Election présidentielle 2018 au Cameroun : en ce jour, penser à l’essentiel
En ce 7 octobre 2018 jour de l’élection présidentielle, à quoi les Camerounais doivent/devraient-ils penser ? Sur quoi devrait prioritairement porter leur attention ? Les candidats ont parlé et le peuple souverain doit à présent leur répondre. En ce dimanche électoral, il y a, après le vacarme des dernières semaines, comme un silence de mort. Tout semble suspendu à un fil, comme au bord d’une explosion. De joie ? De détresse ? Qui sait ? Demain le dira à coup sûr. Mais toutes les joies ne se valent pas, toutes les détresses non plus.
En ce 7 octobre 2018 jour de l’élection présidentielle au Cameroun, il est évident qu'on devra scruter le taux de participation en régions anglophones parce que les institutions ont tenu, en dépit des circonstances, à y organiser cette élection. Parce que, vouloir forcer le vote dans une zone de guerre où il est aujourd'hui manifestement impossible d'assurer la sécurité de qui que ce soit, surtout après le vote, c'est une stratégie politique qui ne peut se défendre qu’à la condition de ne pas déboucher sur un simulacre électoral susceptible d’ajouter de l’eau au moulin de ceux qui font, à tort ou à raison, le procès des institutions ou de ceux qui les incarnent historiquement. C’est une stratégie politique qui ne doit surtout pas dériver du calcul politicien, de la volonté déguisée de tout mettre en œuvre pour imposer une solution militaire à une crise qui déchire le pays, fait inutilement des morts, et menace d'entériner la partition du pays.
J’ai entendu bien de gens haut placés affirmer, certains avec délectation, qu’après l’élection, l’on va nettoyer cette zone anglophone. Comme si l’on parlait d’une vulgaire décharge ! C’est une recette qui a été mise en œuvre ici et là, hier comme aujourd’hui. Quel beau rêve, supprimer la dissension de façon radicale : les morts ne parlent pas ! Sauf que très souvent, l’on parle pour eux après eux, souvent plus fort qu’ils n’avaient/n’auraient pu le faire eux-mêmes. Faisons attention : ce n’est pas parce qu’il s’agit d’une tentation fort ancienne à laquelle beaucoup ont cédé qu’il faut y succomber à son tour. Les anglophones n’iront nulle part ailleurs, avec ou sans le Cameroun. On ne tuera pas non plus le dissensus par les armes, c’est une illusion perdue d’avance. Aussi ce pays restera uni dans sa diversité et riche justement de cette diversité, parce que dans leur majorité, les Camerounais, anglophones ou non, se sentent profondément Camerounais malgré vexations, tribulations, ostracismes, etc.
Le Cameroun, sachons-le, ce n'est pas seulement le pays des gens qui sont au pouvoir : c’est aussi le pays de ceux qui en sont écartés et qui se battent pour y accéder ou au contraire se fichent du pouvoir parce qu’ils savent qu’on peut aussi contribuer à bâtir son pays loin des flonflons du pouvoir. Le Cameroun, ce n’est pas seulement le pays des vivants : c’est aussi le pays des morts, de ceux qui sont morts pour lui, grands patriotes, ou contre lui, traitres à leur patrie ; c’est aussi le pays de ceux qui ne sont pas encore nés, mais qui vivront pour le construire, patriotes acharnés, ou pour le détruire, vendus à des puissances ennemies ou pseudo-amies ; le Cameroun, c’est aussi le pays de ceux qui ne savent même pas encore que c’est leur pays, parce que pour l’instant ils sont encore d’un autre pays et que cela va peut-être changer tout à l’heure, demain ou après-demain, et qui seront peut-être mauvais Camerounais, peut-être meilleurs Camerounais que ceux qui le sont depuis toujours.
En ce jour de vote et alors que certains ne rêvent que de perpétuer leur mainmise sur les institutions, légitimement ou non peu importe, alors que d’autres rêvent surtout d’avoir enfin voix au chapitre, légitimement ou non peu importe également, il importe par contre que nous sachions que nous sommes tous Camerounais et que ce titre s’écrit pour tous avec la même majuscule ; il importe également de savoir que nous n’allons chasser aucun Camerounais de ce pays, parce que l’appartenance au Cameroun n’est pas un statut physique ou matériel, que l’on n’est pas moins Camerounais parce qu’on vit en Chine ou aux Etats-Unis si dans son cœur l’on se sait Camerounais et que l’on travaille pour le Cameroun. Il importe que nous sachions que le fait d’avoir occupé de plus hautes fonctions dans ce pays, si cela ne nous a pas conduits à plus de responsabilité – ceux à qui il a été beaucoup donné, il leur sera aussi beaucoup demandé – si cela nous a surtout procuré plus de profits individuels et de jouissance personnelle, ne nous fait pas plus Camerounais que d’autres, ni même, paradoxalement, moins Camerounais : cela fait seulement de nous de moins bons Camerounais, de plus mauvais Camerounais. Mais qu’ils soient bons ou mauvais Camerounais, les Camerounais sont Camerounais et nous n’allons pas pouvoir nous débarrasser des uns pour ne conserver que les autres.
En cette journée électorale, nous devons avoir une véritable pensée pour le Cameroun, le seul vrai point commun que nous avons en dehors de notre commune humanité, pour ceux qui se savent humains et se comportent habituellement comme tels. Nos appétits, souvent gloutons ; nos envies, souvent insatiables ; nos cupidités, souvent sans fond ; nos égoïsmes, parfois viscéraux ; nos yeux, qui sont souvent plus grands que nos ventres ; notre bêtise, qui toise parfois de haut le mont Fako, vont-ils nous le permettre ? Est-ce que nous allons réussir à comprendre cette chose, pourtant fort simple, que seul le Cameroun est grand, au superlatif absolu, et que nous tous autant que nous sommes, qui que nous soyons individuellement ou en groupe, nous ne sommes grands que relativement parlant, qu’en fait nous sommes tous petits devant lui ? Nous rendons-nous compte que, même si/quand nous le quittons, nous n’enlevons pas grand-chose à la grandeur du Cameroun, que même si/quand nous le pillons nous n’enlevons pas grand-chose à sa véritable richesse ? Savons-nous que nous aurons toujours besoin de lui plus qu’il n’aura jamais besoin de nous ? Savons-nous que ce n’est qu’en luttant pour le rendre un peu plus grand, toujours plus grand que nous pouvons arriver à nous grandir un peu ? Qu’en essayant de le détruire nous creusons une tombe de plus en plus profonde pour nous-mêmes ?
En ce 07 octobre 2018 jour de l’élection présidentielle dans leur pays, il serait bon que chaque Camerounais ne perde pas tout cela de vue.
Roger KAFFO FOKOU, Enseignant écrivain.
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