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Dévaluation du FCFA en vue : tous ceux qui vont en payer le prix

Voici que l’on reparle de dévaluation du FCFA, dans un contexte de crise de la dette souveraine européenne, et d’une avant-crise de la dette publique de la zone CFA annoncée par la mise en garde de l’agence de notation Fitch. Il y aura bientôt 20 ans, une forte dévaluation du FCFA (à 50%) supposée être la potion magique devant sortir nos économies tropicales de la crise des années 80 a eu lieu. Nous sommes malgré cela restés dans une crise économique endémique pour ne pas dire chronique. Il faut savoir que selon les experts, les pays africains doivent produire une croissance d’environ 6% par an, compte tenu du rythme de notre croissance démographique, pour espérer inverser les paramètres et amorcer la sortie du marasme. Or de 1994 à 2010, la croissance économique du Cameroun n’a jamais atteint 5% : les chiffres du FMI et de la Banque Mondiale donnent pour les années 2009, 2010 et 2011 les taux de croissance respectifs de 2%, 3,2% et 3,8%. Cette dévaluation-là, qui manifestement semble être passée à côté de son sujet, a-t-elle déjà été évaluée ? Pendant que l’on cherche une réponse à cette question pourtant centrale en matière de gestion, déjà pointe à l’horizon le spectre sinistre d’une nouvelle dévaluation. Faut-il déjà en parler et mettre en garde nos compatriotes alors que les responsables politiques continuent à faire dans la sourde oreille et la langue de bois ? En d’autres termes, cette rumeur peut-elle être considérée comme crédible ? Le cas échéant, à quoi qui pourrait-il s’attendre d’ici au 1er janvier 2012 ?


 

Du problème de la source d’information en matière de dévaluation

La rumeur n’est pas généralement considérée comme une source fiable d’information, selon le bréviaire des spécialistes de la communication de masse. Aussi, examinons la source de l’information qui nous annonce une possible dévaluation du FCFA au 1er janvier 2012. Parue sur le site http://aymard.wordpress.com  le 22 novembre 2011, cette information est reprise du quotidien ivoirien Notre voie qui l’annonce comme l’objet de la récente tournée ouest-africaine d’Alassane Ouattara. Ainsi, « Selon un diplomate européen, c’est pour apporter cette information aux chefs d’Etat de l’UEMOA qu’Alassane Dramane Ouattara a fait le tour de la sous-région la semaine dernière. Il a été mandaté, selon le diplomate, par le président français Nicolas Sarkozy. En Afrique centrale, c’est à Denis Sassou Nguesso que la mission a été confiée d’informer ses homologues de la CEMAC mais aussi des Comores». Comme on peut le voir nous avons trois sources dont la première est anonyme. Notre Voie, premier relai de cette source, est bel et bien un quotidien ivoirien dont nous n’avons aucune raison de douter du professionnalisme. Quant au site Internet http://aymard.wordpress.com, en dévoilant sa propre source, elle donne les moyens de la vérification de l’information délicate qu’elle diffuse. Tout cela suffit-il à convaincre les sceptiques ? Peut-être pas, du moment que le « diplomate » source principale ne se dévoile pas. Pourquoi faut-il malgré tout prêter une attention particulière à cette information ? Parce que d’après tous les spécialistes des dévaluations, une dévaluation est un mécanisme qui doit surprendre tous les acteurs économiques pour faire pleinement son effet, et cela est encore plus vrai à notre époque de mondialisation des circuits financiers. Nous reviendront sur cet aspect en infra lorsque nous essayerons de déterminer les catégories les plus susceptibles de trinquer. Les autorités monétaires et étatiques ne confirmeront donc jamais une information portant sur un projet de dévaluation. Au contraire, jusques à la veille de la mise en œuvre effective de celle-ci, soit elles se tairont, soit elles jureront la main sur le cœur qu’il n’y aura aucune dévaluation. Il y a une deuxième raison pour laquelle cette information devrait être examinée avec la plus grande attention : qui est l’autorité monétaire réelle de zone CFA ?


