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Election présidentielle du 9 octobre 2011 au Cameroun: voici pourquoi tout est joué d'avance

 

Par Roger KAFFO FOKOU, Ecrivain et chercheur indépendant, auteur de "Cameroun: liquider le passé pour bâtir l'avenir", l'Harmattan, 2009

 

Les dés sont d’avance pipés et il faut être singulièrement aveugle pour ne pas le voir. Les causes de cet état des choses ne sont pas conjoncturelles mais structurelles.

 

A la question « Peut-on organiser une élection crédible, c’est-à-dire libre, transparente, équitable et juste au Cameroun ? », l’on peut opter pour répondre à plusieurs types d’approches. La plus répandue est celle des juristes qui rentrent dans le corps des instruments de droit élaborés en vue de gérer les processus électoraux pour les analyser et voir s’ils se prêtent au jeu d’une élection démocratique. Je ne doute pas qu’un tel examen, conduit avec rigueur, ne permette d’apporter une réponse fiable à une telle question. Mais attention : le foisonnement des détails peut entraîner la confusion et déboucher sur des ambiguïtés insurmontables. Le fonctionnement des sociétés obéit en fait à des lois strictes, qui s’appliquent avec la même rigueur que les lois qui régissent la causalité naturelle. « L’extérieur des choses est important pour moi, disait le peintre Otto Dix, car en exprimant la forme extérieure on saisit aussi l’intérieur… Je ne veux voir que l’extérieur, l’intérieur en découle de lui-même ». Telle cause produit donc forcément tel effet, si bien que lorsque l’on a identifié de façon certaine une cause ou un faisceau de causes cohérentes, s’attendre à un effet non correspondant même sur la foi d’indices évidents trahit une volonté de se bercer d’illusions, sans doute pour ne pas avoir à affronter, faute de « couilles », une réalité dure et désagréable. On peut dire la même chose autrement : la nature fonctionne sur un principe de cohérence interne et externe, qui fait que le macrocosme reflète toujours le microcosme, la cohérence externe renvoyant à la cohérence interne. Mais puisque la question ci-dessus est posée sous l’angle de la possibilité, disons tout de suite que l’on peut y répondre par l’affirmative avec toutefois une restriction majeure : oui mais pas tout de suite ni à court terme, ce qui naturellement exclut l’échéance en vue, celle d’octobre 2011. A moins que… d’ici là, certains paramètres décisifs ne soient modifiés : l’élection est un mode parmi d’autres de désignation du leadership politique qui correspond à un type précis de société politique, et tout porte à dire que le Cameroun, de manière fondamentale aujourd’hui, est loin de correspondre à ce modèle, et que cela seul suffit pour prévoir la nature des prochaines élections. 

 

D’emblée  rappelons que l’élection est un mode parmi d’autres de désignation du leadership et qu’en politique, sa valorisation renvoie à un type précis de société politique, la démocratie. On peut dire que l’élection, la vraie, celle qui est comme l’on dit libre, transparente, équitable et juste est un pur produit d’une société également libre, transparente, équitable et juste. C’est important d’insister sur ce fait, ce n’est pas l’élection qui produit une société libre, transparente, équitable et juste, c’est elle qui en est le produit. Une fois produite par une telle société, l’élection démocratique produit à son tour un pouvoir légitime, c’est-à-dire considéré dans un contexte où le pouvoir remonte du peuple vers ses chefs  comme étant à sa place et non usurpé.

Jusqu’ici, nous ne sommes pas comme on peut le constater sur le terrain de l’éthique et il vaut mieux ne pas s’y risquer d’autant que cela n’apporte pas grand-chose à la démonstration que nous faisons. La légitimité est une affaire de contexte et, selon qu’elle est monarchique ou démocratique elle n’est pas plus morale ; il suffit qu’elle ne se trompe pas d’époque. Etienne de la Boétie qui se méfiait, à juste titre comme  il faut se résoudre à dire, de toutes les formes de légitimité distingue dans son célèbre Discours sur la servitude volontaire trois formes de légitimités qu’il assimile à autant de formes d’oppression : « Il y a trois sortes de tyrans. Les uns ont le royaume par élection du peuple, les autres par la force des armes, les autres par succession de leur lignage ». Trois modes de désignation donc - l’élection, la conquête par la force et la succession héréditaire – et qui ne sont pas interchangeables d’un type de société à un autre, sauf quand il s’agit d’un changement apparent, qui sauvegarde en réalité le mode de désignation qui convient normalement au type de société politique concerné.

