Enigme : Une nébuleuse manipule-t-elle dans les coulisses de la crise mondiale ?
Par Roger Kaffo fokou, auteur de Capital, travail et mondialisation vus de la périphérie, l'Harmattan, 2011
Illuminati ? Groupe de Bilderberg ? Skull and Bones ? Templiers ? Sages de Sion auteurs de célébrissimes protocoles ? Il circule depuis quelques années, à la faveur d’Internet, une littérature dense autour du thème de groupes secrets déterminés à prendre en otage la planète et de la gérer chacun à son profit. Selon cette littérature, cette nébuleuse, peu importe son nom, se satisferait de la crise et de la guerre pour ne pas dire qu’elle la souhaiterait. Un complot contre l’humanité serait donc ourdi dans l’ombre, à l’ombre des pouvoirs et depuis des siècles. Fantasme ou réalité ? Difficile de répondre de façon tranchée. Il y va de la crédibilité de chacun, personne ne tenant à passer aux yeux de l’intelligentsia internationale bien-pensante pour un lunatique. C’est pourquoi les écrits qui fleurissent sur le sujet sont la plupart du temps anonymes. Quelques auteurs ont cependant pris ces dernières années leur courage à deux mains et ont mené des enquêtes qu’ils ont publiées chez des éditeurs tout aussi courageux. C’est le cas de Anthony C. Sutton avec Le Complot de la réserve fédérale, ou de Eustace Mullins avec Les Secrets de la réserve fédérale.
Ashoka, une organisation non gouvernementale internationale, n’y va pas par quatre chemins et publie, péremptoire, sous le titre «La conspiration capitaliste : la réserve fédérale américaine » un texte introduit ainsi qu’il suit : « On sait tous que c’est l’argent qui gouverne le monde. Mais peu connaissent les mécanismes qui permettent à un groupe restreint d’individus de dominer la planète. La réserve fédérale américaine semble au-dessus de tout soupçon, et c’est pourtant là que réside le secret le mieux gardé du pouvoir des banquiers internationaux. Cette institution, en apparence vénérable et respectable, a mis les Etats-Unis en coupe réglée depuis sa création en 1913 ». Un groupe restreint de personnes ? Comme en écho, le professeur Fukuyama, parlant des Etats-Unis, nous révèle dans Le Monde magazine du 9 septembre 2011 : « 1 % de la population détient 24 % des richesses nationales – contre 7 % en 1970 – et parmi ce 1 %, à l'exception de quelques génies de la Sillicon Valley, beaucoup appartiennent au monde de la finance ». Dans son livre Les Secrets de la réserve fédérale, Eustace Mullins y va également tout droit et pointe un index accusateur sur les banquiers internationaux : « Les banquiers attendaient depuis 1887 que les Etats-Unis votent une loi de banque centrale permettant de financer une guerre européenne entre les nations qu’ils avaient déjà mises en faillite avec des programmes d’armement et de « défense ». La fonction la plus exigeante de ce mécanisme de banque centrale est le financement de la guerre ». Nous voilà donc en plein cœur de la théorie dite du complot. Mais il y a ceux qui ne succombent pas à cette « complomanie » pourtant à la mode.
Dans une interview sur mesure parue sur nouvelobs.com en 2009 et titrée « Des Illuminati de type satanique et des Illuminati de proximité », Pierre-André Taguieff, directeur de recherche au CNRS et auteur entre autres de L’Imaginaire du complot. Aspect d’un mythe moderne ne se prive pas du plaisir de l’ironie et même du sarcasme à l’endroit de ceux qui les distillent ou croient naïvement aux fables du complot mondial : « Je constate ensuite qu’à côté des classiques mégacomplots du genre dogmatique procédant selon une démarche déductive (on commence par croire à l’existence des Illuminati, incarné par le Groupe de Bilderberg, et l’on en déduit qu’ils doivent comploter, donc on cherche des indices), sont apparus de nouveaux complots portant sur des événements récents (telles les attaques du 11 septembre 2001) : on commence par douter des faits et soupçonner la manipulation, on s’applique ensuite à démystifier, pour enfin désigner les coupables, les agents secrets de la mystification et les forces occultes à qui elle profite. Dans ce cas de figure, le complot est présenté successivement comme possible, vraisemblable, probable, quasiment sûr. Concernant le 11 Septembre, il s’agit bien sûr du grand "complot américano-sioniste ». Une interview d’une rare intelligence, au cours de laquelle chaque question et chaque réponse sont pesées avec soin. On n’est pas directeur de recherche pour rien. Mais sur qui Monsieur Taguieff ironise-t-il ?