Du déficit de souveraineté en matière de gestion du FCFA

Les avoirs des zones CFA sont comme l’on sait, logés dans le compte des opérations du Trésor français. Dans les registres de la Banque centrale française, les avoirs des pays de nos zones sont liés aux avoirs publics français, ce qui fait de l’Etat français l’autorité monétaire des zones CFA. Cela explique l’intervention de l’autorité étatique française dans le processus de dévaluation du FCFA comme ce fut le cas en 1994. Désormais, en raison de la disparition du franc français et du transfert de certaines prérogatives de la Banque de France à la Banque Centrale européenne, les francs CFA sont liés à l’euro à parité fixe, toujours sous le contrôle de l’Etat français. Interviewé sur les possibles conséquences de ce facteur sur la situation des pays de la CEMAC au cœur de la tourmente que vit la zone euro, le Gouverneur de la BEAC M. Lucas Abaga Nchama, autorité monétaire théorique de la zone donne une réponse assez surprenante de simplicité : « Est-ce que c’est le trésor français qui doit gérer ce que nous avons dans le compte des opérations de la BEAC, il n’a jamais été question de cela. Nous sommes encore des partenaires, et si cela s’avérait nécessaire, ce serait à la suite d’une négociation entre les différentes parties à l’accord qui instaure cet ordre de chose, que des décisions seraient prises ». S’agit-il de sa part d’une situation d’incompétence avérée ou d’une volonté de désinformer l’opinion ?


Il est pourtant indéniable que l’Etat français gère les avoirs des pays à FCFA logés dans son compte d’opérations, et qu’en vertu de cette situation, aucun pays de ces zones n’est en mesure de mettre en œuvre une politique monétaire du type QE (quantitative easing) que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne mènent à grande échelle depuis 2008 pour relancer leurs économies en crise, ainsi d’ailleurs que la BCE dans une moindre mesure en raison des réticences de l’Allemagne. A titre d’exemple, depuis 2008, les Etats-Unis injectent dans leur économie 1000 milliards de dollars supplémentaire tous les sept mois et demi en moyenne. Les planches à billets des pays des zones CFA étant de ce fait sous contrôle de la Banque de France, aucun pays de ces zones CFA n'est en mesure de créer de la monnaie au-delà de ses stricts besoins (le surplus étant arbitrairement fixé par le Trésor français à 20% des recettes budgétaires de chaque pays). Deuxièmement, en cas de fluctuation de l’euro, c’est le Trésor français qui en gère les effets par rapport au franc CFA.


Nos pays subissent donc les aléas économiques de l'Europe et de sa monnaie sans pouvoir intervenir. Ces aléas sont gérés  par le mécanisme du compte d'opérations du Trésor français qui permet de faire varier la quantité de monnaie en circulation dans les zones CFA en fonction de l'appréciation (ou la dépréciation) de l'ancre monétaire. Spectateurs de la gestion de notre propre monnaie, il ne nous reste dès lors plus qu’à prier pour que les gestionnaires de celle-ci gèrent d’une part la leur (dont la nôtre dépend très étroitement en raison de la parité fixe) efficacement, et d’autre part les conséquences de cette première gestion sur notre monnaie en bon père de famille. C’est en tout cas l’attitude qu’a choisi d’adopter M. Lucas Abaga Nchama : « Pour ce qui est de la conjoncture en Europe, dit-il en toute simplicité, au regard des mesures que ses différents dirigeants ont récemment prise, nous voulons bien croire que l’Europe a bien repris les choses en main et que les conséquences sur l’Euro seront limitées ». Un simple article de foi, venant de la part d’un financier et pas n’importe lequel, le gouverneur de la BEAC. Dans le même registre que lui, espérons que ce monsieur a des compétences autres que le fait d’être le neveu du président équato-guinéen et qu’il sait quelque chose du métier délicat qui est le sien. Au-delà de ces considérations, des arguments objectifs existent-ils aujourd’hui en faveur d’une dévaluation du FCFA ?


