Etats-Unis contre Corée du Nord : par-dessus le droit, la diplomatie du plus fort
Trump et les Etats-Unis vont-ils attaquer la Corée du Nord ? Personne ne saurait l’affirmer à l’avance. Tous seront probablement un matin mis devant le fait accompli, comme cela a été le cas en Syrie récemment, ou en Afghanistan avec l’explosion de la plus puissante bombe non nucléaire de notre époque. En inventant le traité de non prolifération de l’armement nucléaire, l’on partait du présupposé que certaines nations sont plus aptes à gérer les armements non conventionnels que d’autres. L’accession de Trump à la présidence des Etats-Unis remet profondément en question ce présupposé et donne raison à des Etats comme l’Iran et la Corée du Nord qui, eux, partent du principe que l’on n’est jamais mieux protégé que par soi-même. D’autre part, il devient clair que certains types d’armements n’ont pas besoin d’être nucléaires pour rentrer dans la catégorie des non conventionnels, compte tenu de l’ampleur des dégâts qu’ils sont susceptibles de provoquer. En tout cas, tous ceux qui se laissent aisément séduire par la rhétorique d’une diplomatie du droit devraient prendre le temps de bien méditer la réalité constante d’une diplomatie de la force à l’œuvre depuis toujours.
La pierre angulaire du droit international est, hier comme aujourd’hui, la loi du plus fort. Jean Racine, faisant revivre l’ambiance de la Rome impériale dans Britannicus, met dans la bouche d’Agrippine parlant de Néron des propos d’une rare profondeur humaine : « S’il cesse de me craindre, je devrai bientôt le craindre. » A une époque où les batailles hégémoniques avaient contraint les uns et les autres en Europe à forger une politique des alliances de sang pour tenter de survivre dans la jungle d’une diplomatie de guerre où tous les coups étaient permis, ces propos d’une mère au sujet de son propre fils rappelaient à toutes fins utiles que, dans le champ politique interne depuis toujours, même les liens de sang les plus étroits restent subordonnés à la logique de cette loi. Comment pourrait-il alors en être autrement au plan international ?
Aussi, les principaux instruments de gestion de la politique internationale portent-ils depuis toujours la marque de cette logique. Actes bilatéraux ou multilatéraux, ils sont généralement, selon que les signataires en situation de belligérance actuelle ou potentielle – c’est toujours plus ou moins le cas sauf à dire que le sujet concerné du droit international est totalement dénué d’intérêt, hypothèse fort peu réaliste - sont des égaux ou non, des traités de paix ou de non agression, des alliances ou des ententes, des traités de protectorat. Dans la longue période qui va de l’antiquité à la SDN, tous les outils de la diplomatie internationale rentrent dans l’une de ces catégories. Naturellement pour la beauté de la chose et dans le but de satisfaire l’opinion des profanes, l’on ne parle officiellement que des traités d’amitié et de fraternité entre peuples.
Faut-il en conclure qu’il n’y a aucune différence entre la diplomatie internationale ancienne (y compris antique) et moderne ? Ce serait manquer cruellement du sens de la nuance. La gouvernance mondiale actuelle gérée depuis le XIXe siècle par l’Occident se revendique, comme chacun le sait, de la modernité. Elle se veut avant tout libérale et porteuse des valeurs de démocratie et de droits de l’homme. Des valeurs issues du christianisme mais aussi de toute la philosophie qui aboutit aux Lumières, et que l’Occident ambitionne d’étendre à l’espace plus mondialisé que jamais jusqu’ici sous son contrôle. Afin de crédibiliser cette nouvelle approche, de nouveaux cadres ont été forgés, - la SDN, l’ONU, l’OMC… - et de nouveaux instruments inventés : déclarations, conventions, résolutions… Quelle différence cela fait-il concrètement ? Pas grand-chose dans le fond mais beaucoup dans la forme.
