de ce que son modèle, loin de construire la lutte des classes, offre une échelle sociale accessible à tous dans un espace où toutes les libertés sont garanties.  L’effondrement du soviétisme fut en fait le premier coup asséné à cet édifice de la fin du XIXe siècle.

En effet, privé de l’adversaire communiste, le capitalisme est devenu au fil du temps arrogant, puis progressivement outrancier. Il a successivement réglé leurs comptes au syndicalisme et à toutes les gauches politiques. Dans ce sens-là, il est faux de dire, comme il est courant de l’entendre dire ces temps-ci dans un cas comme celui de la France, que la gauche et la droite se sont effondrées : seule la gauche des XIXe-XXe siècles s’est effondrée. La chute du communisme soviétique, qui dans le fond n’a jamais été qu’une gauche bancale, a acté la défaite idéologique de la gauche et sa décrédibilisation. On a cru pouvoir sauver ce qu’il en restait dans la variante sociale libérale : celle-ci n’était pas au fond moins hypocrite que sa parente soviétique. Elle est en train de mourir de ses propres compromissions. Que restera-t-il bientôt du paysage politico-idéologique de la fin du XXe siècle ? Certainement pas le centre et les droites : seulement les droites.

Du nouveau déséquilibre droite-droite aux portes du pouvoir

D’abord, le centre est presque toujours une escroquerie, ailleurs comme en politique : François Bayrou en France en est la vivante démonstration. Le centre-gauche n’est qu’une nuance de la gauche comme le centre-droit n’est pas autre chose qu’une nuance de la droite. Ce n’est pas la gauche qui s’est effondrée, ce sont les gauches qui se sont effondrées. Il est temps que le XXI e siècle se construise une nouvelle gauche, s’il veut affronter les droites actuellement aux affaires un peu partout. Et ces droites-là, quoi qu’elles disent, ne gouverneront pas dans l’intérêt des pauvres, parce que, bien que différents, leurs ADN ne les inclinent pas à cela. L’une taxe l’autre de populiste, mais il est évident qu’elle-même est loin d’être populaire.

Il y a la droite libérale, qui se veut plus ou moins centriste et prétend puiser son personnel et ses recettes politiques aussi bien à gauche qu’à droite. Mais à quoi correspond aujourd’hui, socialement je veux dire, le centre ? A rien. La classe moyenne qui meublait cet espace est en voie de disparition. Quand elle existait, elle votait un coup à gauche, un autre coup à droite. De l’histoire ancienne bientôt. La droite libérale, pour tout dire, c’est la droite capitaliste et elle ne représente que les intérêts du marché. La droite libérale, c’est en fait l’extrême-droite capitaliste, mondialiste, hypocrite mais revêtue des rassurantes couleurs républicaines. Tant pis pour ceux qui s’y trompent. En France, Edouard Philippe ou Bruno Lemaire ne se sont pas trompés en la rejoignant : elle correspond en effet à la droite à laquelle ils croient. En face, cette droite a l’extrême-droite nationaliste, dite populiste, avec ses nuances (dans une certaine mesure, Nicolas Sarkozy, François Fillon, Laurent Wauquier et bien d’autres font partie de cette grande famille), et dont le cœur en France se trouve être aujourd’hui le Rassemblement National. Avant 1789 dans ce pays, l’aristocratie était à droite, la bourgeoisie à gauche : et cela donnait un certain équilibre. Aujourd’hui, l’on a, face à face, deux droites aussi extrêmes l’une que l’autre : c’est la recette du chaos dans un système qui se veut démocratique, et d'un ordre d'airin dans un système qui aura fait le choix de la dictature. Cette alternative est-elle évitable ?

Des projections possibles pour demain

Est-il possible à terme raisonnable de trouver une alternative à la gauche du XXe siècle pour rééquilibrer le système politique et ainsi éviter le chaos ou la dictature ? Au Brésil, les échecs alternés de la droite et de la gauche ont offert sur un plateau d’argent le pouvoir à la dictature. En Argentine, ce même schéma, à terme, ne peut être exclu. En instrumentalisant la démocratie, le marché n’a cessé de la décrédibiliser et avec elle le personnel politique qu’il profite de la marchandisation du politique pour placer au pouvoir ici et là. Petit à petit, les peuples sont en train de se convaincre que le seul véritable ennemi qu’ils doivent abattre pour retrouver leur dignité, c’est le marché, et que pour le vaincre, il faut voter contre ses hommes liges, et pour ses véritables adversaires : l’ennemi de mon ennemi peut, jusqu’à un certain point, être considéré comme mon ami. Ceci explique le retournement sémantique qui est en train de se faire, et qui pourrait bientôt inverser la connotation du terme « populiste ». Ce même retournement pourrait bientôt affecter également le sens du mot "nationaliste". « Le nationalisme, c’est la guerre », disait François Mitterrand. La guerre dont il parlait était un conflit armé. Dans la guerre économique actuelle, c’est la mondialisation, dans sa version outrancière, qui semble à craindre ; et le nationalisme, pour peu qu’il sache se plier à quelques concessions, peut apparaître de plus en plus comme une valeur refuge.

Sur le terrain politique français aujourd’hui, un parti comme Les Républicains, par un simple phénomène de glissement de curseur, se trouve, entre l’extrême-droite capitaliste (LREM) et l’extrême-droite nationaliste (RN), dans la position qui était hier celle du Modem de Bayrou : son électorat, tiraillé entre ces deux extrêmes, est condamné à voter utile, c’est-à-dire avant tout contre lui. Et cela risque, non seulement de durer, mais de contaminer les autres pays européens, à moins que le marché ne se ressaisisse et n’ouvre un espace politique pour une nouvelle gauche, celle du XXIe siècle. Celle-ci pourrait avoir pour principale mission de reconstruire la classe moyenne pour redonner à la société les piliers dont elle a besoin pour s’assurer un minimum de stabilité.   

Roger Kaffo Fokou, Ecrivain.

 



03/06/2019
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