Quel type de dévaluation et pourquoi ?

En dehors de la dépréciation mécanique de la monnaie qui résulte de l’action du marché, on distingue deux principaux types de dévaluations : la dévaluation préventive et la dévaluation compétitive. La première a pour but de protéger les réserves de change d’un pays. En dehors de ce mode d’action, les pays des zones CFA disposent d’un mécanisme de contrôle des changes, même si l’on peut douter qu’un tel mécanisme fonctionne efficacement. La garantie du Trésor français a au moins ici le mérite de stabiliser le FCFA, et donc de résoudre un éventuel problème de ponction excessive des réserves de change. Il faut donc chercher du côté de la dévaluation compétitive.


La dévaluation compétitive a pour objectifs de limiter les importations et de favoriser à terme les exportations pour améliorer la balance commerciale. Dans le cas du Cameroun, le renchérissement des biens importés et payés en devises étrangères comme l’euro et le dollar pourrait développer nombre d’inconvénients : augmenter la fraude du côté de la frontière du Nigéria d’une part, et d’autre part, en raison de la faiblesse du tissu industriel local, ralentir des secteurs clés comme celui du génie civil pourtant indispensables pour le développement. En ce moment déjà, les prix des matériaux de construction sont hors de portée du grand nombre. Quant aux exportations, il faudrait déjà que l’offre ou la demande de nos principaux produits d’exportation soient élastiques au prix. Or nous exportons surtout des matières premières pour lesquelles nous ne sommes même pas de gros producteurs. L’évolution des volumes de notre production ces dix dernières années ne montre nullement un potentiel d’augmentation de ladite production sur demande. On ne voit pas comment une demande plus importante de caco camerounais pourrait faire augmenter du jour au lendemain notre production cacaoyère. De toutes les façons la grande diversité des économies des pays concernés par une éventuelle dévaluation du FCFA fait qu’il est difficile de trouver des raisons consensuelles à tous ces pays de décider d’une dévaluation compétitive. Un exemple concret d’une telle nous est donné avec la situation de la zone euro confrontée à la volonté de certains pays d’y voir créer des euros bonds.


La dévaluation peut aussi permettre à l’Etat de « monétiser » sa dette, c’est-à-dire de la payer en monnaie de singe, en monnaie dévaluée. A condition qu’il s’agisse d’une dette contractée en monnaie nationale et non en devise étrangère. Selon l’agence de notation Fitch, la zone CEMAC serait au bord de la crise de la dette publique. Cela justifie-t-il le besoin d’une dévaluation du franc CFA ? Le cas échéant au bénéfice et aux dépens de qui ?


Les gagnants et les perdants d’une éventuelle dévaluation

Il faut d’abord dire que la situation des zones CFA n’est pas uniforme au niveau de l’endettement et de la capacité à honorer les engagements auprès des créanciers : la récente note de l’agence Fitch nous informe que le taux d’impayés aux contreparties nationales de quatre pays de la zone CEMAC s’est élevé à 3,6% du PIB en moyenne contre 1,8% pour la zone UEMOA. L’argument de la dette ne tiendrait donc pas, en raison des grandes disparités par zones et par pays à l’intérieur des zones concernées.


