Education dans la tourmente : le calvaire des enseignants camerounais depuis 1993
Par Roger KAFFO FOKOU, auteur de Misères de l’éducation en Afrique : le cas du Cameroun aujourd’hui, l’Harmattan, 2009
Les ministères chargés des questions éducatives constituent des secteurs prioritaires dans la confection du budget de l’Etat, aime-ton à faire croire. Et pour convaincre le public naïf, qui a ses propres problèmes à gérer et qui de toute façon est peu enclin à scruter derrière le vernis chatoyant dont on recouvre une réalité finalement assez hideuse, l’on débite une avalanche de chiffres du budget. Il suffit pourtant de gratter un tantinet : et que découvre-ton ? Une grosse plaie qui n’a cessé de pourrir, qui suppure abondamment, et dont l’odeur incommode et pousse chacun à se boucher le nez. La télévision nationale a d’ailleurs depuis longtemps supprimé le débat du 05 octobre à peine amorcé au début des années 2000, et qui permettait aux enseignants, à l’occasion de la Journée Mondiale consacrée à ce corps, de poser quelques-unes des questions qui dérangent sur l’éducation dans notre pays. De toutes les chaînes qui existent en ce moment, radio, télévision, aucune n’a pour l’instant mis au point une émission consacrée à l’éducation. C’est que poser les problèmes de l’éducation a fini par se ramener à poser les problèmes des enseignants, que personne ne veut soulever, parce que au fond personne n’a la volonté de les résoudre, tant pis pour les enseignants. Il faut pourtant inverser la perspective, et insister sur le fait que poser les problèmes des enseignants, c’est poser le problème de l’éducation. Depuis 1993, lorsque sans la moindre consultation et sans aucun texte l’on a montré aux enseignants à quel point l’on avait du mépris dans notre pays pour l’intelligence, un long calvaire a commencé pour les professionnels de la craie, et malheureusement aussi pour l’éducation dans son ensemble.
1. Derrière l’illusion, l’hideuse réalité
Observons d’abord la plus récente couche de vernis. Dans le budget 2009, le MINESEC occupe le premier rang en volume de dotation avec 204,5 Milliards et le MINEDUB le 4è rang avec 153,1 Milliards. Cumulés les deux ministères se taillent 357,6 Milliards, soit 15,53% du budget. En y adjoignant l’enseignement supérieur (1,71%), l’on serait à 17,24% du budget. On constate en plus que malgré la baisse des prévisions budgétaires, la dotation de ce secteur a augmenté. N’est-ce pas tout simplement formidable ? Serait-on tenté de dire. Mais il ne s’agit là que d’un vernis, la réalité est autre.
Premièrement, le taux d’exécution du budget du secteur de l’éducation est parmi les plus bas, de l’ordre de 71,93% : cela correspond en fait à une baisse réelle de cette dotation de 28,07%. Pourquoi ? Au niveau du pourcentage de chaque dotation réservé à l’investissement, hors PPTE, C2D et IADM, le MINEDUB et le MINESEC sont bons derniers avec un volume décroissant qui passe de 9,62% en 2008 à 6,84% en 2009. L’Etat n’investit pas grand-chose au niveau de ses ressources propres dans le secteur de l’éducation et, lorsque l’on flatte l’opinion en lui faisant croire que les retombées PPTE, C2D et IADM servent à mettre du beurre sur le pain du secteur de l’éducation, il ne s’agit que d’une pure démagogie parce que ces secteurs figurant parmi les plus sinistrés, il était question de les remonter grâce aux fonds sus énumérés. Le cas du secteur de la santé, où la dotation est passée entre 2008 et 2009 de 83,7 à 113,3 Milliards soit une augmentation de 35% alors que celle du MINEDUB n’a progressé que de 3% est très significatif à ce sujet. En plus, ces ressources qui auraient dû être additionnelles se sont tout simplement substituées à l’effort de l’Etat, ce qui correspond à une autre duperie.
