EDOUARD BOKAGNE : quand la science copine avec tribalisme, vulgarité et absence de scrupules
Si la société occidentale que nous admirons autant que nous critiquons a pris pendant cinq siècles l’ascendant sur la nôtre, c’est qu’en plus des hommes forts, elle a eu des institutions fortes. Au cœur de cette architecture institutionnelle et y tenant un rôle central, l’enseignement supérieur et donc l’université. Même si l’histoire de l’université remonte à l’antiquité, sa version moderne et occidentale est née au XIe siècle sous l’autorité papale, de la fusion des écoles cathédrales, monastiques et privées. Dans une Europe plongée, depuis la chute de l’empire romain d’Occident, dans la nuit médiévale, il fallut attendre le XVIe siècle pour arracher l’université au dogmatisme et l’arrimer à la Renaissance ; et de religieuse, elle devint laïque et humaniste. Aussi le Pantagruel de Rabelais ne fréquente-t-il pas les universités pour intégrer un corps de métier ni un groupe social, mais pour devenir un « puits de science ». L’université a donc toujours été, partout où elle se respecte, un creuset où bouillonne et fusionne la science, pour transformer l’homme, l’humaniser toujours davantage, et mieux en faire un agent de transformation de la société, afin de rendre celle-ci plus confortable, plus conviviale. Les périodes de décadence des sociétés coïncident ainsi généralement avec celles de déclin de l’université, et les grandes universités se reconnaissent à la stature de leurs enseignants. Quel est aujourd’hui le statut de notre université et sa place parmi les universités africaines et mondiales ? Si elle peut récolter quelques lauriers ici et là de temps à autre, les connaisseurs s’accordent généralement à lui accorder la mention « peut mieux faire ».
Mais les fossoyeurs de notre université ne se recrutent pas d’abord hors de ses murs. Intra muros, certains de nos universitaires, depuis des années déjà, n’ont eu de cesse d’en saper les fondements, d’en dégrader l’image publique, au grand dam de leurs nombreux et admirables collègues qui n’y aspirent qu’à faire leur travail d’enseignants et de chercheurs. Ces derniers temps, l’un de ces phénomènes (parce que nous sommes désormais devant un fait de société au regard de sa récurrence), se trouve être le professeur Edouard Bokagne. L’image hideuse que l’homme projette de lui-même à travers ses sorties médiatiques campe aux yeux de l’opinion une personne non seulement véritablement ravagée par le tribalisme, mais exprimant avec une rare vulgarité une absence totale de scrupules.
C’est certainement vrai que M. Bokagne n’aime pas M. Kamto Maurice, son collègue professeur, et cela ne constitue nullement un crime. Personne n’a envie de connaître l’origine de cette haine visiblement tenace que nourrit l’homme à l’endroit de son collègue. Si tout s’arrêtait là, il aurait beau crier sa haine contre Maurice Kamto, il n’y aurait pas matière à écrire une ligne intéressante. Mais M. Edouard Bokagne, lorsqu’il regarde M. Maurice Kamto, ce n’est pas le professeur Kamto mais le Bamiléké Kamto qu’il voit. En toute bonne logique, si Maurice Kamto est un Bamiléké, tout Bamiléké ne saurait être Maurice Kamto. Mais M. Bokagne ne s’embarrasse guère de logique : « Personne ne veut savoir, écrit-il, si le MRC de Kamto peut mobiliser quelques milliers. Il l'a souvent fait. (Et c'est généralement des Bamiléké). » La légère restriction « généralement » ici utilisée apparaît très vite dans le texte de M. Bokagne comme une simple clause de style. Le processus lancé va vite tourner à l’essentialisation méprisante de cette ethnie Bamiléké : il peut donc, subrepticement, passer du méprisant « quelques milliers » ci-dessus au « par milliers » de la phrase suivante (« Ce