Financement de l’éducation au Cameroun : Une politique obstinée de la pénurie
Par Roger KAFFO FOKOU, auteur de Misères de l’éducation en Afrique : le cas du Cameroun aujourd’hui, l’Harmattan, 2009
Le 10 février 2010, s’adressant à la jeunesse camerounaise, le président Biya n’a pas raté l’opportunité à lui offerte de faire le bilan de sa contribution aux cinquante dernières années : « Au cours de ce demi-siècle d’exercice de notre souveraineté, a-t-il tenu à affirmer, beaucoup de choses ont changé, quoi qu’en pensent certains ». Comme il fallait s’y attendre, l’une des illustrations qu’il a choisies a été le secteur de l’éducation : « dans l’immédiat, a-t-il lancé aux jeunes, vous devrez tirer le meilleur parti de l’effort exceptionnel fait par la Nation pour perfectionner notre système scolaire et universitaire. Conformément au contrat moral que j’ai passé avec vous, des moyens importants ont été mobilisés pour améliorer l’offre et la qualité de la formation ». Il est vrai, à l’aube des « indépendances », le pays manquait de tout, et comme le Président semble se plaire à le faire remarquer, « nos villes n’étaient que de gros villages, nos routes des pistes poussiéreuses. La majorité de notre peuple n’avait pas accès à l’école et encore moins à l’université, puisqu’il n’y en avait pas ». 50 ans plus tard dont presque trois décennies passées sous le règne de M. Biya, peut-on dire que l’éducation au Cameroun a tourné la sombre page de l’époque coloniale ? Et lorsque M. Biya dit aux jeunes : « Retenez de ceci que les promesses qui vous ont été faites ont été tenues », jusqu’à quel point peut-on le lui accorder ? Observons « l’offre et la qualité de formation » au Cameroun ces dernières années, analysons « l’effort exceptionnel » dont parle le Président de la république, le tout à la lumière des objectifs fixés s’il en existe, et peut-être que la conclusion se dégagera d’elle-même.
1. Des objectifs publics d’éducation vagues et non contraignants
Dans la loi N° 98/004 du 14 avril 1998 d'orientation de l'éducation au Cameroun, il est dit à l’article 6 que « L'Etat assure à l'enfant le droit à l'éducation ». L’article 7 précise que l’Etat garantit à tous l’égalité de chances d’accès à l’éducation. 8 ans après les engagements de la conférence mondiale sur l’éducation tenue à Jomtien, la loi camerounaise d’orientation de l’éducation préférait donc s’en tenir aux promesses vagues et se référer aux formulations minimalistes des objectifs du millénaire pour le développement dont le deuxième parle d’assurer l'éducation primaire pour tous. 38 ans après les « indépendances » et 16 ans après l’accession de M. Biya à la magistrature suprême, était-il normal que notre pays n’eût pas alors mis sur pied un plan endogène de développement et en fût encore à aller tantôt à Jomtien ou à Dakar, tantôt à l’ONU importer des plans passe-partout pour guider son action ? N’y avait-il pas là l’indice d’une absence réelle de planification et par ricochet de volonté politique de prendre à bras-le-corps les défis de notre développement ? Examinons quelques indicateurs de l’époque, des indicateurs à la fois de quantité et de qualité. M. Paul Biya venait alors de franchir le cap d’une décennie et demie au pouvoir et les politiques qu’il avait mis en œuvre, le cas échéant, pouvaient déjà commencer à produire leurs effets. Et que voit-on ?