La SDN ou l’ONU ont engendré la communauté dite internationale, mais le Conseil de sécurité qui en est le fer de lance officiel a permis de préserver le droit du plus fort. La première, que matérialise l’Assemblée générale, incarne la conscience internationale et sauvegarde dans la forme les valeurs de la démocratie libérale (démocratie du plus riche pour faire plus clair) au plan international, le second porte la réalité de l’inégalité réelle entre Etats et préserve dans le fond les prérogatives qui sont toujours attachées au statut de puissance. Aussi, pendant que l’Assemblée générale multiplie déclarations et conventions que personne n’applique ou n’est obligé d’appliquer, les alliances, les ententes et les clauses de non-agression ou de protectorat – Eh oui ! le terme ne s’utilise plus mais la pratique est plus vivante que jamais comme le prouve la relation Etats-Unis-Israël ou Chine–Corée du Nord – qui lient les membres du Conseil de sécurité entre eux ou avec les autres membres de l’ONU déterminent l’adoption de résolutions ou non, qui le cas échéant s’appliquent selon que les parties concernées ont les moyens de se défendre ou non. Dans l’arène internationale, si l’on ne craint pas un Etat ou si l’on cesse d’en craindre un, il a tout à craindre, à moins de se mettre sous la protection d’un acteur qui est craint mais surtout, qui ne craint personne.Et ce second cas de figure a un coût qui peut être faramineux selon les circonstances. C’est la loi de la vie et elle est dure, mais c’est la loi.
Il n’existe de ce fait que deux positions confortables dans le champ politique international : celles soit de celui qui ne craint personne, soit qui dispose des moyens personnels ou contractuels de se faire craindre. C’est pourquoi ceux que l’on craint se battent pour empêcher ceux qui craignent d’accéder aux moyens de se faire craindre. Le traité de non prolifération de l’arme nucléaire ainsi que les résolutions et autres formes d’entente instituant des embargos sur les ventes de certaines armes visent de ce fait à limiter le cercle de ceux qui peuvent se faire craindre. Il est clair que si la Libye avait disposé de telles armes et des moyens techniques de s’en servir, la communauté « internationale » n’aurait pas pris le risque de s’embarquer dans l’opération contre le régime Kadhafi. Car, après tout, s’il s’était bien agi du sort des populations civiles en danger, pourquoi les Libyens auraient-ils eu la préférence de la communauté dite internationale alors que tout indique qu’ils ne souffraient pas plus que les Palestiniens, les Birmans, les Tibétains, les Nord-Coréens, les Camerounais et j’en passe ? C’est pourquoi Barack Obama, Nicolas Sarkozy, David Cameron ou Sylvio Berlusconi pouvaient bien verser de grosses larmes sur le sort des populations civiles ici et là et, sans en crainde le paradoxe, armer d’autres civils, les encadrer, les former, et leur ouvrir la voie à coups de missiles pour prendre le pouvoir seulement là où un dirigeant que l’on ne craint pas ou que l’on a cessé de craindre a été assez imprudent ou stupide pour montrer publiquement qu’il ne craint pas ou plus ceux dont le fonds de commerce est constitué de la crainte et non du respect qu’ils inspirent.
Dans cette conjoncture, l’une des plus grandes leçons nous vient du journalisme occidental si habituellement à cheval sur la déontologie professionnelle. Particulièrement clairvoyant et donc critique sur la gestion interne des hommes politiques occidentaux (cela aussi devient de moins en moins vrai et nourrit désormais toutes les formes de populismes), il se montre exemplairement aveugle et solidaire des exactions que ceux-ci commettent dans le reste du monde, inutile de citer les cas syrien et yéménite . Et quand ses équipes déploient l’invincible armada de ses plumes, micros et caméras sur un théâtre d’opération, c’est pour prendre la place qui lui est assignée au front dans une bataille qui engage non plus des corps de métiers mais des peuples contre d’autres peuples. Voilà une leçon magistrale que chaque pays devrait enseigner dans ses écoles de journalisme.
Roger KAFFO FOKOU
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