L’évolution du système politique vers la démocratie n’est pas due au fait que dans certaines sociétés les progrès de la morale font évoluer le mode de dévolution du pouvoir de la force brute ou déguisée, qui s’impose depuis le haut, vers le libre assentiment de la majorité qui s’impose depuis le bas, mais à une évolution des rapports de pouvoir au sein des sociétés. Une telle évolution fait que la force, initialement concentrée entre les mains d’une oligarchie placée au sommet de l’échelle sociopolitique et qui l’impose à la multitude au-dessous d’elle, se diffuse peu à peu pour devenir le bien commun de la majorité qui peut à ce moment-là l’attribuer selon son bon vouloir, sur le mode de l’élection. Nous retrouvons là la logique caractéristique de l’équilibre ou du déséquilibre de la terreur.

Dans un groupe restreint, le plus fort n’a pas besoin d’élection pour se déclarer chef du groupe, de peur que son statut ne puisse à tout moment être remis en question. Mais dès que surgit une concurrence suffisamment forte pour tenir tête, s’il apparaît qu’en se confrontant il n’y aurait d’issue viable pour aucune des parties, tous s’en remettent alors à l’arbitrage du reste du groupe et le groupe en question entre dans la phase démocratique. Dans les Etats qui sont des groupes étendues, l’équilibre de la terreur se joue entre des groupes d’individus tantôt opérant en leurs noms propres, tantôt au nom de la multitude. Les dictatures anciennes et modernes quels que soient leurs noms font partie de la première catégorie. Etienne de la Boétie, dans le texte plus haut cité, nous propose une analyse pénétrante qui montre que même la monarchie est une question d’oligopole : « On ne le croira pas au premier abord, mais certes c’est vrai : ce sont toujours quatre ou cinq individus qui maintiennent le tyran, quatre ou cinq qui tiennent le pays en esclavage ; il n’y en a jamais eu que cinq ou six qui tiennent l’oreille du tyran, et s’en sont approchés d’eux-mêmes ou ont été appelés par lui pour être les complices de ses cruautés, les compagnons de ses plaisirs, les maquereaux de ses voluptés, et ceux avec lesquels il partageait ses pillages ».

Les démocraties anciennes et modernes appartiennent à la seconde catégorie. C’est dire qu’une démocratie n’est rien d’autre qu’un champ de forces politiques relativement équilibrés, où personne ne peut prendre le risque impuni de s’imposer au pouvoir en dehors du mode de dévolution convenu. Convenu ici fait appel à convention. Qu’est-ce que c’est qu’une convention ? Un accord entre plusieurs qui désormais constitue la loi des parties. Les règles de fonctionnement d’une démocratie, parmi lesquelles celles de dévolution du pouvoir, résultent ainsi d’un compromis entre des forces politiques équilibrées ou quasi équilibrées qui savent qu’aucune des parties n’est assez forte pour imposer sa propre loi. Encore faut-il que le peuple soit assez fort pour ne permettre l’exercice de la fonction politique qu’à des forces qui le représentent à travers ses fractions.

 

La culture démocratique ne s’installe qu’après coup et peut même à la longue faire oublier qu’elle ne fut à l’origine que la conséquence d’une volonté d’éviter le chaos c’est-à-dire le plus grand mal pour les forces concurrentes légitimes et non d’une volonté innée de promouvoir l’harmonie sociale. Et puis, plus le temps passant et plus  la surface du paysage social et des mécanismes démocratiques se polissant, l’on en arrive à oublier que la vieille mécanique originelle est toujours là dans les profondeurs, et que sans elle tout peut être remis à tout moment en question. Il y a là une logique implacable à la lumière de laquelle il est aisé de voir que sauf bouleversement majeur des déséquilibres de forces en présence, il serait illusoire de s’attendre en octobre 2011 à une élection présidentielle libre, transparente, équitable et juste au Cameroun.