Et d’abord le taux brut de scolarisation et le taux d’achèvement. Ces deux indicateurs seront d’ailleurs formulés par les OMD ainsi qu’il suit : « tous les enfants en âge d’être scolarisés doivent avoir la possibilité d'accéder à un enseignement primaire gratuit de qualité et de le suivre jusqu'à son terme ». En 1999-2000, le taux brut de scolarisation (TBS) au Cameroun est de 79,8% à la SIL et seulement de 51,4% au CM2. Ces chiffres cachent cependant la réalité d’une grave sous-scolarisation globale comme le montrent les chiffres du « Rapport d’Etat du Système Educatif National Camerounais, Eléments de diagnostic pour la politique éducative dans le contexte de l’EPT et du DSRP », rapport réalisé par une équipe comprenant des experts nationaux, des experts de la Coopération Française et des experts de la Banque Mondiale, le 19 Décembre 2003 :
|
Pourcentage de scolarisation effective |
||
Année |
Préscolaire |
Primaire |
Secondaire |
2002 |
13,32% |
98,28% |
26,51% |
2003 |
16,57% |
100,15% |
29,62% |
Si au niveau du secondaire général, le TBS moyen est de 35,3% dans le 1er cycle et de 19,8% dans le Second, les profils d’éducation indiquent des taux d’achèvement de 27% dans les classes de 3è , de 19% dans les Form V , de 7% dans les Tles et de 10% dans les Upper sixth. Les taux de redoublement, qui varient de 56,01% à 59,84% dans le primaire, de 18,82% à 27,39% dans le secondaire 1er cycle, de 7,35% à 10,80% dans le 2nd cycle du secondaire permettent de calculer le coefficient d’efficacité du système qui évidemment ne peut qu’être négatif, compte tenu du taux particulièrement élevé de déperdition qui caractérise le système. Dix ans plus tard, en 2007, 2009 et en 2010, les choses se sont-elles améliorées ? Les taux d’échecs aux examens officiels, généralement au-dessus de 50%, traduisent toujours un coefficient d’efficacité anormalement faible du système.
session |
Pourcentage d’échecs aux examens |
||
2007 |
2009 |
2010 |
|
DECC |
59,9% |
56,29% |
56,09% |
OBC |
57,38% |
62,08% |
56,35% |
GCE Board |
57,57% |
42,74% |
40,45% |
Sources : Misères de l’éducation en Afrique : le cas du Cameroun aujourd’hui, Harmattan 2009,
et Rapport général des examens 2010 au MINESEC
Qu’est-ce qui peut justifier de si piètres performances ? L’effort fourni par les pouvoirs publics camerounais permet-il de dédouaner les détenteurs de ces derniers de la responsabilité de l’inefficacité du système éducatif ?
2. Le financement de l’éducation au Cameroun : absence de volonté ou manque d’ambition ?
N’en déplaise à M. Biya, non seulement les pouvoirs publics camerounais n’ont jamais promis rien de concret aux jeunes, mais ils n’ont jamais fait un effort de financement de l’éducation digne d’une véritable politique de grandes ambitions pour le Cameroun. L’on sait qu’il existe un lien direct entre les performances du système éducatif et la croissance économique à moyen et long terme des pays. Dans « Le financement de l’éducation – Investissements et rendements : analyse des indicateurs de l’éducation dans le monde », 2002, OCDE/UNESCO, nous lisons : « « En général, les résultats des pays IEM indiquent qu’une augmentation d’un an de la durée des études moyennes de la population adulte entraîne une augmentation de 3,7% du taux de croissance économique à long terme ». Au Cameroun, la brièveté de la durée moyenne des études (5,6 ans alors qu’elle est de 8,1 en Ouganda et de 9,6 au Zimbabwe) s’explique en partie par le manque d’attractivité de l’espace scolaire. La réalité de l’éducation camerounaise au niveau des commodités trahit une indigence incroyable, que révèle le tableau ci-dessous extrait de l’annuaire du MINEDUC 2003-2004 :
Commodités |
Electricité |
Toilettes |
Clôture |
Biblio |
Salles réunions |
infirmeriee |
Armoires pharmacie |
cantines |
nbre Ets |
14539 |
14539 |
14539 |
14539 |
14539 |
14539 |
14539 |
14539 |
Nbre Ets avec |
1448 |
6195 |
1810 |
2459 |
877 |
3936 |
3317 |
4134 |
Ets sans Commodités |
13090 |
8344 |
12729 |
12080 |
13662 |
10603 |
11222 |
10405 |
%tage |
90,03% |
57,39% |
87,55% |
83,08% |
93,96% |
72,92% |
77,18% |
71,56% |
L’on a ainsi 90,03% d’établissements sans électricité, 57,39% sans toilettes, 87,55% sans clôture, 83,08% sans bibliothèque, 93,96% sans salle de réunion, 72,92% sans infirmerie, 77,18% sans armoires à pharmacie donc sans le moindre comprimé en cas d’urgence, et 71,56% sans cantine scolaire. Quant à ceux qui disposent d’un embryon de bibliothèque, l’on n’y trouve en moyenne que 156 livres, alors que la moyenne pour une bibliothèque publique est de 10 à 12.000 livres. En outre, pour 2.906.732 élèves inscrits dans le primaire, il n’y a que 1.807.706 places assises. De façon détaillée, les 10 913 établissements scolaires primaires recensés au niveau national, fournissent 1 807 706 places assises pour 2 906 732 élèves, soit un déficit de 1 099 026 places assises, avec 27725 bancs à 5 places. Cette indigence en matière d’infrastructures et d’équipement se reflète parfaitement dans la politique budgétaire nationale.