Le secteur de l’éducation est celui où l’Etat a fait l’essentiel de ses économies budgétaires ces quinze dernières années. Prenons l’enseignement secondaire pour commencer. Un professeur des collèges ou des lycées commence sa carrière au moins à l’indice 430 et termine entre 900 et 1140 points. Or à partir du point d’indice 301, dans le secteur de l’éducation, chaque indice passe de 434,7FCFA à 178,25FCFA, soit une baisse en valeur relative de 59%. Chaque enseignant du secondaire n’a donc au trop qu’un tiers de ses indices ayant une pleine valeur ; les deux autres tiers ou plus, c’est-à-dire tout ce qu’il passe sa carrière à accumuler, - à la sortie de l’école, une partie de ses indices, près de 130 à 230 points selon le grade de sortie, est déjà dévaluée - ne valant que des bricoles, il a le sentiment d’être un géant perché sur des jambes minuscules qui ne lui permettent pas d’avancer. C’est aussi le segment où l’on fait 2 mois de mission payés un forfait de 10 jours pendant les examens, où l’on cumule pendant l’année des jours de déplacements pour séminaires payés au prix du billet de transport public, où la règle du forfait non inscrite dans les textes de notre charmant Etat de droit s’applique rigoureusement. Pendant les examens, l’office du baccalauréat met en effet en mission dans les centres d’examens des enseignants appelés justement « chargés de mission » qui, pour une durée pouvant aller de 40 jusqu’à 60 jours touchent un forfait ne dépassant pas 500.000FCFA, soit un forfait de 8000FCFA à 12500FCA par jour, alors que la réglementation prévoit une fourchette de 25000FCFA à 40000FCFA. Pour un fonctionnaire d’une certaine ancienneté, cela équivaut à payer 12 jours de mission à quelqu’un qui en a effectué en réalité de 40 à 60. Pendant l’année scolaire, les enseignants déplacés pour les séminaires régionaux ne bénéficient d’aucune feuille de mission et doivent bagarrer avec leurs chefs d’établissements pour se faire rembourser le prix du billet de transport public qu’ils ont dû payer. L’enseignement secondaire au Cameroun aujourd’hui est de ce fait ce qu’il y a de pire dans la fonction publique : elle est frappée des sept plaies d’Egypte et s’il faut lui trouver un frère jumeau, il suffit de se tourner vers l’éducation de base.
Là-bas, on leur a fait nourrir l’illusion qu’ils avaient d’une certaine façon presque retrouvé le niveau de leurs salaires de 1993. Et de fait, nombreux parmi eux, s’ils sont des fonctionnaires, n’ont presque rien à envier à un enseignant du secondaire. Ô suprême illusion ! Car, combien existe-t-il encore de fonctionnaires au MINEDUB ? Une petite poignée. Depuis 10 ans, des politiques de « vacatariasation » puis de contractualisation sont passées par là et y ont décimé l’essentiel des fonctionnaires. Aujourd’hui, le MINEDUB est constitué autour de deux tiers de « contractualisés », statut qui ne figure plus dans le statut particulier des enseignants depuis bientôt 10 ans ! L’avantage pour l’Etat de la contractualisation est double : elle remplace des enseignants déjà médiocrement payés par des enseignants franchement mal payés ; elle remplace un statut sécurisé par un statut précaire : le « contractualisé » n’existe ni dans le statut particulier des enseignants, ni dans le statut général de la fonction publique de l’Etat. Il ne peut donc rien revendiquer en vertu de ces textes et tous les avantages dont il bénéficie sur la base desdits textes sont des faveurs qui peuvent lui être retirées à tout moment. Dans un contexte où le chômage est la règle et le travail l’exception, c’est un tour de passe-passe aussi facile qu’un jeu d’enfant. On comprend pourquoi la dotation budgétaire du MINEDUB d’année en année stagne alors que l’on recrute vague sur vague de contractualisés n’est-ce pas ? Ils permettent à l’Etat de résoudre le problème de la pénurie des personnels dans l’enseignement sans bourse délier. Et puis un beau jour, quelqu’un d’intelligent trouvera que ces messieurs et dames les « contractualisés » - quel barbarisme ! – ne sont pas à leur place, qu’ils n’ont même jamais eu de place, et on les évacuera en leur présentant les sincères regrets de l’administration.
Comme on le voit, depuis plus d’une décennie, les travailleurs du secteur public de l’éducation sont tellement cocus qu’ils portent aujourd’hui des cornes plus hautes que le mont Fako. Et lorsque vous avez observé ce désastre, ce n’est plus la peine de vous tourner du côté du secteur privé de l’éducation. De ce côté-là en effet, le concept de « convention collective » est un pur OVNI : on en entend parler, mais personne n’en a jamais vu, et nul ne sait donc à quoi cela peut ressembler. Ici, les enseignants les plus diplômés ont à peine une misère de salaire, et les chefs d’établissements prestigieux gagnent à peine 80.000FCFA de salaire par mois. Nous avons trouvé une exception remarquable au collège Mazenot de Ngaoundéré, une exception qui montre bien que la règle de l’emploi dans le secteur privé de l’éducation est d’employer des gens sans les payer ou en les payant le moins possible. Sans que cela émeuve le moins du monde les pouvoirs publics pour qui le concept de justice sociale ne doit être qu’un dangereux slogan hérité du communisme international heureusement sur le déclin. Quand l’on a dégringolé jusqu’au fond du désastre, que reste-t-il à découvrir en-deçà ? Entre nous, dîtes-moi : pourquoi et comment pensez-vous que l’on puisse supporter cela indéfiniment ? Et justement depuis 1993 les enseignants ont bien montré qu’ils n’entendent pas se résigner à ce sort de parias.
