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Enoh Meyomesse : rescapé in extrémis du Goulag mais après ?

« Quand la justice cherche un coupable, elle en trouve toujours un », écrit Marcel Aymé dans La Tête des autres. Cela est vrai de toute justice humaine, cela l’est encore plus d’une justice aux ordres, comme l’est indiscutablement celle de chez nous. Qui oserait sérieusement, à moins d’être une des « créatures » du président, discuter un tel lieu commun ? Ce n’est même pas la peine d’évoquer le fait juridique établi qui fait du Chef de l’Etat le président du conseil supérieur de la magistrature. Sous certains cieux, le pouvoir d’Etat se plaint de la trop grande puissance de la magistrature. Chez nous, le pouvoir n’a que des raisons de se féliciter du travail de nos magistrats, et comme il s’agit d’un pouvoir à la coloration démocratique plus que discutable, le parfait amour qu’il file avec la magistrature n’a pas de quoi rassurer le justiciable, surtout si celui-ci figure sur la liste des irréductibles de l’opposition politique. C’est dire si le sort d’Enoh Meyomesse, même si ce dernier a échappé à la machine aveugle de la justice clandestine, reste encore préoccupant.


Avant d’aller plus avant, disons que la mobilisation faite autour de ce dossier a porté ses premiers fruits. Désormais, Enoh Meyomesse n’est plus porté disparu : il est à présent arrêté et non plus enlevé, détenu dans un lieu connu par la justice officielle, laquelle est désormais officiellement responsable de son état de santé et de sa vie ; il peut recevoir des visites et parler aux médias. C’est une bonne leçon pour ces concitoyens qui ne croient pas, par égoïsme, à la puissance de la mobilisation collective. Les pouvoirs, dès lors qu’ils échappent à toute forme de contrôle, sont dangereux pour tout le monde parce que les pouvoirs sont fondamentalement égocentrés. Maintenant, la balle est dans le camp de la justice officielle. Celle-ci est sous la férule de M. Biya mais cela la dédouane-t-elle pour autant ?  


Que l’on songe au sort de ces hommes d’appareil que Ben Ali a abandonnés à la vindicte populaire quand il s’est senti cerné. Ils ont bien tenté d’exciper de leur statut d’exécutants mais sans le moindre succès, comme ce fut le cas pour les serviteurs du Führer à Nuremberg. Je ne suis pas de ceux qui pensent que Paul Biya seul doit être tenu responsable des exactions d’un régime qu’il contrôle de moins en moins en raison de son grand âge, de son bulletin de santé, de ses interminables séjours à l’étranger. Un jour, devant témoin, on vint annoncer à Sekou Touré qu’un de ses opposants, que l’on torturait au Célèbre camp Boiro, était décédé pendant cet aimable exercice. Sekou Touré baissa la tête un instant puis murmura, apparemment sincère : « Qu’est-ce qu’ils ne vont pas encore me faire porter ! ». Cela ne le rendait pas moins responsable de la tragédie qui venait ainsi de se dénouer, cela soulignait la coresponsabilité de ses hommes de main. Il faut le dire et insister là-dessus, M. Biya ne sera pas seul responsable des exactions qui démolissent jour après jour notre pays : il n’aura que la première responsabilité, et celle-ci n’occultera pas celles des autres. Elle n’occultera même pas celles des hommes de bien qui, par paresse, lâcheté, égoïsme et calcul auront détourné la face, se seront bouché les oreilles et fermé les yeux pendant que le noir crime se commettait. « Pour triompher, dit Edmund Burke, le mal n'a besoin que de l'inaction des de gens de bien ». Et dans le même sens, Albert Einstein affirmait que « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal mais par ceux qui regardent et laissent faire ». Mais revenons à notre sujet : le fait qu’Enoh Meyomesse soit enfin officiellement entre les mains de la justice, avec un chef d’accusation relevant à la fois du droit commun et du politique dédouane-t-il pour autant le pouvoir ?


Point du tout, et il y a plusieurs raisons à cela. Pourquoi a-t-il fallu que l’opinion internationale soit ameutée pour que la justice officielle prenne le relais dans ce cas de la justice clandestine ? Le pouvoir estime-t-il n’avoir aucune explication à donner sur les raisons et la durée de la détention au secret de M. Meyomesse pour un délit/crime mixte, à cheval entre le droit commun et le politique ? Est-ce la procédure légale de traitement des cas du genre qui a été ainsi appliquée ? Etait-il nécessaire, comme nous l’apprenons a posteriori, de l’arrêter en catimini à Yaoundé, de le trainer à Bertoua et de l’y garder dans le secret le plus total, pour ensuite l’en extraire sous la pression de l’opinion affublé d’un chef d’accusation approprié, pour lequel il faudra le ramener à Yaoundé pour le faire comparaître devant le tribunal militaire ? Une telle mise en scène, digne d’un polar à la Ian Flemming, à moins que ce ne soit d’un roman d’Arthur Koestler, est-elle de nature à crédibiliser les positions du pouvoir ? Est-elle de nature à rassurer sur l’intégrité de la procédure judiciaire ainsi tardivement mise en œuvre ? Et parlant justement d’Arthur Koestler, nous ne pouvons ne pas évoquer les procès de Moscou que Koestler a si bien campé dans un livre inoubliable, Le Zéro et l’infini.

Il n’est pas impossible que comme Roubachof, Meyomesse confronté à un totalitarisme tropical qui se déguise et se contraint de moins en moins sous l’effet du vertige de la toute-puissance se mette à table et confesse avec une contrition apparemment sincère des crimes qu’il n’aura commis que dans l’imagination de ceux qui manipulent une machine de moins en moins humaine. Cette affaire des pierres précieuses de l’Est du Cameroun nous aspire chaque jour un peu plus dans un orbe sinistre qui rappelle le Kivu congolais. Est-ce un Far-East camerounais en train de se faire ? Une zone de prédation protégée où seuls ont accès ceux qui peuvent montrer patte blanche ? En tout cas, en choisissant comme lieu de l’ultime mise en scène le tribunal militaire, le pouvoir prend ses précautions pour assurer ses arrières et se donne la possibilité d’invoquer à tout moment la raison d’Etat pour faire l’impasse sur la clarté nécessaire à un procès qui promet d’être surmédiatisé. C’est dire si le combat des défenseurs des droits de l’homme dans le dossier Meyomesse reste encore long et difficile.



27/12/2011
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