En effet, contrairement à ce qui se passe dans les pays de niveau comparable, le financement public de l’éducation au Cameroun est très faible, comme le montre ce tableau ci-après (rapport 19 déc. 2003 sus-cité) :
Pays |
Ratio |
Cameroun (2001) |
2,4 (2,7) |
Côte-d’Ivoire Sénégal Togo Nigeria Kenya |
3,9 3,2 4,4 4,6 6,3 |
Pays IDA d’Afrique subsaharienne* |
3,4 |
*Pays ayant un PIB par tête inférieur à 885 US$
Toujours dans le même sens, les dépenses d’éducation en pourcentage du PIB, en 1999 en Tunisie sont de 6,8% , au Zimbabwe de 6,9% et de 9,6% au Lesotho. Ils sont même de 9,9% en Jamaïque. Le Cameroun apparaît ainsi comme le mauvais élève de sa classe. Pire encore, lorsque l’on analyse les performances de notre pays sur la durée, il apparaît que, loin de faire des efforts pour relever le niveau du financement accordé à l’éducation, il stagne et plonge. Au cours de l’année 2001, en comparaison du budget de l’Etat, ces dépenses sont en pourcentage des recettes de l’Etat de 15,6% et en pourcentage des dépenses de l’Etat de 17,3%. D’après le rapport de décembre 2003, Si on compare ces dépenses aux recettes de l‘Etat, « elles connaissent cependant une forte restriction puisque, si elles représentaient environ 22 % au début des années 90, elles sont aujourd’hui tout juste au niveau de 16 %. En proportion des dépenses de l’Etat, on observe entre 1990 et 2001 une légère amélioration sur la base des dépenses totales (de 15,2 % en 1990 à 17,4 % en 2001) et une quasi stabilité sur la base des dépenses courantes (de 18,8 % en 1990 et 19,1 % en 2001). Cette impression de stabilité globale de l‘effort du pays pour son système éducatif est d’une certaine façon corroborée par le fait que les dépenses publiques exprimées en pourcentage du PIB du pays sont passées d’un chiffre compris entre 3,3 et 3,4 sur les années 1990 à 1993 au chiffre de 3,2 % du PIB en 2001 ». Ainsi, nous apprend-on, en 2001, les dépenses courantes totales du secteur rapportées au nombre des enfants de la classe d’âge (6-15 ans) s’élevaient à 44 800 FCFA de 2002, alors que ce même indicateur valait 52 500 FCFA (de 2002) en 1989.
Devant une telle réalité, chacun peut tirer ses propres conclusions : le président Biya a-t-il de grandes ambitions pour le Cameroun ? Des ambitions qui alors excluent les jeunes ? Dans la perspective de 2035, comment entend-il hisser le Cameroun au rang de pays émergent quand l’éducation des jeunes tout au long de ces années 2000 a même été plus négligée que dans les années 90 ?
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