Les théoriciens les plus tenaces et les plus en vue du complot ne sont pas toujours où l’on croit. Il suffit de réécouter George W. Bush, Collin Powells, Tony Blair et les médias occidentaux au lendemain du 11 septembre 2001 et à la veille de l’invasion de l’Irak : le grand complot de Saddam Hussein assis sur ses immenses stocks d’armes de destruction massive. La Chine et ses milliers de milliards de dollars œuvrant dans l’ombre et jouant comme un virtuose du yuan pour détruire l’Amérique. La théorie du complot est donc une arme sans frontières. Il existe même des théories du complot anti théories du complot. Le résultat de tout cela est fort simple : le brouillage de toutes les pistes. Entre théories et contre-théories, le citoyen ordinaire du village planétaire se perd et renonce à toute espèce de compréhension. Ces complots, de toute façon, semblent tellement au-dessus de lui qu’il n’a aucune peine à se convaincre qu’il est plus sage pour lui de s’en détourner. Et si pourtant cela n’était pas vrai ?
Nos gouvernants ont-ils les mains libres pour décider des voies de management de la chose publique ? Dans nos Etats du tiers-monde à la souveraineté théorique, une telle question ne se pose même pas. Le citoyen lamda y est convaincu que son chef d’Etat applique plus ou moins les directives de capitales du nord. Dans l’affaire de « l’arche de Zoé », Nicolas sarkozy a dit officiellement et sans la moindre diplomatie : « J’irai les ramener quoi qu’ils aient fait » et il a tenu promesse. En face du Mexique dans l’affaire Florence Cassez, cette même fanfaronnade n’a pas tenu. Mais lorsque malgré l’hostilité des citoyens Français, Américains ou Britanniques, des soldats de ces charmants pays sont envoyés tuer et se faire tuer à l’autre bout du monde, à qui ces pouvoirs obéissent-ils ? L’on se souvient du soulèvement massif contre la guerre du Viet-Nam dans les années 70 AUX Etats-Unis. Lorsque les banquiers de Wall Street ont ruiné l’économie américaine en 2008 et que les banques des principaux pays du nord se sont retrouvées au bord du gouffre, qui a pris la décision de les sauver en y injectant des centaines de milliards de fonds publics aux frais du contribuable ? Pourquoi ces politiciens, de quelque pays qu’ils soient, en commençant par le pays le plus puissant du monde, les Etats-Unis d’Amérique, sont-ils si impuissants même devant des dangers qui menacent la vie de leur nation ?
