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EDUCATION : LES DIEUX SONT TOMBES SUR LA TETE !

À l’occasion de la journée nationale d’orientation scolaire 2011, par Roger Kaffo Fokou, Animateur Pédagogique de français, auteur de Misères de l’éducation en Afrique : le cas du Cameroun aujourd’hui, l’Harmattan, 2009

Il fut un temps où les enseignants étaient des dieux… Des dieux descendus sur la terre au milieu des hommes pour les aider à y refaire le paradis perdu. A cette époque-là, la terre n’était pas encore trop éloignée du ciel. Le temps n’avait pas encore complètement oblitéré la mémoire et les hommes se souvenaient encore avec nostalgie de l’éden qu’ils avaient habité naguère. Ils aspiraient encore à y retourner. Ah, le temps ! Il ne se contente pas de dériver les continents, il dérive des mondes entiers. L’univers s’étend continuellement, nous apprend-on en physique, et les galaxies s’éloignent les unes des autres toujours infiniment. De la même manière, la terre s’éloigne chaque jour un peu du ciel, la matière se sépare toujours un peu plus de l’esprit. Notre bonne vieille terre se sclérose, s’endurcit, craque de toutes parts et crache les derniers vestiges de l’esprit qui l’irriguait. Du temple resté debout, il ne reste que des murs et une toiture, soigneusement entretenus et qui scintillent, mais le chœur s’est refroidi, et peu à peu se glace et se congèle. Nous filons tout droit vers une nouvelle glaciation. Et cela ne déplaît pas à tout le monde.

C’est que désormais, aux pouvoirs, se sont installés les marchands de pétrole, de gaz, de nucléaire, de feux d’artifices. Ces gens ont peur du pouvoir de l’esprit. Souvenez-vous, au commencement, il n’y avait rien : « Or la terre était informe et déserte et il y avait des ténèbres sur la surface de l’abîme d’eau… ». Désert, ténèbres, abîme… N’est-ce pas là la description exacte de ce vers quoi nous allons aujourd’hui ? Sauf qu’à l’époque décrite ici, « la force agissante de l’esprit se mouvait sur la surface des eaux ». L’Esprit était là tout près, qui veillait. Aussi, pour avoir de la lumière, l’on n’avait pas besoin d’Exxon, de Chrevron Texaco, de British Petroleum… Aujourd’hui, la distance s’est creusée, et fatigués de tuer l’Esprit en soi, nous l’avons tué en nous. Dieu est mort, vive le surhomme ! jubilons-nous. Mais que reste-t-il de l’Homme une fois que l’Esprit s’en est retiré ? Une prolifération matérielle, un immense chaos, un vide abyssal. « An iddle mind is the devil’s workshop », disent avec raison les anglosaxons. Dans ce nouveau monde où la matière hypertrophiée a pris les commandes, il n’y a plus guère de place pour l’enseignant, personne n’a plus besoin de lui. De même que l’eau va vers la rivière, la matière va vers la matière et l’esprit vers l’esprit. Dans un monde dominé par la matière, la place de l’esprit ne peut être qu’au pilori, sur la croix. Dans notre monde d’aujourd’hui, avec les dieux, les enseignants sont tombés sur la tête.

