Fronde au sein de l’UNDP et boycott des régionales du 6 décembre 2020 au Cameroun: ne pas banaliser une fragmentation en voie de métastase
Par Roger Kaffo Fokou, https://demainlafrik.blog4ever.com/
Ce vendredi 18 septembre 2020, une des bases importantes de l’UNDP, la Fédération des sections de ce parti pour le Mayo-Rey, a officialisé sa décision de ne pas participer aux élections régionales du 06 décembre 2020. Cette décision est avant tout politique et elle n’est certes pas irrévocable. Le contexte même de sa prise et de sa publication invite néanmoins à une scrutation minutieuse. Les entrepreneurs politiques de tous bords gagneraient à ne pas la considérer comme un simple fait divers, un chantage sans lendemain, pour plusieurs raisons.
Le Mayo-Rey est, comme la Bénoué, le Faro ou le Mayo-Louti, l’un des quatre départements de la région du Nord. Cette sous-région est, comme l’on sait, dominée par le puissant Lamidat de Rey-Bouba qui y a toujours dicté sa loi. Depuis la colonisation française notamment (Bouba Jama’a, 1901-1945, troisième lamido de Rey, avait aidé la colonne Brisset lors de la campagne de 1914-1916 à chasser les Allemands de Garoua), le pouvoir des souverains de Rey sur la sous-région s’est considérablement conforté, statut qui a peu changé avec les gouvernements successifs de la République. Cette rente de situation si contraire aux intérêts profonds de la République a eu pour conséquences l’arriération entretenue du département : gels de projets de développement à potentiel libérateur (routes, écoles, infrastructures de télécommunication…), lutte contre l’immigration de peuplement en provenance du bassin démographique de l’Extrême-nord, etc. Avec l’ouverture du régime au multipartisme forcé au début des années 1990, le pouvoir de Yaoundé a toujours su y gagner ses élections, avec la bénédiction d’une autorité traditionnelle en mesure de tout y faire, y compris d’humilier les représentants de l’autorité de la République.
Le département du Mayo-Rey comprend lui-même 4 arrondissements et communes : Madingring, Rey-Bouba, Tcholliré et Touboro. Suite au décès du lamido Moustapha Abdoulaye, l’Admistration Territoriale, profitant de la désignation officielle de son successeur, y avait dans un acte pris le 04 juillet 2007, limité le territoire du lamidat au seul arrondissement de Rey-Bouba, en des termes clairs et sans équivoque :
« Article premier – Est homologué, à compter du 14 octobre 2006, la désignation faite selon la procédure règlementaire, de M. Aboubakary Abdoulaye, en qualité de chef de 1er degré de Rey-Bouba (71 873 habitants), arrondissement de Rey-Bouba, département du Mayo-Rey, province du Nord, en remplacement de M. Moustapha Abdoulaye décédé. »
Ce faisant, l’Administration – la République donc – venait de réduire considérablement le pouvoir d’un des dignitaires traditionnels les plus puissants du pays. Encore fallait-il en tirer toutes les conséquences de droit et de fait. Ce qui, jusqu’ici ne semble pas avoir été le cas, manifestement, comme le soulignent pour le reprocher à l’Etat les forces politiques de l’opposition de la sous-région tous arrondissements confondus, parlant aux noms des dignitaires traditionnels et, selon certains indices, soutenues par ceux-ci.
Aux dernières élections législatives et municipales, le parti au pouvoir y avait largement battu l’UNDP, parti ayant pourtant, sociologiquement parlant, une forte assise dans la région, ne lui laissant que Touboro sur les 4 arrondissements ou communes. Malgré cette razzia sur fond de multiples contestations, l’UNDP, parti de longue date allié du pouvoir, n’avait pas jugé utile de changer de positionnement politique. Cette décision inamicale de boycotter les élections régionales, prise non pas au sommet du parti mais par une de ses bases, revêt donc une importance certaine pour l’analyse de l’évolution des positionnements des acteurs politiques camerounais au fur et à mesure que se radicalise la confrontation au plan national pour le contrôle du pouvoir dans la perspective de l’après Paul Biya.
La « rébellion » des notables du Mayo-Rey, par le choix du moment de son expression, s’inscrit, volontairement ou involontairement, dans la mouvance du boycott des élections régionales lancé par le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) et alliés. Elle les inscrit donc dans le champ d’une contestation nationale même s’ils affirment expressément l’ancrage local de leur action. Le phénomène d’écho que constitue leur action ne dépend plus d’eux. Sur un autre plan, il est intéressant de noter que cette « rébellion » est manifestement une insoumission contre au moins trois ordres de pouvoirs : celui traditionnel du Lamido de Rey-Bouba, celui politique de la hiérarchie nationale de l’UNDP, et celui administratif du Chef de l’Etat. Dans une zone traditionnellement connue pour sa soumission aux pouvoirs de tous ordres, cet acte d’insoumission traduit sans doute un réveil et une entrée dans une ère nouvelle. Ceux qui ont l’habitude de parler des « moutons du Nord » devraient déjà commencer à réviser le vocabulaire qu’ils devront dorénavant user pour exprimer les réalités nouvelles de cette région du Cameroun.
Dans l’immédiat, cela peut-il entraîner de grandes conséquences ? Pourquoi pas ? Le grand Nord du pays est resté une ZEP de 1960 à nos jours. Les résultats des derniers examens certificatifs montrent ses 3 régions fidèles au fond du classement par ordre de mérite. Il n’y a rien de biologique à cela. Pour aller de Yaoundé à Ngaoundéré, il faut encore passer soit par l’Ouest, soit par l’Est du pays. C’est intenable, dans tous les sens de ce terme. Mais cela a jusqu’ici tenu, grâce au sommeil entretenu des grandes masses démographiques de ces régions. Il faut peut-être commencer à se faire à l’idée que cela pourrait de moins en moins être le cas dans les années à venir.
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