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INSTITUTIONS DE FIN DE REGNE : la décomposition se poursuit et s’accentue…

En 1982, personne n’avait vu la fin du régime Ahidjo venir. Sa chute ne fut donc pas fracassante. Elle se fit en douceur et ne produisit des convulsions que deux années plus tard. Mais quelles convulsions ! Parce que cette chute-là, elle aussi, avait été fondée sur un énorme mensonge, une vaste escroquerie. La liesse populaire consécutive à la sidération du premier jour (le soir de l’annonce de la démission d’Ahidjo, je sortis excité de chez moi pour fêter l’événement, et parcourus quatre kilomètres dans Yaoundé by night sans rencontrer âme qui vive !), assise sur un faux consensus, ne tarda pas à exploser à la figure de tous. On dut recourir aux grands moyens, ou plutôt aux pires moyens ! Et chacun, mimant les trois singes de la « sagesse » japonaise, se convainquit que tout avait été fait pour le mieux. Ainsi soit-il !

Cela aurait pu en effet être vrai, que tout avait été fait pour le mieux, comme dans le meilleur des mondes possibles. Sauf qu’entre des possibles, on avait choisi, non pas d’ouvrir le système, mais de le verrouiller, à multiples tours, autour d’une clique d’abord, puis d’un homme. La garde républicaine du jour au lendemain devint « garde présidentielle », symboliquement : la République venait de rétrécir drastiquement, pour prendre les dimensions du palais présidentiel ; les pratiques républicaines se muèrent en courtisaneries. Vertigineusement, la République était en train de basculer entre les bras largement ouverts des odalisques.

Les Camerounais comprirent six années plus tard qu’une profonde erreur avait été commise, et voulurent re-constituer le pays, à travers « une conférence nationale souveraine ». Le manque d’ambition des politiques de lors se contenta d’une tripartite, et la fuite en avant se poursuivit, s’accéléra, jusqu’aux bords du désastre actuel. Pour quelle fin ? Celle-ci, contrairement à celle de 1982, ne surprendra personne. Elle ne s’imposera à personne, sauf à ceux qui auront choisi de se croiser les bras. Elle sera le résultat d’un choix, individuel et collectif. Un choix pour un pas en avant dans le désastre, ou un pas en arrière pour la re-constitution. En attendant ce moment mythologique (où le Bien va affronter en duel le Mal, dans l’arène électorale comme dans un champ clos, dans une sorte de gigantomachie), la décomposition d’abord lente des institutions s’accélère…

  1. La débâcle des institutions électorales

Habilitées par les lois de la République à dire le droit électoral avant, pendant et après le processus, ELECAM (sa direction générale autant que son Conseil électoral) ont décidé de défier l’Etat de droit, et le font en toute impunité. Il s’agit d’une insurrection ouverte contre la légalité. Ils ne vont pas publier la liste nationale des électeurs, comme le leur enjoint la loi et quoi qu’on dise, c’est clair. Au départ, ils ont tenté de s’expliquer et n’ont pas convaincu. Du coup, ils se sont dit « tant pis » et se sont tus ; ils s’enferment désormais dans un silence buté. Arrogant ? Je ne crois pas. Ça l’était probablement au début, quand ils pensaient détenir toutes les bonnes cartes, notamment celles du monopole de la violence, de la violence illégitime. Ils n’en sont plus aussi sûrs. La météo n’est plus exactement la même.

Le Conseil constitutionnel, supposé être le recours du faible, de la veuve et de l’orphelin comme l’on dit, du citoyen lambda contre l’arbitraire éventuel d’ELECAM, comme le prescrit la loi, a refusé avec dédain d’examiner les recours citoyens. Du haut de sa morgue, il s’est déclaré incompétent ! Incompétent ? La loi qu’il lit n’est certainement pas celle que la République a votée et promulguée. Celle-ci n’a pas d’ambiguïté. La loi qu’il applique est non écrite et en opposition à la loi républicaine. La République paie donc, et grassement, des personnes qui s’opposent à Elle, et sapent ses fondements.

Voilà donc à quoi ressemblent les institutions gardiennes de la transparence et de l’intégrité des élections. Elles n’obéissent pas du tout aux lois de la République ; elles sont insurgées contre celles-ci. Il faut donc que le citoyen ne se fasse plus d’illusions : ces institutions-là, même si elles sont habillées, logées, payées, véhiculées par la République, sont clairement en dissidence. Pour l’instant, elles sont muettes, incompétentes. Quand elles parleront, il est peu probable que ce sera pour dire la loi, une loi contre laquelle elles sont indiscutablement insurgées. Le peuple ne doit pas l’oublier, ni aujourd’hui, ni demain.

