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Diasporas camerounaises et manifestations à l’étranger: que peut-on en attendre pour l’avenir du pays ?

Ce 03 juillet 2021, la diaspora camerounaise présente en Europe s’est retrouvée Place de la République à Paris pour une grande manifestation contre la mal gouvernance au Cameroun. Une de plus ! Au menu, la gestion opaque des fonds covid (180 milliards de FCFA octroyés gracieusement par le FMI), l’enlisement de la guerre civile dans les régions anglophones du pays, et l’embastillement systématique  des militants des partis d’opposition à toute tentative de manifestation. Les partisans du MRC et du Pr Maurice Kamto semblent avoir été particulièrement en vue au cours cette autre sortie sur cette place si emblématique de la capitale française où, il n’y a pas si longtemps, le président du MRC a lui-même organisé un meeting particulièrement couru. Suffisant pour que la présence, quoique en creux, du MRC et de son président ait justifié pour certains l’attribution de l’organisation de ladite manifestation à ce parti.

Ces dernières années et surtout depuis l’élection présidentielle de 2018 au Cameroun, la contestation du régime au pouvoir à Yaoundé semble s’être exilée pour pouvoir s’exprimer, certainement en raison de la rigueur de la répression exercée urbi contre toute expression contestataire,  dans un certain nombre de pays « amis » où résident de forts contingents de nationaux camerounais. Les projecteurs sont à peine éteints sur l’événement de ce 03 juillet 2021 à Paris que ses organisateurs prennent date pour septembre de cette même année. Une tactique du harcèlement semble ainsi avoir été adoptée pour mener ou accompagner la stratégie de lutte contre le pouvoir établi à Yaoundé. Une tactique qui suscite tout de même des interrogations sérieuses : le choix de la forme et du terrain opérationnels est-il judicieux ? Cette tactique a-t-elle la moindre chance de faire bouger les lignes face à un régime qui maîtrise la technique et l’art de la durée ?

Objectivement et rationnellement, la réponse, même nuancée, ne peut être que négative : les chances, si celles-ci pouvaient exister, seraient fort minces. Mais le principe de réalité, si efficace généralement, ne l’emporte pas toujours dans les affaires humaines, où l’on dirait qu’une place, si petite soit-elle, est toujours faite à l’impondérable, au mystère. Dans une espèce de politique-fiction, un grain de sable pourrait bloquer une gigantesque machinerie et faire basculer les choses. On se souvient du mythe biblique des murailles de Jéricho. Le livre de Josué raconte en effet comment, sept jours après l’arrivée des Hébreux, les murailles de Jéricho s’effondrèrent après le treizième tour (six plus sept) d’une marche ( !) rythmée aux sons de sept trompettes jouées par sept prêtres. Et qu’est-ce que c’est qu’une marche au son des trompettes autour d’une place forte si ce n’est une manifestation, que dis-je une « marche » publique contestataire à un ordre retranché derrière des fortifications apparemment imprenables ?

Ceux qui tenaient Jéricho, de l’intérieur (urbi) se gaussèrent de ceux qui, à l’extérieur (orbi), s’épuisaient en marches inutiles et s’égosillaient sans le moindre résultat. Et cela dura sept longs jours et treize tours de la fortification. Mais comparaison n’est pas raison, dit le sens commun, et Yaoundé n’est donc pas Jéricho, tout comme la Place de la République à Paris n’est pas au pied de la muraille d’enceinte du palais d’Etoudi. Il n’empêche que, bien avisés, ceux qui gouvernent le Cameroun aujourd’hui devraient, à défaut de méditer la mythologie, s’intéresser à l’histoire pour en tirer quelques règles de bon sens pour la conduite des affaires de l’Etat. L’histoire en effet ne donne guère d’exemples de places, si fortes fussent-elles, qui ne finirent par s’effondrer, en sept jours ou en sept ou soixante-dix-sept ans, à l’échelle de l’histoire cela a-t-il vraiment de l’importance ?

Quand je faisais la classe de seconde – c’est comme si c’était d’hier et l’on ne peut que s’étonner à quel point vite passent le temps, les hommes et leurs ambitions – le régime de l’apartheid alors fermement installé en Afrique du Sud semblait si fort, était si bien équipé, paraissait tellement imprenable que peu le voyaient s’effondrer un jour. Il disposait de la volonté et des moyens de narguer et de durer, de narguer pour durer. Après Sharpville (1960) et SOWETO (1976), les opposants à ce régime s’étaient résignés mais sans abandonner l’espoir et la lutte, à déporter leurs manifestations sur les places publiques des grandes capitales du monde. Et si la disparition du régime ne noya pas le pays dans un bain de sang (il put se transformer avant l’effondrement), ce fut parce que Frederick de Klerk comprit que la seule issue résidait dans un compromis négocié. Il avait encore sous la main, par chance, un homme charismatique mais surtout de compromis et eut la sagesse de ne pas laisser cette opportunité lui échapper. C’est pourquoi, dans l’histoire du prix Nobel de la paix, personne sans doute ne l’aura plus mérité que M. De Klerk.

Au Cameroun, le pouvoir en place s’entoure de murailles de plus en plus hautes hérissées de baïonnettes et gardées de chars, et semble se rire des marches et des trompettes de toutes ses diasporas. Ainsi le temps passe et entretient l’illusion d’une durée illimitée, et avec ce temps passent également, et c’est dommage, les hommes de compromis : le Cardinal Tumi pour ne citer que le plus emblématique s’en est allé… laissant les régions anglophones enlisées dans une guerre de plus en plus sale et sans issue. Fru Ndi ne semble plus en mesure aujourd’hui, comme ce fut le cas à une certaine époque, de fédérer les anglophones. Maurice Kamto ne va certainement pas résister indéfiniment à l’aile dure du MRC, et nul ne sait ce qu’il adviendra de ce parti quand, du juridisme actuel, il basculera dans une option plus extrémiste. Dans toutes les batailles, il existe des lignes rouges à ne pas franchir, de peur d’entrouvrir les portes de l’enfer. Le pouvoir en place à Yaoundé sera-t-il suffisamment lucide pour distinguer celles-ci et s’abstenir de les franchir ? Le temps le dira.

Roger Kaffo Fokou

 



07/07/2021
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