Parlant des politiques, Francis Fukuyama le célèbre théoricien de la fin de l’histoire ne semble pas trouver des mots assez durs pour stigmatiser leur faiblesse. Se tournant spécifiquement vers la classe politique américaine, il affirme sans ambages : « De fait, elle n'est pas à la hauteur des défis actuels du pays. C'est sans doute l'élément le plus inquiétant de la crise actuelle ». A la hauteur de quels défis ? Pour Fukuyama, « Les Américains se sentent floués par leurs élites de Washington et de Wall Street qui n'ont jamais été si mal perçues dans l'opinion publique. Les institutions sont bloquées. Elles n'ont pas seulement échoué à prévenir puis à enrayer la crise. Elles étaient directement impliquées dans la bulle financière et dans la crise qui a suivi son éclatement. Les institutions ont laissé faire et certains à leur tête se sont même considérablement enrichis sur le dos de l'Américain moyen. Puis elles ont renfloué les responsables de la catastrophe financière ». Encore un partisan de la théorie du complot ? Car, il faut bien le souligner, selon Fukuyama, il y a collusion au sommet de l’Etat, complicité ou à tout le moins connivence, contre les intérêts de l’Amérique. Et il ne fait pas mystère des profiteurs dudit complot : les Américains ont perdu leurs illusions, affirme-t-il, « et pendant ce temps-là, les politiciens se disputent à Washington et les banquiers engrangent à nouveau des fortunes ! », s’indigne-t-il. Et les belles théories d’Obama le candidat à la Maison Blanche : que sont-elles devenues ? « Il n’a pas fait preuve d’un grand leadership », tranche avec euphémisme Francis Fukuyama. Pauvre Obama ! L’impuissance d’un homme aussi apparemment puissant n’est-elle pas tragique ?
En fait, tout a beau chanceler, s’écrouler, les uns et les autres voir leurs vies se désagréger, il y a un secteur qui survit à la catastrophe, et comble d’ironie, s’en tire toujours mieux qu’il n’y était entré : le secteur bancaire. « Le 18 mars 2009, pour contrer les effets de la récession aux États-Unis, la Fed a décidé d'acquérir pour 300 milliards USD d'obligations du Département du Trésor des États-Unis, pour 750 milliards USD de mortgage-backed securities (MBS), portant ainsi son portefeuille de MBS à 1 250 milliards USD, et d'acquérir des dettes de Fannie Mae et Freddie Mac pour 100 milliards USD. Selon un bureau d'études économiques, la Fed, en moins d'un an, aura ajouté à son bilan 3 500 milliards USD de dettes », nous apprend-on. Un pactole qui lui permet, comme nous l’avons vu plus haut, de multiplier ses bénéfices par huit, sans que son action n’apporte un soulagement sensible à l’économie américaine. Non seulement celle-ci continue à détruire des emplois, mais le contribuable paie déjà de quoi permettre à la Fed de verser des bénéfices à ses propriétaires. Et qui sont les propriétaires de la Fed ? Les 12 réserves fédérales régionales américaines appartenant à des banques privées comme Citibank, JP Morgan, Lehmann Brothers, Chase Manhattan bank etc. On sait que Timothy Geithner, celui-là même qui a organisé l’endettement de l’Etat américain vis-à-vis de la Fed n’est autre que l’ancien président de la plus importante des 12 banques propriétaires de la Fed, la réserve fédérale régionale de New-York. Il présidait cette banque-là lorsque la crise a éclaté. Et comme par hasard, on n’a pas trouvé mieux que lui pour le département du trésor, afin qu’il y organise le sauvetage des institutions qu’il avait lui-même conduites au bord du gouffre. A partir de là, l’on commence sans doute à se rendre compte du niveau de collusion, de complicité ou de connivence au sommet de l’Etat.
En accédant à la Maison Blanche, Barack Obama avait quelques projets chers à son cœur : la réforme de l’assurance maladie, et la réforme financière. Une fois aux affaires, il les a toutes bâclées. On peut se faire cynique et dire, comme le Professeur Fukuyama « qu’il est beaucoup moins charismatique à la Maison Blanche que lorsqu'il était candidat ». Pourquoi ? En 1981, François Mitterrand arrive à l’Elysée avec un programme de gauche sous son aisselle. Une décennie plus tard, il a fait de la France le pays le plus monétariste d’Europe. Et le parti travailliste anglais sous Tony Blair ? Et la Grèce de Papandréou ? N’y aurait-il pas un agenda secret et impératif qui attend chacun de ces messieurs et dames au seuil du pouvoir ? Et de qui tiendraient-ils un tel agenda ?