2. Les luttes des enseignants depuis 1994 : histoire d’un statut particulier insaisissable
Au début des années 90, les salaires des agents de la fonction publique subissent une violente amputation, de l’ordre des trois quarts. Concomitamment, une dévaluation de 50% de la monnaie intervient. Le pouvoir d’achat général s’affaisse. Contrairement aux autres corps de la fonction publique qui se tiennent sur la réserve, ceux de l’éducation basculent dans la contestation, sous l’action du SNAES récemment alors créé (18 mai 1991). Pourquoi les enseignants ? Premièrement parce qu’ils disposent d’un instrument de mobilisation qui tardait à servir et qui trouve subitement l’occasion d’un emploi. Deuxièmement parce que contrairement aux agents de nombreux autres corps, les enseignants n’ont pas, hormis la poignée d’entre eux qui gère les crédits, la possibilité de développer des réseaux de corruption pour en vivre. Troisièmement parce que la logique de la nouvelle grille semble exprès dirigée contre eux. Lorsque sur 1140 points d’indices que représente la carrière, seuls 300 sont payés à taux plein (434,7FCFA/indice), et donc que 840 sont payés à tarif dévalué (178,25FCFA soit 41% de la valeur de l’indice plein), cela veut dire que l’on vous vole 495 (59% de 840) points d’indices, et qu’en réalité, au lieu de plafonner à 1140 comme on vous le fait croire, on vous fait plafonner à l’indice 645. Alors, que l’on essaie de calculer le manque à gagner que représentent 495 points d’indices avec incidence sur la prime de non-logement et autres chaque mois pendant 10, 15 ans !
Entre fin 1993 et 2009, date de la dernière grève lancée par leurs syndicats, les enseignants ont organisé et suivi, tantôt avec un enthousiasme débordant, tantôt avec parcimonie ; une infinité de grèves. La plus importante et sans doute celle qui reste jusqu’aujourd’hui la plus suivie reste celle de 1994, qui fut véritablement à deux doigts de faire basculer les choses. Le pouvoir en prit de la graine, fabriqua ses syndicats, corrompit ceux des leaders qu’il pouvait, appliqua au syndicalisme et à ses leaders les plus intègres l’arsenal de la lutte anti-terroriste, bref, réussit à casser le mouvement syndical, à le déconsidérer, à en déformer l’image au point d’en faire un monstre aux yeux non seulement du grand public mais des enseignants eux-mêmes.
Dans un Etat qui se veut démocratique ou en plein processus de démocratisation, en 15 ans de lutte, les syndicats n’ont jamais pour ainsi obtenu la tenue de véritables négociations. C’est dire à quel point notre précieuse démocratie est attachée au dialogue, à la négociation. Fatigués d’espérer, usés par la répression, les enseignants ont fini par choisir un mode de grève qui leur permet d’encourir le risque zéro : ils font semblant de faire leur travail. « A salaire malin, travail malin », disent-ils. Et les apparences sont sauves, ce qui a pendant un temps semblé arranger tout le monde. Mais une situation de guérilla permanente, dont les victimes collatérales sont la jeunesse camerounaise et à terme l’ensemble du tissu social ne peut se supporter indéfiniment. Pour essayer de contourner la grève pernicieuse qui a cours dans l’enseignement depuis plus d’une décennie, l’on a lancé sur les rails un train de réformes dont la conséquence a été jusqu’ici d’introduire dans l’enseignement des pratiques tracassières, administratives et de type policier : taux de couverture des enseignements et des programmes, évaluations séquentielles, remplissage d’une infinité de documents pédagogiques par mois, sans pour autant augmenter réellement l’indice de conscience professionnelle des enseignants ou d’efficacité du système.
Qui tient d’ailleurs à ce que ces deux indices-là s’améliorent ? L’opinion ? Elle ne semble pas exister. Les parents et leur progéniture ? Ils ne veulent que des diplômes, peut en importe la qualité. Ceux qui nous gouvernent ? Ils veulent seulement durer au pouvoir et ces indices-là ne font pas partie des conditionnalités auprès de ceux à qui ils doivent le pouvoir. Il ne reste donc plus que les enseignants. A condition qu’un long passé de luttes infructueuses ou presque ne les décourage pas.
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