Dans le cas spécifique de notre pays, la dette publique au 31 décembre 2010 est estimée selon les chiffres de la Banque Mondiale à 1510 milliards FCFA, en hausse de 6,7%, par rapport à l'année 2009. Elle est dominée à raison de 70,4% (1064 milliards FCFA) par la dette extérieure. Cette dette extérieure-là est contractée en devises étrangères. Une éventuelle dévaluation la renchérirait et elle serait plus lourde pour les caisses de l’Etat. Pour la payer, l’Etat camerounais ne pourrait compter que de façon marginale sur les revenus des exportations puisque nous importons plus que nous n’exportons, ce qui rend déjà en temps normal notre balance commerciale déficitaire. Ce déficit représentait en 2009 et en 2010 respectivement 3,8% et 2,8% du PIB. Mais il y a la dette intérieure : elle représente au moins 29,6% des 1510 milliards de FCFA, puisqu’il faut y ajouter les récentes émissions de bons du trésor. Elle est composée des créances dues aux entreprises, le plus souvent des TPE (très petites entreprises) : selon l’Institut National de Statistiques (INS) dans un recensement général des entreprises réalisé en 2009, sur les 93.969 entreprises existantes, 75% seraient de très petites entreprises parmi lesquelles 91,8% seraient unipersonnelles. Aux côtés de ces prestataires des services publics, il y a les fonctionnaires qui sont permanemment en situation d’accumulation d’arriérés divers. Il y a enfin les retraités qui ont travaillé dur toute leur vie pour constituer leur pension de retraite en monnaie solide dont l’Etat, dans notre système de gestion publique, a utilisé le produit. Tout ce beau monde, dont les créances auprès de l’Etat ne sont pas indexées, sera payé en monnaie dévaluée. En termes simples, ils seront volés du pourcentage éventuel de la dévaluation en plus du taux normal de dépréciation mécanique qui est au moins de 2,5% par an, soit sur dix ans une perte de 25%. En clair, avec une dévaluation à 40%, cela ferait pour certain une perte réelle de 65% des sommes qui leur sont normalement dues et cela sera une inqualifiable injustice.


Une éventuelle dévaluation aura également des conséquences au niveau des prix sur les marchés. Le taux officiel d’inflation est déjà situé entre 2,5% et 2,8%. Ce taux est horriblement sous-estimé et  ne reflète guère la réalité du marché. Le contrôle des prix en dehors des opérations ponctuelles à caractère publicitaire est au Cameroun une pure propagande. Il suffit de regarder le panier des produits importés qui figurent sur la liste de la ménagère ou qui entrent dans la production des denrées de consommation courante. En pourcentage du volume total de ses importations, le Cameroun importe 24% d’hydrocarbure, 3,8% de riz, 3,7% de poissons, 2,6% de médicaments etc.  Compte tenu de la situation présente, un renchérissement supplémentaire de ces produits conduirait directement au désastre. On ne compte plus les familles camerounaises qui ne mangent que du riz les sept jours de la semaine : voilà une catégorie qui certainement aura du mal à s’en tirer en cas de dévaluation et d’inflation. Faut-il rappeler que chaque Camerounais travaille en même temps pour sa famille nucléaire et sa famille élargie en raison de l’aggravation du chômage de masse ? Pour masquer cette plaie, les chiffres du chômage sont constamment trafiqués. Selon l’INS, ce taux est de 4,4% mais pour le World Watchbook publié par la CIA, il est de l’ordre de 30%. Ce taux est plus compatible avec le taux de sous-emploi de l’INS (les sous-employés sont ceux qui gagnent moins du SMIG, en fait des chômeurs déguisés) qui est de 75,80%. Cette frange-là dont le pouvoir d’achat est déjà quasi inexistant sera acculé dans ses derniers retranchements et nul ne saurait prévoir à l’avance comment elle réagira. Il y aura tout de même une catégorie qui profitera de la dévaluation : le happy few qui dirige le pays et constitue ce « peuple » qui, réuni au congrès du parti au pouvoir, a seul le droit de choisir ceux qui dirigent notre pays et avalisent des dévaluations génocidaires. Pour eux, une éventuelle dévaluation sera même une bonne affaire : tous les comptes qu’ils ont disséminés dans les paradis fiscaux en devises étrangères s’apprécieront automatiquement du taux de la dévaluation. Sous cet angle-là, ils n’auront même pas besoin d’être bousculés pour consentir à la dévaluation.



27/11/2011
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