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Enseigner en contexte difficile : où trouver les ressorts nécessaires ?

Par Roger KAFFO FOKOU, auteur Misères de l’éducation en Afrique : le cas du Cameroun aujourd’hui, l’Harmattan, 2009


Ce thème comporte trois concepts clefs : enseigner, contexte et ressorts. L’enseignant a tellement de concurrents aujourd’hui (le parent de plus en plus instruit lui aussi, la rue, les médias…) qu’il tend à oublier qu’enseigner est d’abord un métier, et que comme tout métier, l’on apprend à l’exercer, dans des conditions bien définies. Enseigner, ce n’est donc pas donner une vague leçon en passant, sans objectif et sans se soucier des répercussions de cet enseignement occasionnel, furtif et souvent inconscient de soi-même. Comme disent tous les bons enseignants, enseigner, c’est éduquer. Dans un classique devenu un livre culte pour les éducateurs, Notre beau métier, F. Macaire et P. Raymond  disent avec insistance : « L’éducation est l’art d’élever les enfants. L’éducation tend à faire des hommes complets, instruits, consciencieux, utiles à la société. Elle vise à former des caractères trempés, des âmes fortes ». Dans quel but ou pourquoi faire ? C’est là qu’intervient le second concept : le contexte. Il n’y a pas d’éducation hors de tout contexte. La manière d’enseigner aussi bien que d’apprendre sont intimement liées au contexte, au cadre spatio-temporel, lequel peut être un adjuvent ou un opposant. Quant au ressort, il est la force de propulsion qui permet de se soulever pour repartir à nouveau lorsqu’un choc tente de nous aplatir pour nous priver de toute vitalité. Le ressort est l’énergie interne, le fameux « piston qui fait marcher la machine ». S’il est absent, il faut le trouver ; s’il est cassé, il faut le réparer. Sinon, c’est le statu quo et bientôt la régression. L’éducation traverse un contexte pour le moins difficile dans notre pays. Sous un angle stratégique, elle doit pourtant se faire plus forte que jamais. Où faut-il aller puiser l’énergie pour continuer à la faire avancer à la bonne cadence ? 


Ne nous attardons pas trop sur le contexte : chacun de nous le connaît par cœur. La crise socioéconomique avec l’aggravation de la pauvreté. La conséquence directe étant la difficulté pour de nombreux parents à habiller et nourrir convenablement les enfants qu’ils envoient à l’école, de leur acheter le petit matériel scolaire, les livres, de s’acquitter de leurs frais exigibles. Aussi les classes sont-elles à géométrie variable toute l’année. Il y a aussi la situation des établissements scolaires, avec leurs problèmes d’équipements et de budgets de fonctionnement que la crise entre autres facteurs a aggravés. Il y a au centre de tout cela la situation de l’enseignant qui est restée un sujet de mécontentement constant ces dernières années, et qui a suscité chez certains des envies mal contenues de tuer l’école, d’assassiner les élèves à eux confiés ! Pour tout résumer, notre école est dans le besoin depuis des années et voudrait bien connaître ses amis, ses véritables amis. « A friend in need is a friend indeed », disent avec raison les Anglo-Saxons.  C’est dire que, pour enseigner au sens plein du terme en contexte difficile, il faut être un ami véritable de l’école, de l’éducation. Pourquoi et qu’est-ce que cela implique ? La raison la plus importante qui nous vient à l’esprit tient au but central de l’éducation d’une part, à ses moyens d’autre part.


Eduquer, c’est former pour élever, et jamais déformer pour abaisser. C’est en cela que le vocable éducation est de loin préférable à celui d’enseignement : l’on peut enseigner le mal mais il n’est pas concevable d’éduquer au mal, et si la beauté forme les corps, la laideur ne peut que les déformer. Prenons un raisonnement simple : quand vous êtes dans l’abondance, vous ne comptez plus vos amis, « fairweather friends », comme disent les Anglo-Saxons. Mais dès que le malheur vous frappe, et si en plus il persiste et dure, votre entourage maigrit et finalement, s’il reste une personne, celui-là est indubitablement votre véritable ami. Comme l’enseignant véritable ne peut exercer qu’une influence positive, on ne peut continuer à être un véritable enseignant en temps difficile que si l’on nourrit pour l’école et les apprenants une profonde amitié, une amitié proche de l’amour. Hubert et Gouhier dans Manuel élémentaire de pédagogie générale (Delalain) sont formels : « L’amour de l’enfant, le goût qui porte spontanément vers les êtres les plus faibles, les plus ouverts à toutes les influences, les plus confiants dans la force et la bonté d’autrui, est la première condition pour faire un bon éducateur ». Mais comment s’assurer que cette amitié (cet amour) ne va pas elle-même (lui-même) sombrer dans les eaux tumultueuses de la nécessité ? Ne dit-on pas que la misère est l’ennemie de la vertu ?


Cela est vrai mais, en même temps, la misère est l’ami intime de l’ignorance. Et c’est par là que nous rejoignons les moyens de l’éducation. De quoi l’enseignant a-t-il le plus besoin pour être un bon éducateur ? Quelle est la seule chose qui, lui manquant, même si par ailleurs il avait réussi à obtenir tout le reste, suffirait à faire de lui un mauvais éducateur ? La réponse, indiscutablement, c’est la connaissance. La connaissance englobe tous les savoirs : savoirs tout court, savoir-être, savoir-faire… Il est une vérité qui nous vient de l’antiquité mais qui reste une vérité première : la seule véritable connaissance, c’est la connaissance de soi. « Connais-toi toi-même », dit Socrate. En contexte éducatif, cette exhortation est encore plus pertinente : l’enseignant n’enseigne véritablement que sa personne. Comment pourrait-il enseigner ce qu’il ne sait pas ? Donnons encore la parole à Macaire et Raymond : « L’enfant copie volontiers ce qu’il voit faire à son maître, qu’il prend pour un homme instruit, supérieur ». Et très souvent, l’enseignant médiocre cherche à faire passer ses faiblesses pour des qualités : « Je n’ai jamais eu 02/20 en maths », confient certains ; et d’ajouter aussitôt après : « D’ailleurs à quoi les maths servent-elles ? ». Comment quelqu’un qui a juré de partager la lumière peut-il faire l’éloge de l’obscurité ? Ce ne peut être que parce que la part d’obscurité , au sens d’ignorance, qu’il y a en nous à notre insu nous empêche de nous rendre compte de la contradiction que cela implique. Et là, l’enseignant se ment à lui-même, volontairement ou involontairement. Or l’amitié comme l’amour excluent le mensonge, surtout le mensonge gratuit ou intéressé, le mensonge égoïste.


En effet, être un bon ami de l’école en temps de crise, c’est ne pas la caresser forcément du côté du poil : c’est aussi lui dire ses quatre vérités. Quand elle va mal, il faut le lui dire amicalement mais fermement,  et pourquoi elle en est là si l’on en a une idée. Qui aime bien, châtie bien : tous ces hypocrites qui disent que l’école va bien quand elle va mal, ne sont pas des amis de l’école. S’il ne tenait qu’à eux, l’école continuerait à s’enfoncer dans ses difficultés. Et comment demeurer un bon enseignant si l’on ne sait pas ce qu’est une bonne école, si sachant que l’école a des problèmes on la déteste suffisamment pour s’en ficher, ou encore si l’on désespère de la voir s’améliorer au point de démissionner de la lutte pour contribuer à la redresser ? Pour être un bon enseignant en temps difficile, il faut non seulement croire en l’école et l’aimer mais être prêt à un certain nombre de sacrifices pour contribuer à son amélioration. /.



08/01/2012
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