DES MILLIARDS D’EUROS OU DE DOLLARS CONTRE LE COVID-19: quand la planche à billets est réservée aux pays riches
Roger Kaffo Fokou
Frappés de plein fouet par le Covid-19, les économies des pays du Nord chancellent et inquiètent. Les entreprises, surtout dans les domaines de la restauration, du spectacle, de l’automobile, du transport, du BTP mais pas seulement, sont presqu’à l’arrêt. Pour exemple, plus de 90% des flottes d’Air France KLM, de Lufthansa, d’Easy Jet et autres, sont clouées au sol. L’aéroport d’Orly, deuxième plus important de France, a fermé ses portes.
Selon Corine Primois (site du Ministère de l’Economie et des Finances de France), « Dans le transport aérien, la crise du coronavirus devrait provoquer une perte de chiffre d'affaires de 252 milliards de dollars cette année, ce qui représenterait une chute de 44% par rapport à 2019. Le trafic passager devrait en effet baisser de 38% sur l'année. » Ces chutes drastiques d’activités, tous secteurs confondus, ont déjà un impact terrible sur les chiffres de l’emploi.
Selon Anne Cheyvialle (Le Figaro, 7 avril 2020), « Ce choc se traduit par une envolée du chômage. Les chiffres sont effrayants aux États-Unis avec 10 millions de nouvelles inscriptions en deux semaines. Bien plus que le pic de 800.000 atteint en 2008 ! Idem au Canada avec 2,13 millions d’inscrits aussi sur la quinzaine. En Grande-Bretagne, le nombre - 950.000 nouvelles demandes entre le 16 et le 31 mars - est dix fois plus important que la normale. Dans une Europe plus protectrice qui dispose de filets de sécurité, la part du chômage partiel explose. En Allemagne, près de 500.000 entreprises ont fait la demande en mars, c’est vingt fois plus qu’après la crise financière sur un mois. En France, les demandes concernent 5,8 millions de travailleurs, plus d’un salarié du privé sur quatre. »
En Afrique, la situation pourrait en raison des fragilités bien connues des tissus infrastructurels et économiques, de la quasi absence des filets de sécurité, être encore plus tragique. Hier 9 avril 2020, la Banque Mondiale a indiqué que l’Afrique connaîtra sa première récession depuis 25 ans. Elle s’attend à une chute de la croissance économique de l’Afrique subsaharienne de 2,4% en 2019 à un taux compris entre -2,1% et -5,1% en 2020.
Face à ces sombres perspectives, les politiques du monde d’entier s’organisent pour voler au secours de leurs économies. Le plan d’appui aux entreprises françaises en difficulté, initialement fixé à 45 milliards d’euros, a été plus que doublé hier 9 avril 2020, passant à 100 milliards d’euros.
Aux Etats-Unis, la réserve fédérale est entrée en ordre de bataille depuis le 15 mars 2020, ramenant ses taux directeurs à presque zéro, réenclenchant le quantitative easing, programme d’achats massifs d’obligations (entre 700 et 1000 milliards de dollars), et assurant des prêts aux ménages et entreprises.
En Europe, la BCE annonçait le 19 mars 2020 un plan d’achat d’obligations de 750 milliards d’euro. Ce jeudi 9 avril, Bruxelles a effectivement décidé de mettre sur la table 500 milliards d’euros, soit 240 milliards d’euros par le biais du mécanisme européen de stabilité pour permettre de faire face aux dépenses de santé, 100 milliards d'euros pour les mesures de chômage partiel (il touche déjà 5,8 millions de personnes en France) et un fonds de garantie permettant à la Banque européenne d'investissement de prêter jusqu'à 200 milliards aux entreprises.
Comme on peut le voir, les programmes d’achats de grands stocks de masques, de tests, d’équipements de réanimation, d’augmentation de lits d’hospitalisation, de prise en charge par l’Etat du coût salarial du chômage partiel (84% jusqu’à 100% du salaire en France) reposent sur toutes ces possibilités de recours à la politique monétaire, en plus simple, sur la possibilité de recourir à la planche à billets. Les banques centrales d’Europe, du Royaume-Uni, des Etats-Unis, du Japon… vont, souverainement, « couper » et injecter dans leurs économies des milliards de dollars, d’euros, de livres, de yens, etc. Ces pays vont en profiter pour en jeter une poignée ici et là, en Afrique, pour se soulager la conscience. Que vont faire les banques centrales africaines ou ce qui en tient lieu dans les pays francophones ? Il est urgent que des annonces claires soient faites sur le sujet, et le plus tôt serait le mieux.
Comme pour le covid-19, un virus qui s’emparerait de la finance mondiale, en raison des manipulations dues au quantitative easing, ne connaîtrait aucune frontière et toucherait les économies de tous les pays. Ces annonces de plans d’aide à l’Afrique – aux montants ridiculement bas – ne sont pas vraiment une aide, venant de pays qui manipulent leurs monnaies pour survivre à la crise du covid-19 – on ne peut le leur reprocher – mais sans se soucier vraiment des conséquences possibles ou probables de cette manipulation sur les autres économies, notamment les plus faibles et celles qui ne disposent pas des mêmes facilités. Sous cet angle, cette aide ne peut plus être qu’un alibi. Commencer à se prendre en charge, pour l’Afrique, c’est commencer à chercher une issue à des impasses de ce genre. Et cette crise tombe sans doute à pic – tout cynisme exclu – pour engager cette mutation nécessaire.
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