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En avant, la République des horreurs, marche !

Une petite fille de 17 ans, orpheline, s’est vue dépouillée de l’enfant qu’elle venait de mettre au monde à l’hôpital gynéco-obstétrique et pédiatrique de Ngousso à Yaoundé, et cette monstruosité a duré six mois. Six mois d’enfer au cours desquels la petite Tchatchoua Vanessa – peu importe son nom - a vécu l’enfer sur terre, accrochée de toutes ses forces à un lit d’hôpital qu’elle a squatté désespérément, violentée, humiliée, affamée par les responsables de cette enclave (in)hospitalière apparemment au-dessus de tout soupçon, harcelée par des « féroces » de l’ordre certainement apparemment stipendiées. Six longs mois au cours desquels son Golgotha, rapporté par quelques médias, n’a ému ni les autorités de l’Etat, ni les hommes politiques du pouvoir comme de l’opposition, pas même les autorités dites morales pourtant habituellement intarissables quand il faut prêcher pour la paix, pour une paix sans justice ! Devant cette tragédie humaine poignante, sans doute parce qu’elle ne touchait qu’une pauvre fille de rien, une Camerounaise sans feu ni lieu, même les organisations de défense de droits de l’homme dont c’est normalement le fonds de commerce se sont pincé le nez, ont fermé les yeux et se sont bouchés les oreilles pendant six mois. Inutile donc dans ces conditions de parler du citoyen lambda.  « On dirait que les Camerounais ont perdu leur humanité », s’est indigné un journaliste, un des rares à avoir encore cette force-là sous notre bannière tricolore une étoile. Six mois après, il a fallu que La Commission indépendante contre la corruption et la discrimination (Comicodi) du « bouillant » Shanda Tonme comme certains appellent cet activiste des droits de l’homme s’en mêle, pour que se brise la lourde chape de silence et que « l’affaire » sorte de la rubrique des faits divers.


Une affaire d’enfant volé à l’accouchement, escamoté dans une couveuse d’un hôpital public et pas n’importe lequel, un hôpital auquel l’on ne peut accéder en temps normal qu’en montrant patte blanche, un enfant placé donc manifestement sous la responsabilité de l’Etat, une telle affaire peut-elle être considérée comme un banal fait divers à ranger dans la rubrique des chiens écrasés ? Dans une autre république en des temps farouches, la République Sud-africaine au temps honni de l’apartheid, André Brink nous raconte l’histoire d’un père de famille qui doit affronter la machine répressive  d’un système inhumain pour retrouver son fils disparu. 20 ans après la fin de l’apartheid et alors que fleurit le printemps arabe, dans le contexte de notre démocratie si atypiquement apaisée, où en est notre pays ?  


L’instantané que le Cameroun semble décidé à offrir de lui-même au reste du monde va-t-il se réduire au mauvais cinéma que M. ISSA BAKARY TCHIROMA nous a offert à voir dans ce qu’il a eu le courage d’appeler pompeusement ce 2 février 2012 « point de presse » ? Après six mois d’un silence suspect, ce « monsieur » qui porte la parole du gouvernement a eu le cœur de venir sur un sujet aussi grave donner un début de crédit à la thèse d’une personnalité qui, bien qu’appartenant à la justice, a l’intention de se soustraire à la mise en œuvre d’un moyen de preuve scientifique universellement reconnu aujourd’hui. Comment comprendre autrement le récit que M. TCHIROMA nous fait d’un enlèvement rocambolesque suivi du décès d’un enfant que notre porteur de parole attribue sans test ADN à la jeune mère désespérée que personne n’a voulu écouter pendant six longs mois ?


Qu’est-il donc en train d’arriver à cette république nôtre naguère encore si fière de son vernis démocratique ?  Sous l’œil nu et impassible du soleil tropical, cruautés et horreurs désormais se multiplient.   Sur nos routes étriquées, raboteuses, devenues faute d’entretien de véritables machines à écraser, l’hécatombe fait partie du quotidien et c’est à peine si le journal télévisé de la CRTV en rend compte. Nos prisons ne sont que fosses communes déguisés, des oubliettes où l’on jette en pâture à la mort tous ceux dont l’opinion dérange : le journaliste Germain Cyril Ngota Ngota n’y a pas survécu et Enoh Meyomesse, « enlevé » puis gardé au secret le plus noir pendant des mois, ne doit son salut jusqu’ici qu’à un coup de dé heureux et à une levée de bouclier d’une opinion que sa notoriété à permis de surchauffer. Tandis que les marchés flambent d’un bout à l’autre du pays, que l’on fait payer aux retraités par d’insupportables traitement (Ailleurs comme au Mali ils ont une carte de priorité) l’outrecuidance qu’ils ont à survivre à l’activité, depuis près de deux ans des populations sont abandonnées aux ravages du choléra du Nord au Sud, et les morgues sont surpeuplées… Macabre, la pile des cadavres s’amoncelle et déborde les tiroirs d’une république obstinément paisible et décidément de moins en moins humaine.


