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Douala au Cameroun : silence, messieurs dames, on tue !

La tragédie de ce samedi 12 mars 2016 à l’hôpital Laquintinie de  Douala où une femme enceinte et agonisante, abandonnée à elle-même devant la porte des urgences, est décédée dans l’indifférence totale du personnel soignant présente, une fois de plus, un instantané horrifiant de l’état du Cameroun aujourd’hui. Ce pays est depuis bien longtemps – une éternité d’un point de vue psychologique – une vaste plaie qui pourrit, abandonnée et oubliée sous le violent soleil tropical. La réalité quotidienne de ce triangle des horreurs est celle d’une galerie du Docteur Frankenstein. Enfants enlevés dans les centres hospitaliers publics, dans les rues au sortir de l’école, et qu’on retrouve mutilés, dépiécés ; retraités abandonnés sans le sou, matraqués sans ménagement par les forces de l’ordre établi au moindre mouvement d’humeur ; hécatombes quotidiennes sur des routes transformées en véritables traquenards par l’incurie des travaux publics ; pillage systématique des ressources publiques pour alimenter les folies dépensières des privilégiés du système et de leurs familles… la liste est interminable. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le Cameroun est aujourd’hui un Etat calamiteux auprès duquel l’Egypte  frappée des dix plaies serait encore une destination d’exil rêvée. Avis donc à ceux qui, sous des cieux plus cléments, luttent contre l’immigration !

Le Cameroun est cependant encore et toujours un paradis des affaires. Des affaires qui profitent à tous sauf au petit peuple camerounais. Des affaires plus mafieuses qu’orthodoxes, où de juteuses opérations aux marges mirobolantes se concluent pour le plus grand bien des comptes privés des pontes et pontifes du régime, ces seigneurs de la corruption et de la prévarication qui vivent de cynisme et de sadisme, dans le confort tapageur de ces ilots de luxe qui couvrent les collines de la cité capitale camerounaise, véritables bouts visibles d’immenses icebergs de fortunes dont une bonne partie en liquide s’entasse dans les coffres domestiques, à portée de main pour les agapes quotidiennes immodérées de femmes et de rejetons gâtés, dans un pays où plus de 50% de la population manque de quoi se payer de la nivaquine pour se soulager d’un paludisme plus endémique que jamais. Sous le regard silencieusement cynique de l’opinion dite internationale, cette nébuleuse à la fois si bavarde et muette selon le client.

Malgré l’omni discours des droits de l’homme qui s’étale sans borne aucune sur toutes les tribunes des organisations internationales, qui fleurit sur les lèvres des plus grandes élites de ce qu’il est convenu d’appeler les plus grandes démocraties du monde, on est bien forcé de constater que le Cameroun n’est ni la Libye, ni la Syrie, ni la Corée du Nord, ni le Venezuela. Cette grande boucherie-charcuterie équatoriale a beau exhaler des relents d’une insupportable puanteur, il suffit à certains chantres des droits de l’homme de se pincer un peu le nez, de retrousser le pantalon pour enjamber une mare de sang, de détourner le regard de l’effroyable spectacle de prisons où l’on entasse pêle-mêle innocents et coupables dans une promiscuité qui rappelle douloureusement et honteusement les négriers d’autrefois, le temps pour eux d’un bref séjour et discours pour apposer leur signature sur quelques accords sur quelques contrats.  On n’est donc pas étonné que le ballet des valises diplomatiques et des briefcases des chasseurs internationaux de trésors ne ralentisse nullement dans les allées infectes et empestées du pouvoir de Yaoundé.

Dans certains pays, on meurt dans le fracas des armes, pour des causes plus ou moins légitimes mais au moins l’on croit savoir pourquoi l’on meurt. Au Cameroun, la mort, gratuite comme jamais elle ne fut nulle part,  hante les « petites » vies de jour comme de nuit, en silence et dans une arrogance méprisante. Et elle « engraisse des croque-morts aux ventres ballonnés ». Au Cameroun, l’espoir menacé de mort lente ou violente, traqué sans répit et sans merci, a fini par se refugier dans les discours de politiciens sans scrupule, où il peut s’épanouir sans mesure mais aussi sans conséquence. Au Cameroun, le désespoir a tué jusqu’à l’envie de crier son désespoir, et même quand les chiens aboient, d’une voix de plus en plus aphone – sinon dites-moi pourquoi celle-ci n’est entendue ni urbi ni orbi – la caravane de la mort, chargée à ras-bord, continue impassiblement de charrier ses cargaisons de macchabées vers d’immenses fosses communes, curieux jardins macabres où des mains surchargées de pierres précieuses sèment à poignées les graines des catastrophes de demain.

En février 2008, une jeunesse excédée a osé hurler par les rues son râle d’agonie : le système a rapidement abrégé les souffrances de bon nombre de ces gueux, dans un retentissant silence national et international. Ce samedi 12 mars 2016, les forces de l’ordre établi ont sauté sur l’hôpital Laquintinie, pas pour sommer le personnel corrompu de ce mouroir public de respecter le serment que chacun de ses membres a prêté de sauver des vies. Elles y ont débarqué pour taire les voix qui menaçaient, pour une fois, de rompre le silence de cimetière qui entoure l’ininterrompu holocauste du peuple camerounais. Silence, on tue !   Et ainsi soit-il.

Roger Kaffo Fokou, essayiste et écrivain



14/03/2016
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