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Ecole et idéologie : où se situe l’école camerounaise ?

Par Roger KAFFO FOKOU, auteur de Misères de l’éducation en Afrique : le cas du Cameroun aujourd’hui, l’Harmattan, 2009

 

Un roman, disait Albert Camus, « n’est jamais que de la philosophie mise en images. Et dans un bon roman, toute la philosophie est passée dans les images ». cette affirmation est en fait une indiscrétion d’artiste, par laquelle ce dernier introduit son public dans son atelier de fabrication pour lui faire découvrir la machinerie qui fonctionne sous la surface unie et si lisse du spectacle qu’il lui donne à admirer sur scène. Il sait que pour que la magie du spectacle fonctionne pleinement, cette machinerie doit rester un mystère. C’est pourquoi le pouvoir de l’art est presque toujours inséparable d’une certaine mystification.

 

Mais l’art, ce n’est pas la vie, va-t-on dire, non sans une certaine naïveté. Car l’on sait depuis belle lurette que si « la réalité quelquefois dépasse la fiction » et que, comme le disaient les Goncourt, « le roman est de l’histoire qui aurait pu être », la fiction de temps à autre s’invite dans le réel et, comble d’ironie, s’y installe confortablement et durablement. Quelle philosophie  - ou idéologie – le Grand Artiste a-t-il dissimulé derrière le bel ordonnancement de la création ? Les religions s’évertuent à nous la décrypter depuis des millénaires. En attendant qu’elles y parviennent de façon indiscutable, un pas important consiste pour chacun à accéder à la simple connaissance de ce que toute œuvre, quelle que soit la nature de celle-ci, n’est jamais que de la philosophie traduite en langage concret. Et qu’est-ce que c’est qu’une philosophie sinon le prolongement de la pensée d’un individu, d’un groupe d’individus, d’une communauté ? Lorsque celle-ci investit le concret sous forme d’œuvres d’art ou simplement matérielles, d’institutions, elle exprime et imprime des manières de percevoir, d’agir et de réagir qui nous apparaissent d’autant naturelles que la machinerie à l’œuvre dans les coulisses aura échappé à notre attention. Leur efficacité peut alors sembler proprement diabolique. L’école nous en offre un exemple fort intéressant.

 

Pour la majorité des acteurs que son processus implique au quotidien, la question de l’idéologie ou plus objectivement de la philosophie de l’école ne se pose pas. Tout se passe comme si l’école n’était qu’une pure technique, ne pouvant soulever que des problèmes de plus ou moins grande performance, efficacité. Les classements, par leur côté international, entretiennent cette mystification. Ainsi, pour nombre de parents, envoyer leur enfant dans une école confessionnelle, privée ou publique se décide souvent sur des critères d’efficacité. Il réussira facilement ses diplômes ; verra ses chances d’accéder à un emploi augmentées. Il est vrai que depuis le XIXè siècle, nous sommes entrés dans l’ère de la machine donc de la performance et de l’efficacité, où tout est orienté vers des objectifs de productivité qui ne laissent que peu de place à l’humain. De quel type d’idéologie s’agit-il là ?

 

D’emblée, l’on dira qu’il s’agit d’une idéologie capitaliste et ce sera vrai. Mais la vie est généralement tout en nuances. C’est ainsi que même dans le capitalisme, il existe de notables différences entre le centre, la droite, la gauche, l’extrême-droite et l’extrême-gauche. Tandis que la droite cherche à faire prévaloir le statu quo c’est-à-dire le maintien en l’état des valeurs dominantes qui sont souvent ceux de la fraction qui gère la société – on dit qu’elle est conservatrice – la gauche tente d’élargir le cercle de gestion pour y inclure toujours un peu plus de membres de la société – on dit qu’elle est progressiste. La droite, pour atteindre ses objectifs, préfère ainsi travailler avec des machines, aussi perfectionnées que possible et, puisqu’elle ne peut se passer des hommes, travaille à les formater pour les rapprocher le plus possible de l’efficacité redoutable des machines (cf. l’article « L’homme-robot de l’ère de la mondialisation marchande : il est déjà parmi nous », sur le même blog). Une machine, si intelligente soit-elle, même s’il s’agit d’une machine humaine, n’a pas une autonomie autre que celle que lui accorde le programme qu’on lui a installé. Ce que nous venons de dire là n’est-il pas une métaphore du rêve d’une école qui serait celle de droite ?

 

En effet, toute école fonctionne sur une idéologie soigneusement dissimulée derrière les stratégies, les ressources et les plans d’action qu’elle déploie au grand jour. Une école de gauche mettrait l’accent sur tout ce qui serait susceptible de développer l’humain en l’homme pour lui permettre de se prendre en charge dans une société où chacun doit se battre pour occuper la véritable place qui lui revient et non celle que les pouvoirs établis veulent bien lui donner. Cette école-là mettrait l’accent sur les infrastructures de culture et de sport : bibliothèques, salles de spectacles, complexes de jeux et sports ; sur les programmes à forts contenus culturels : musique, dessin et peinture, danse etc. Elle se préoccuperait également des pédagogies de succès non pas uniquement pour une scolarisation de masse mais surtout pour une performance de masse. Une école de droite quant à elle se préoccuperait essentiellement de programmes à forts contenus techniques et technologiques, et de diplômes. Et une école de sous-développement ? J’imagine – que dis-je imaginer ? Je constate autour de moi - qu’elle serait une école de la pénurie sous toutes ses formes : pénurie d’idéologie ou de philosophie, d’infrastructures et d’équipement, pénurie d’enseignants et même d’élèves.



11/12/2011
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