Grève annoncée des instituteurs contractuels : ils ne revendiquent que la justice
Par Roger KAFFO FOKOU, auteur de Misère de l’éducation en Afrique : le cas du Cameroun aujourd’hui, l’Harmattan, 2009
Pour la rentrée scolaire en cours, les Instituteurs « contractualisés », qui viennent de se constituer en syndicat, ont décidé de dire leur ras-le-bol en annonçant un mot d’ordre de grève sur la reprise du travail. Qui sont-ils ? Que représentent-ils aujourd’hui dans l’enseignement de base au Cameroun ? Et en quoi leurs revendications sont-elles légitimes ?
Les instituteurs contractuels sont des enseignants qui n’appartiennent à aucune catégorie légalement reconnue par les textes en vigueur dans le monde de l’enseignement public. En effet, le décret N° 2000/359 du 05 décembre 2000 portant statut particulier des fonctionnaires des corps de l’Education nationale supprimait de facto de l’enseignement public tous les agents relevant du régime du contrat et généralisait le statut de fonctionnaire. C’est pour cela qu’il est intitulé « Statut particulier des fonctionnaires des corps de l’éducation nationale ». Subséquemment à sa publication, aucun statut n’a été élaboré, adopté et publié pour les enseignants non fonctionnaires d’une part ; d’autre part, à l’époque de sa sortie, les enseignants alors sous contrat s’étaient vus ouverts des passerelles pour se faire intégrer, montrant par là que l’esprit de ce texte visait à la suppression pure et simple des non-fonctionnaires du paysage de l’enseignement public.
A la faveur des instructions des institutions de Bretton Woods, une brèche a été faite dans ce texte par l’introduction d’abord des enseignants vacataires, ensuite des contractualisés. A ces derniers, l’on applique jusqu’ici certaines dispositions du décret N° 2000/359 du 05 décembre 2000, notamment celles attribuant des primes, mais comme une faveur susceptible de leur être retiré à tout moment. En raison de leur statut de contractualisés, ils n’ont légalement droit ni à la même rémunération que leurs collègues ayant reçu la même formation et effectuant au quotidien les mêmes tâches, ni à la retraite à 60 ans. Il s’agit donc d’un sous-prolétariat de l’enseignement public que rien rationnellement et raisonnablement ne justifie si ce n’est la volonté de mettre en place une société à plusieurs vitesses hérissée d’injustices. On peut alors comprendre le sentiment profond de révolte qui habite ces jeunes enseignants, lesquels constituent aujourd’hui la majorité de la profession au niveau de l’éducation de base.
Il faut le dire, au fil des recrutements, d’année en année, et en raison du vieillissement puis du départ à la retraite de l’ancienne garde ayant évolué sous le statut de fonctionnaires, les enseignants « contractualisés » sont aujourd’hui largement majoritaires dans l’enseignement de base. Nous voici donc devant un cas de figure cocasse où un texte organisant les agents d’une profession ne s’y applique plus qu’à une minorité, laquelle se réduit comme peau de chagrin au fil des ans. Il y a là une véritable inversion de perspective puisque désormais c’est l’exception qui constitue la règle dans ce sous-secteur de l’éducation. Confronté à ce problème posé par les principaux syndicats d’enseignants et qui figure en bonne place dans le cahier de charges adopté par le comité ahdoc qui négocie au ministère du Travail et de la sécurité sociale depuis le 06 février 2012 de nouvelles conditions de travail et de vie pour la profession enseignante sinistrée, le ministre de la Fonction publique s’est réfugié derrière un formalisme juridique qui refuse d’affronter la réalité d’une discrimination réelle.
C’est un fait avéré, les enseignants contractuels d’aujourd’hui, à qui l’on propose de passer par un concours d’intégration, sont pratiquement confrontés à un défi logique. Autrefois, au secondaire, la catégorie des « 1500 » était soumise à un contract en attendant que des inspections viennent confirmer leurs aptitudes à enseigner et leur ouvrir la voie au statut de fonctionnaires. Ceux qui passaient par les Ecoles normales étaient automatiquement intégrés parce que cette aptitude-là était déjà vérifiée tout au long de leur formation professionnelle puis à la sortie de l’école. Aujourd’hui, les institeurs ont dû réussir un concours d’entrée dans une école normale, des examens de passage, des stages pratiques dans des écoles, un examen de sortie qui est national et qui s’intitule fort opportunément CAPIEMP (certificat d’Aptitude Professionnel des Instituteurs de l’Enseignement Maternel et Primaire). A quoi rime le concours d’intégration auquel on les soumet ensuite avant de les accepter pleinement dans leur profession ? Qu’y évalue-t-on à nouveau qui n’ait été jusque-là évalué ? On comprend que ces professionnels se rebiffent devant une procédure qui s’apparente davantage à une manœuvre destinée au pire à bloquer ou au mieux à hérisser leur carrière d’obstacles.
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