Remontons un tantinet le temps avec Eustace Mullins. Au chapitre 8 de son ouvrage Les Secrets de la réserve fédérale, nous pouvons lire ceci : « Voici ce qu’écrivait le Quaterly Journal of Economics, en avril 1887 : “Une revue détaillée de la dette publique européenne met en évidence des intérêts et des remboursements de fonds d’amortissement qui s’élèvent chaque année à $5.343.000.000 [5,3 milliards de dollars]. La conclusion de M. Neymarck est très proche de celle de M. Atkinson. Les finances de l’Europe sont tellement compromises que les gouvernements [européens] pourraient se demander si la guerre, malgré toutes les circonstances épouvantables qui l’accompagnent, ne serait pas préférable au maintien d’une paix aussi précaire que coûteuse. Si les préparations militaires de l’Europe ne débouchent pas sur la guerre, elles pourraient très bien aboutir à la banqueroute des Etats-Unis ». Vingt-sept ans exactement plus tard eut lieu la Première guerre mondiale, qui fit les affaires des Etats-Unis, mais surtout des banquiers qui avaient prêté de l’argent à l’Europe pour faire face aux dépenses de guerre. N’est-ce pas édifiant que cette prédiction aussi précise ait été le fait des milieux financiers qui allaient par la suite être les grands bénéficiaires des événements ainsi anticipés ? Mais comment les Etats-Unis qui à ce moment-là étaient eux-mêmes lourdement endettés ont-ils pu s’en sortir et prêter de l’argent aux Européens ? Ils ont eu le génie d’inventer la Fed (1913), de la confier à un groupe de banquiers, et celle-ci a fait le reste. Ce schéma ne nous rappelle-t-il rien ?
Depuis quelque temps, l’Europe semble avoir remis ses costumes des années 1887. La dette tant publique que privée explose dans la plupart des pays de l’Union. La dette des 27 est désormais au-dessus de 80% de son PIB, soit 9 819 milliards d’euros pour un PIB de 12 252 milliards d’euros. Situation identique aux Etats-Unis. Si le système s’effondre, les banquiers qui tirent les ficelles derrière le rideau perdent tout. Et si les mêmes causes produisaient les mêmes effets ? Dans une interview qu’il accorde en sept 2011 à Libération, Jean-Michel Quatrepoint, Journaliste et économiste (rappelez-vous le Quaterly Journal of Economics, en avril 1887) qui vient de publier Mourir pour le yuan? chez François Bourin parle du déclin consenti des puissances occidentales. Consenti par qui et dans quel but ? Encore un théoricien du complot ! Et de conclure, significativement : « A la longue, si rien ne se passe, si on continue à accumuler les déséquilibres, comme au début du XXe siècle, l'issue sera la même: la guerre ». Un son de cloche isolé ? Que non. Ce même mois de septembre, devant le parlement européen à Bruxelles, le ministre des Finances polonais Jan Vincent-Rostowski s'alarme du "danger" qui pèse sur l'Europe. Reprenons in extenso ce morceau choisi paru dans L’Expansion.com du 14 septembre 2011 : « Si la zone euro se fissure, l'Union européenne ne sera pas capable de survivre, avec toutes les conséquences que l'on peut imaginer », a ajouté le ministre polonais. Il a ensuite raconté s'être récemment entretenu avec un ami banquier qui lui a fait part de sa crainte d'une « guerre au cours des dix prochaines années ». « Une guerre! Mesdames, messieurs ce sont les termes qu'il a employés », s'est exclamé M. Vincent-Rostowski, ajoutant que son interlocuteur s'était dit « inquiet » et avait « bien l'intention de demander la carte verte pour ses enfants pour les Etats-Unis ». Vous avez bien lu : il s’agit bien d’une confidence de banquier, parlant de la guerre en Europe, et qui, comme en 1914 ou 1939, exclut les Etats-Unis puisque notre banquier prépare ses enfants à s’y réfugier. N’est-ce pas bien étrange tout cela ? Et en face d’autant de signes non pas forcément coïncidents mais indiscutablement convergents, comment ne pas se laisser tenter par quelques théories du complot ?
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