A une autre époque, quand l’Esprit était encore parmi nous, la parole avait des pouvoirs infinis. On disait que la lumière soit, et la lumière était. Aujourd’hui, la parole n’est plus qu’un vulgaire son, un bruit qui retentit et blesse quelquefois des oreilles ayant conservé un peu de sensibilité. « Déviance en milieu scolaire : essai de solution » : du bruit, rien que du bruit. Pareil à la pétarade d’un scooter qui passe, ou au vrombissement d’un super Jet qui décolle, et ne laisse derrière qu’un nuage de pollution. Quand l’enseignant était encore un dieu, il lui eût suffi de dire : « Que la déviance cesse, et celle-ci eût cessé » ; ou « Que la discipline soit, et celle-ci se fût installée ». Mais au fond, qui souhaite réellement que l’esprit se réinstalle aux commandes ? On cesserait d’avoir besoin du gaz, du pétrole, des armes et des armées… et des empires matériels et matérialistes s’écrouleraient alors comme des châteaux de cartes ! On dit que dieu a créé l’homme à son image : n’est-ce pas là une image fantastique pour se représenter le travail de l’enseignant ? Il façonne la société à son image. Tant qu’il est un dieu, il fait des anges autour de lui, et sur son passage, tout s’ordonne, resplendit et émerveille. Quand il disparaît, ou se prosterne aux pieds du veau d’or, le vide se crée, et dans ce vide, le chaos s’installe, c’est-à-dire l’indiscipline, la déviance bientôt… Il y a de cela quelque temps, nous écrivions ce qui suit, et qui reste plus vrai que jamais :

« La discipline est un concept à la fois collectif et individuel qui se vit dans une relation de l’individu avec une communauté à laquelle il fait partie et avec lui-même. Et sous ces deux aspects, la discipline en milieu scolaire intéresse l’enseignant comme formateur ou comme facilitateur d’apprentissage. Pour bien comprendre les raisons de cet intérêt, il faut s’arrêter sur le rôle de l’enseignant et bien évidemment les qualités dont il doit disposer pour être à même d’assumer ce rôle efficacement.

 L’enseignant n’est pas un vulgaire fournisseur de savoirs comme le boulanger est un fournisseur de pains. Parce que le savoir n’est pas un bien meuble ou immeuble que l’on peut ranger dans un espace pour un usage prédéfini. Le savoir est une quête et une conquête, un horizon qui se déplace constamment, un chemin que l’herbe envahit constamment et qu’il faut aménager en permanence. L’enseignant est donc avant tout un guide. Et parce qu’il sait que le savoir est une arme à la fois très difficile à acquérir mais d’une efficacité redoutable, il doit préparer son disciple à être physiquement et mentalement capable de le conquérir et de bien s’en servir. La relation entre l’enseignant et l’élève n’est donc pas une relation d’affaires dans laquelle le premier livre un bien ou un service et reçoit en contrepartie un paiement. C’est une relation de maître à disciple. Et qu’est-ce que c’est qu’un maître ? Un disciple ?
Un maître, c’est celui qui possède une compétence exceptionnelle (dans un domaine), c’est une personne qui joue le rôle de guide ou de modèle. Comme on le dit souvent, l’enseignant médiocre lit ; le bon enseignant explique ; le maître inspire. Le premier parle de qu’il ne comprend pas encore lui-même ; le second a compris mais n’est pas allé plus loin ; le troisième, le maître, incarne ce qu’il enseigne et par là même, devient le sujet de son propre cours, ce qui fait de lui le modèle, la référence, la source d’inspiration. C’est pourquoi l’on dit si souvent que l’enseignant n’enseigne pas ce qu’il sait mais ce qu’il est, dans la mesure où il est arrivé à un stade où il incarne les valeurs intellectuelles, morales et spirituelles qu’il enseigne.
Un disciple, c’est quelqu’un qui suit l’enseignement d’un maître. Et comme le maître est le principal sujet de son propre enseignement, le disciple est donc celui qui suit le maître, aux sens d’écouter et de cheminer derrière. « Je suis le chemin, la vérité et la vie. », disait le sage, le maître. Et pourquoi appelle-t-on l’apprenant disciple ? Le rapport avec discipline est évident : parce qu’il a besoin d’être discipliné, activement comme passivement, ce d’autant que ce que lui enseigne le maître n’est rien d’autre qu’une discipline. Comme le disent clairement ces mots, la discipline est le centre de l’activité qui unit le maître et l’élève, et ceux des enseignants qui ne voient pas les choses ainsi n’ont pas encore commencé à comprendre le rôle qui est le leur.