sont les mêmes, par milliers, qui se ruent sous tous les billets ») dans un discours allusif qui fait un clin d’œil à un vieux stéréotype tribaliste généralement collé aux Bamiléké dont les lits seraient trop « prolifiques ». Il s’agit là véritablement d’un appel à ces peurs tapies dans les tréfonds des êtres, la peur de l’invasion par des hordes de barbares, ici de la submersion bamiléké dont les autres tribus devraient se méfier. Et ces Bamiléké, il les présente subtilement à l’aide d’une imagerie animalisante : ainsi, ils fourmillent « par milliers » et se « ruent » (et non se jettent) sur des billets. La caractérisation dont il use tout au long du libelle s’harmonise avec cette isotopie dévalorisante. Ainsi, les Bamilékés sont « des gens qui ne savent qu’injurier » ; ils sont une foule de « frustrés », « inculte ». Ainsi encore, lorsqu’il écrit : « Ce sont eux qui tiennent le débat suprémaciste qui clame que leur tour (de bouffer la tontine) est arrivé. », le présentatif qui ouvre cette phrase a valeur de sarcasme. Traduit simplement, il dit ceci : ces animaux que je viens de vous présenter, imaginez que « ce sont eux qui tiennent le débat suprémaciste et aspirent même à gouverner des hommes ». Il ne manque en effet à cette phrase que le point d’exclamation final de l’indignation. Il m’a semblé qu’il n’y a pas longtemps de cela, le parlement de ce pays a légiféré contre les discours de haine. Si celui-ci n’en est pas un, eh bien, c’est que j’ai perdu mon latin. Mais Bokagne n’est pas que tribaliste ; il est un personnage terriblement vulgaire.
« Le séjour dans l’eau ne transforme pas un tronc d’arbre en crocodile », écrit Seydou Badian. M. Bokagne a longuement baigné dans le savoir, la culture. On le sent bien en le lisant, qu’il s’y est frotté énergiquement, en tout cas beaucoup plus que la moyenne des Camerounais. Mais semble-t-il, l’épaisseur de l’écorce a résisté à toutes les tentatives et il n’en est resté qu’un vulgaire vernis qui craquèle au moindre choc. Le symptôme de cette vulgarité, c’est bien ce mélange nauséabond des registres comiques et tragiques dans des situations qui ne prêtent guère à rire, même pas à sourire. Ainsi lorsqu’il compare les droits d’un citoyen maltraité par la troupe à ceux d’un fou : « nul n'a cherché à connaître les droits des fous qu'on a chassés de nos rues pour notre CAN sucrée ». Un trait d’esprit d’un genre bien particulier, si vous voyez ce que je veux dire. Dans la tragédie classique française, il était impensable d’entendre parler de nourriture, le sujet manquant de noblesse pour les personnages d’un univers qui ne savait pas se laisser aller à la bassesse. Bokagne n’est certainement pas une noble âme et sa langue ne tremble pas devant l’indécence qui est, paronomastiquement parlant, connexe à l’indicible. Dans cette question concernant M. Maurice Kamto de savoir « s’il mouillerait encore son pantalon », ce n’est pas Kamto que le fait déterré et les mots utilisés rabaissent ; c’est le goujat que la laideur n’effraie pas ou plutôt qu’elle attire comme les excréments attirent les mouches ; le grossier personnage qui ose jeter cette « merde » à la figure des bonnes gens. Qu’a-t-il donc fait de l’éducation qu’il a reçue et qu’il devrait donner à ses enfants ? Pour ce qui est de Maurice Kamto, ce manquement aux bonnes manières élémentaires rappelle opportunément aux Camerounais ce que le président du MRC a déjà souffert pour eux, sans pour cela se décourager ; ce qu’il est sans doute prêt à endurer pour eux, autant de fois que nécessaire. Qu’est-ce que M. Bokagne, lui, a déjà souffert pour les Camerounais ? On n’aimerait bien le savoir. Enfin, et ce n’est pas la moindre de ses tares, M. Bokagne se révèle comme entièrement dénué de scrupules.