Le champ politique camerounais à ce jour est fondamentalement de type monarchique mais emballé dans un costume trois pièces républicain. Ce champ se veut démocratique parce que les gestionnaires du pouvoir y déploient jusqu’à la saturation dans l’espace public tout le décorum de la république. Tout ce clinquant intentionnellement étalé pour en mettre plein la vue et fasciner est au sens propre un barrage visuel destiné à masquer aux regards inattentifs ou peu avertis les piliers fondamentaux du système qui sont ceux de la monarchie et même d’une monarchie non éclairée, autant dire de la tyrannie. Nous sommes en présence d’artifices au sens le plus terre à terre du terme, d’un attirail d’illusionniste composé d’articles tels une constitution, une apparente séparation des pouvoirs, un suffrage universel, le tout dans un Etat dit de droit. Le code électoral et l’institution chargée de conduire les élections (ONEL ou ELECAM) participent évidemment de ces ingrédients. Nous sommes là au niveau surfaciel où une prolifération indicielle tend à gommer les traits authentiques d’un système ainsi que le ferait un savant maquillage. Cette profusion malgré tout n’arrive pas à masquer les traits fondamentaux du système.

Les outils de la démocratie sont par nature conventionnels parce que résultant d’ententes entre des parties aux forces plus ou moins équilibrés. Dans le cas du Cameroun, ces outils sont usinés dans un parlement à plus de 85% entre les mains d’un parti et qui fonctionne comme une chambre d’enregistrement des décisions d’un exécutif lui-même fait d’ombres qui s’agitent autour d’un personnage qu’un politologue a taxé à juste titre de « monarque présidentiel ». De même que l’action gouvernementale et administrative au quotidien porte la marque omnivisible de la magnanimité du monarque, de même l’activité législative comme judiciaire découle en droite ligne du bon vouloir du même personnage : constitution octroyée et modifiée à volonté, lois taillées sur mesure, action judiciaire à tête chercheuse… le tout appliqué ou non, en tout ou en partie au gré des circonstances et des intérêts du prince et de ses affidés. Comment expliquer autrement le rythme frénétique de modification de la loi électorale – ONEL I, II, ELECAM I, II, III – autrement que par le jeu subtil d’un monarque prestidigitateur qui est constamment en train de tirer un lapin blanc de son chapeau parce qu’il s’agit justement non pas d’un véritable lapin mais d’une pure illusion de lapin ?

Les outils de la démocratie sont par nature conventionnels parce qu’ils garantissent que le leadership politique désigné ne pourra pas être contesté subséquemment à la procédure, parce qu’une telle contestation, en raison de l’état des rapports de force, a toutes les chances d’être efficace. Quel est l’état des forces politiques internes au Cameroun aujourd’hui ? D’un point de vue institutionnel, la configuration de l’Assemblée Nationale en parle à suffisance. Pour ce qui est de l’opposition non institutionnelle, ce que l’on appelle la société civile, elle n’a pu réussir ces derniers temps aucune mobilisation d’envergure, en comparaison des marches de soutien spontanées organisées par le pouvoir pour s’autodécerner des satisfécits. Si le mécanisme démocratique est toujours dans le fond un mécanisme contraint (la conscience du risque qui pourrait naître d’une éventuelle manipulation frauduleuse du système jouant le rôle de force contraignante), il faut bien admettre que la mécanique dans le cas du Cameroun, si belle paraisse-t-elle, est fondamentalement viciée.

On voit pourquoi la problématique d’une élection libre,  transparente, équitable et juste au Cameroun ne peut relever dans l’immédiat que de la rhétorique. A moins que l’état des forces en présence ne se modifie d’ici là. Or celui-ci ne peut se modifier en si peu de temps que sous l’effet de facteurs externes au système, d’une sorte de deus ex machina. Est-ce le rôle que tente de jouer la pression extérieure ? A écouter les déclarations des hauts responsables du parti au pouvoir, il semble que ce soit le cas. Comment interpréter autrement ces propos de M. René Sadi sur la chaîne de télévision Equinoxe le 10 juin dernier : « J’ai bien dit et redit que le destin du Cameroun c’est les Camerounais. Les affaires du Cameroun appartiennent d’abord aux Camerounais. Nous savons mieux que quiconque ce qui est bien pour nous. Nous savons mieux que quiconque qui est qui dans notre pays. Il ne faut pas que les gens croient que  la légitimité va se chercher ailleurs que dans notre propre pays » ? Surtout quand vient s’y greffer tout un concert de déclarations de même nature provenant des responsables aux plus hauts degrés de l’Etat ? Le message que trahit cette fébrilité du pouvoir camerounais est clair : pour l’instant, seul un rééquilibrage des forces dû à un repositionnement des appuis extérieurs pourrait corriger le processus électoral camerounais dans un sens plus démocratique. Mais quelle forme et quelle intensité devrait prendre un tel repositionnement pour être efficace et légitime ? Là est toute la question.



21/09/2011
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