 En Afrique du Sud, au temps de l’apartheid, l’horreur et la cruauté servaient un intérêt général même minoritaire, celui de la communauté blanche. Elles pouvaient s’abriter derrière une construction idéologique quoique celle-ci fût infiniment discutable. Dans notre pays, horreur et cruauté ne traduisent que l’insensibilité et le cynisme de ceux qui nous gouvernent et pour qui notre humanité est loin d’être une évidence indiscutable ; de ceux qui nous gouvernent en passant, par intermittence et avec désinvolture, à temps partiel pour tout dire, sans doute plus préoccupés à jouir du pouvoir qu’à assumer les responsabilités qui en découlent, plus soucieux des avantages de toutes natures qu’ils s’octroient sans modération que des soucis des pauvres gens dont le sort n’est pas, selon le mot d’un personnage de Voltaire, plus important que  celui des rats infestant les cales d’un navire.  Dans notre pays, l’horreur et la cruauté ne traduisent que la démission de ces « intellectuels » que le ventre a détournés du droit chemin et qui caquettent sans conséquence à longueur de journées sur les plateaux de télévision : « s’il avait le ventre derrière lui, disait Birago Diop, ce ventre le mettrait dans un trou ». La cruauté et l’horreur ne traduisent que le silence d’un peuple acculé aux stratégies de désespoir et de survie, et qui s’évertue par des moyens dérisoires à sauver le fond de vie terne et sans avenir qu’il lui reste, le temps qu’il lui reste à la traîner. Ah, quelle horreur !


Oui, n’est-ce pas horrible de devoir faire face, de si près, au visage ridé, creusé, délabré, ruiné par les années et la jouissance effrénée, au visage décidément hideux de cette république cynique et arrogante, qui ne lâche plus son vernis, son maquillage et son fond de teint, et s’évertue à se donner un air de jeunesse à force de grimage, à faire passer les fosses communes pour des monuments à sa gloire ? Comment ne comprend-on pas que nos hôpitaux ne sont plus que des mouroirs et nos écoles des cimetières où des générations entières de jeunes inhument l’intelligence et reçoivent en retour des parchemins qui, même localement, ont de moins en moins de la valeur ?  N’est-ce pas horrible de penser chaque matin, en voyant votre enfant aller à l’école, qu’il peut ne pas revenir, enlevé par des trafiquants de chair humaine, écrasé par un chauffard qui a acheté son permis de conduire, ou alors revenir quand même mais traumatisé, victime d’un pédophile, enrôlé dans une secte bizarre et désormais méconnaissable ? N’est-ce pas horrible de vous dire que dans une telle circonstance il ne vous servirait à rien de saisir une justice corrompue, d’ameuter les organisations des droits de l’homme gérées par des plaisantins prêts à tout moment à baisser la culotte pour un croûton de pain ? N’est-ce pas l’horreur suprême de vous dire que même dans le désarroi extrême vous n’auriez aucune chance de saisir le Président de la république et de vous faire entendre de lui, parce que M. Biya est un grand absent, que même lorsqu’il est présent il a toujours des choses plus importantes à faire que le sort de l’humble Camerounais que vous êtes, parce que vous ne lui servez à rien, pas même à renflouer son pourcentage électoral ?


Si devant toute ces horreurs et cette cruauté nous ne pouvons pas, vous et moi nous indigner, nous exclamer « Mon Dieu, quelle horreur ! », et de colère, de saine et normale colère nous mettre debout et nous écrier « Assez de ce scandale ! », alors il ne nous reste plus qu’à entonner le chant de ralliement : « En avant, la République des horreurs, marche ! ».


Roger KAFFO FOKOU, Ecrivain  



08/02/2012
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