 Quand l’élève d’aujourd’hui vient vers l’enseignant, on lui a dit qu’il va vers un fournisseur de savoirs et il se comporte un peu comme quelqu’un qui va à la boutique. C’est cette erreur première qui est la source des multiples indisciplines et déviances qui caractérisent son comportement :

  • Esprit de facilité : il croit qu’il suffit pour lui de s’asseoir et que c’est à l’enseignant qu’il incombe de lui mettre le savoir dans la tête, comme le médecin qui vous fait avaler une potion dont les effets sont éprouvés d’avance.
  • Propension à la distraction : il est incapable, à la fin d’un cours, de dire quel était le contenu de la leçon parce que tantôt il bavardait, tantôt il avait le regard dehors.
  • Incapacité à se concentrer : il ne fait aucun effort pour développer son attention, sa capacité à la fixer durablement sur un objet, et s’endort facilement lorsque son intérêt tombe (Naturellement cela peut être dû à une défaillance physique - d’où l’importance de l’éducation physique à l’école - mais ce n’est pas toujours le cas).
  • Absence d’organisation : il a tendance à improviser ses actions et donc à les accomplir de façon désordonnée. Cette absence de rigueur dans la programmation et l’exécution de ses tâches aboutit à une perte considérable de temps. Après tout, agir à contretemps constitue l’une des quatre manières de perdre son temps
  • Difficulté à recevoir et exécuter des instructions : il n’accepte pas de se voir imposer un certain nombre de contraintes pourtant incontournables dans le cadre de sa formation : devoirs à domicile, apprentissage régulier des leçons, assiduité et ponctualité au cours, respect du cadre de travail… 
  • Défaut d’endurance et de persévérance : quand il se heurte à une difficulté, il a tendance à abandonner ou à recourir à l’aide la plus proche, oubliant que c’est en surmontant les difficultés qu’il se forme véritablement. D’ailleurs, l’échec peut se révéler le véritable moteur de l’apprentissage.

Et comment pourrait-il s’en sortir à l’école s’il ne devient pas discipliné ? Comment peut-on assimiler une discipline sans devenir discipliné ? Chaque domaine du savoir est en effet une véritable discipline dans la mesure où il s’agit d’un corps de règles qu’il faut apprendre et appliquer, souvent à la lettre, afin de les dominer, condition sine qua non pour pouvoir s’en libérer jusqu’à un certain point pour commencer à créer. Ainsi, assimiler le français, la philosophie, les mathématiques ou toute autre matière, c’est intégrer en soi une manière rigoureuse, disciplinée d’aborder des aspects précis du monde. L’enseignant est donc le maître par excellence de la discipline intérieure, sans laquelle la discipline extérieure ne pourrait être que l’expression hypocrite de la peur ou de la flatterie. On voit aussi par là que la discipline est un processus qu’il faut mettre en place chez l’élève.

Nous nous plaignons souvent que l’élève n’est pas discipliné. En fait, il ne vient pas à nous déjà discipliné, même s’il manifeste les signes extérieurs de la discipline, même s’il a déjà à la maison, en ses parents, ses premiers maîtres, lesquels n’ont d’ailleurs pas pour la plupart été formés à la tâche : l’école des parents n’existe pas encore. C’est à nous à le discipliner. Comment ? En en faisant nos disciples, en leur enseignant la seule discipline digne de l’enseignement d’un maître : nous-mêmes, à condition que nous soyons nous-mêmes ce que nous enseignons, c’est-à-dire des disciplines, des personnes disciplinées, des modèles qui par le simple fait de leur présence disciplinée en classe, hors de la salle de classe et même de l’établissement,  inspirent la discipline à ceux qui les suivent non plus par peur, mais par respect, parce qu’elles ont su faire naître chez eux ce sentiment supérieur qu’on appelle l’estime ».



15/10/2011
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