  1. Le délitement des institutions administratives et gouvernementales

A l’image des institutions juridictionnelles et électorales, les institutions administratives et gouvernementales se délitent fortement. Commençons par cette administration qui normalement est appelée du noble nom de « service public ». Ces sous-préfets, préfets et gouverneurs dont l’uniforme cache de plus en plus l’uniforme du parti au pouvoir. En sept ans, ils se sont assurés que seul leur parti était visible sur le terrain. Pour eux, la loi sur les réunions et manifestions publiques n’est pas une liberté mais un canon anti-opposition. Dès que l’opposition bouge quelque part, ils arment et tirent, les yeux fermés ; tant pis pour les dégâts collatéraux.

Leur ministre, désormais célèbre pour ses sorties de route incontrôlées, a fini de convaincre les Camerounais que n’importe qui peut être membre du gouvernement de la République. Lui aussi déteste les lois et n’en applique que les dispositions restrictives des libertés. Les forces dites de maintien de l’ordre, sous les ordres de ses subordonnées, ne sont donc pas susceptibles d’appliquer la loi républicaine si elles obéissent à ces affidés. Dans l’affaire PCRN contre le sieur Kona, ce ministre a montré quel cas il faisait de la loi, lui qui parle du matin au soir du respect de la loi, qui affirme sans ciller que personne n’est au-dessus de la loi. En fait, comme dans le poème d’Homère, « personne » dans sa grammaire désigne des « gens de rien » dont il ne fait pas partie, des « non personnes » comme disaient les aristocrates d’autrefois, des gens sans particule de noblesse. Ici chez nous, cette particule, c’est le décret. Avez-vous vous aussi votre décret ? Non ? Aux yeux de ces gens-là, vous n’êtes « personne ». Les choses sont-elles différentes au-dessus de M. Atanga Nji ? Pas le moins du monde.

Avons-nous un Premier Ministre ? La question peut paraître impertinente. Surtout qu’on a aperçu M. Dion Ngute hier à Bamenda… Tout montre pourtant que non. Le Secrétaire Général du Premier Ministère a signé récemment un texte redéployant le Ministre de la Jeunesse et de l’Education civique. A qui répond donc ce ministre redéployé ? Pendant ce temps, le « Premier Ministre » est envoyé à Bamenda pour amadouer les Anglophones meurtris depuis 2017 par une guerre inutile et meurtrière. Il n’y risquait pas, en tant qu’Anglophone, de subir les avanies qui ont émaillé la visite du Secrétaire Général de la Présidence de la République dans l’extrême septentrion. Que faisait-il au juste à Bamenda ? Le ménage ? On dirait presque un rôle de plongeur ! Qu’est-ce que l’intéressé lui-même en pense véritablement ? On aimerait bien le savoir.

On a convoqué ses ministres au palais présidentiel sans en passer par lui. Il ne manquait plus que lui-même les y accompagne, pour y recevoir les instructions de quelqu’un qui, constitutionnellement, est membre du Gouvernement (fût-ce en qualité de ministre d’Etat), donc sous son autorité. Quelle ironie ! Et si le « Premier Ministre » est à ce point devenu une fiction plutôt qu’une fonction républicaine, qui peut croire que le Gouvernement lui-même est encore une réalité ? Remarquez que le nombre de postes qui y sont vacants depuis des lustres, pour une raison ou une autre, n’en gênent guère le fonctionnement. Est-ce que cela ne veut pas dire que même ce « fonctionnement » est une fiction ? D’ailleurs, le non remaniement même de cette « équipe » depuis aussi longtemps, malgré les scandales divers (celui de l’assassinat de Martinez Zogo entre autres), est en lui-même tout un discours. Dans le « Gouvernement » camerounais depuis un certain temps, les « ministres » se savent tranquilles, quoi qu’ils fassent : ils sont maîtres chacun à son bord.

  1. Une présidence des « hautes instructions »…

La présidence de la République, dans les systèmes auxquels ressemble le nôtre, est l’institution la plus sacrée. C’est pour cela que la circonscription électorale qui en choisit le titulaire, c’est la nation, l’ensemble du pays. Son titulaire prête serment de protéger la Constitution qui à son tour garantit, encadre et protège les lois par le mécanisme de la constitutionnalité. Le président de la République engage la signature de l’Etat à l’intérieur et à l’étranger, dans les grands contrats, les grandes conventions bilatérales et multilatérales.  