Il compare les droits de ses concitoyens, fussent-ils détestés de lui, à ceux des fous avec un sérieux et une froideur qui rappellent certains des plus grands artistes de la mort que l’histoire ancienne ou récente du monde a connus. Le choix des mots se fait d’ailleurs instantanément étrange, lorsque le mot « droits » sort de la bouche de quelqu’un qui semble être au bord de la jouissance à la simple évocation de la torture subie par son prochain. On voit se dessiner un profil inquiétant, de ceux que recherchent les bâtisseurs de dictatures. « C'était plus simple de confiner Kamto à son hôtel et, au moment approprié, de l'expulser de la ville. », regrette-t-il rêveusement, en convoquant la douce perspective ratée d’une reconduction « manu militari ». On voit bien que lorsqu’il parlait des droits des fous, c’était surtout de leur absence de droits dont il rêvait, avec en fond de toile le regret d’avoir vu certaines personnes en disposer. Et quand on croit que M. Bokagne a touché le fond, il montre qu’il peut encore creuser plus profond. La tragique situation de nos régions anglophones lui en donne l’opportunité.
Le paragraphe de son texte qu’il dédie au « NOSO » est ainsi extrêmement révélateur. Qui y cible-t-il ? Les « Ambazonniens » ? Les pauvres citoyens lambda pris entre deux feux qui subissent les affres d’un conflit qui leur est tombé sur la tête ? On n’aimerait y voir clair. Mais M. Bokagne ne veut point distinguer : « on pérorait de la sorte au NOSO », écrit-il. « Les chiens qu'on a lâchés sont devenus enragés et s'attaquent à leurs dresseurs. », renchérit-il. Qui est ce « On » qui mélange tout le monde dans le NOSO ? La phrase suivante vient comme en réponse à cette question : « C'est le million qui erre chez autrui en quête de sécurité. » "Chez autrui"? Qu'entend-il par là? Où les réfugiés anglophones seraient-ils étrangers exactement? Dans quelle région du Cameroun? On sait que la grande partie des réfugiés du NOSO vit toujours au Cameroun, et le Cameroun, ce ne peut être "chez autrui" pour ces compatriotes. Mais revenons à ce "On". On connait désormais la verve essentialisatrice de M. Bokagne. Quand il regarde un anglophone du NOSO, c’est probablement tous les anglophones du NOSO qu’il voit. Il ne sait pas faire dans le détail. Si l’on disait de lui qu’il a l’étoffe dont on fait les génocidaires, ce n’est pas sûr qu’on serait en train de se tromper.
En fin de compte, le personnage de M. Bokagne vaut-il le temps et l’encre que j’ai usés pour ce texte ? Peut-être pas réellement. Il fait partie de ces ombres grimaçantes que produisent les crépuscules des sociétés ; passée la nuit, la lumière du jour les dissipe. Alors, pourquoi ai-je perdu cette encre et ce temps sur son cas (au sens clinique du terme) ? D’un côté parce qu’il a tenté de m’en dissuader de manière, a-t-il cru, adroite : « Ils n'aiment pas que je le dise. Mais je le dirai. Encore et encore : autant de fois et partout où il le faudra. » Eh bien, je n’aime justement pas ce qu’il dit et comment il le dit et peu importe combien de fois et où il le dit. Et si j’ai tenu à le dire, j’ajoute en même temps que je n’ai pas la moindre intention de l’imiter, peut-être parce que j’en serais incapable. Je constate qu’il trouve son bonheur et son extase dans le malheur des autres ; moi, si je pouvais trouver les miens dans son malheur, je n’en voudrais pas. De l’autre parce que le mal profite toujours du silence des bonnes gens pour prendre racine et prospérer. M. Bokagne veut briller dans un univers où il croit que le mal l’a définitivement emporté ? Eh bien, il se trompe et s’il devient une étoile, ce ne sera qu’une étoile sombre, en voie d’extinction, qui, je l’ai dit, ne survivra pas à la nuit.
Roger KAFFO FOKOU, écrivain.
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