L’acte de signer engage le président de la République et engage l’Etat en vertu l’élection du premier. Cette signature n’est donc pas un acte anodin. le président de la République peut céder une portion du territoire national à une puissance étrangère. De nombreuses guerres ultérieures à ladite cession pourraient ne pas permettre de récupérer celle-ci. La Crimée fut donnée à l’Ukraine par Nikita Khrouchtchev, lui-même d’origine Ukrainienne et non russe. On voit le nombre de morts qu’il a fallu de part et d’autre pour le retour de ce territoire dans le giron de la Russie. Il en est de même de nos ressources naturelles, qui appartiennent également à nos enfants, aux enfants de nos enfants. Il ne s’agit donc pas, pour le Président de la République lorsqu’il est en fonction, d’inaugurer les chrysanthèmes, de présider le défilé du 20 Mai sur le boulevard de ce nom. Avons-nous toujours, à Etoudi, quelqu’un dont nous pouvons être sûrs qu’il accomplit ces tâches en toute lucidité ? Est-il encore « responsable » des actes de sa présidence, dont l’écrasante partie s’accomplit sur « hautes instructions » ?

J’aimerais que nous nous arrêtions un instant sur ce concept de « responsabilité », au regard de la doctrine du droit. Il faut le distinguer de celui de la culpabilité. Le trait d’union entre les deux, c’est l’imputabilité. La commission d’une infraction n’implique pas automatiquement la sanction ; il faut au préalable que la faute commise soit imputable à celui qui la commet. L’imputabilité suppose une conscience et une volonté libre (toutes choses exclues en cas de troubles psychiques, de vieillesse avancée (gâtisme) ou de contrainte (abus de faiblesse). Que se passerait-il si, sur haute instruction, on décidait de raser ce soir un coin de la République ? Simple hypothèse d’école. Le Président Paul Biya, mandant réel ou fictif, serait coupable, mais serait-il pénalement responsable ? Parce que pour de nombreuses raisons, il serait difficile de lui imputer la faute commise. Il n’y a donc pas aujourd’hui meilleure caution que M. Paul Biya pour qui veut faire de la République ce qu’il veut, à moindre risque. Sur quoi se base notre analyse ?

Premièrement, sur les faits. La présence inacceptablement rare du Chef de l’Etat. On le voit à peine. Et quand on l’aperçoit, furtivement à travers les brefs de PRC TV, les réalisateurs s’assurent de la distance suffisante pour brouiller les détails. Ce qu’on voit est soigneusement filtré pour que ne soit vu que ce que l’on veut bien faire voir. Est-ce qu’il est encore capable de descendre par lui-même d’un avion, d’une voiture ? Difficile de l’affirmer. Dans la célèbre vidéo qui le montrait perdu aux Nations Unis, il était évident que sa lucidité était devenue questionnable. Enfin, ses ministres affirment qu’il ne gouverne plus le pays, eux qui sont supposés travailler avec lui. Peut-il, en toute lucidité, avoir accepté que la Présidence de la République soit transformée en maison du RDPC comme cela s’est vu ces jours-ci ? On peut se permettre d’en douter. Cette désacralisation était une profanation du plus grand sanctuaire de la République, une forfaiture. Il en est coupable, c’est certain, en vertu des hautes instructions par lui données ; mais il n’en est certainement pas responsable, parce qu’il sera difficile, dans son état actuel, de lui imputer ces actes.

Comme on peut le voir, la République s’en va en lambeaux, sous nos yeux ; elle s’en va. Jusqu’où ? Chacun doit désormais se positionner par rapport à cette question cruciale. Les intérêts en jeu ne sont pas partisans, ni ethniques : ils sont vitaux et nationaux. Le personnel politique de tous bords est averti. Le peuple est épuisé. Epuisé de maladie, de vie chère, de famine, de misère. Epuisé de discours, de promesses, de démagogie. Mais lui-même, le peuple, doit s’engager, individuellement et collectivement, et pousser ses leaders à s’engager. Cela a bien été possible avec l’UNDP. Cela est donc possible avec tous les autres partis. Personne ne sera exonéré.

Roger KAFFO FOKOU, écrivain.

 



10/07/2025
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