JEUNESSE ET CHANGEMENT AU CAMEROUN : ce vrai-faux conflit de générations qu’il faut liquider
C’est aujourd’hui enfoncer des portes ouvertes que de dire que la classe politique dirigeante au Cameroun, en tout cas celle qui compte, est devenue au fil des ans un club fermé de gérontes. Cette classe politique est adossée à des « créatures » qui pour la plupart ne sont plus de la première fraîcheur, et qui sont plus souvent occupées à scruter leurs dossiers de santé qu’à potasser ceux de la République. On peut aisément imaginer qu’arrivés à ces âges-là, - le grand âge comme l’on dit non sans une certaine ironie, - la simple vue d’un jeune, en possession de tous ses moyens physiques et de toutes ses facultés intellectuelles, non pas véritablement dans la sphère du pouvoir mais simplement dans la proximité de celle-ci, peut constituer pour les membres de ce « gentlemen’s club des octos et des nonagénaires » faussement épanouis, une source de stress, une menace insupportable.
Les membres du « G11 » d’il y a quelques années – une éternité déjà ! - savent quelque chose des effets pervers de ce type d’antithèse dramatique. Ainsi ces gérontes, plénipotents en théorie (forme de compensation peut-être), s’ingénient-ils bon an mal an, malgré le dégarnissement inéluctable des rangs en leur sein, à maintenir aux postes clés du système, quitte à ressusciter des fossiles un temps oubliés ça et là, des femmes et des hommes dont l’âge ne leur rappelle pas de façon emphatique leur décrépitude crépusculaire. Au Cameroun, dans ces sphères gouvernantes, il est encore plus facile de mourir de jeunesse que de vieillesse (même si la mort hante plus souvent que de raison les espaces publics comme privés camerounais dans cet automne interminable du Renouveau), ce qui contribue jusqu’ici il va sans dire, à préserver relativement le club pour en assurer l’incroyable longévité. C’est là le secret le mieux gardé au Cameroun (le reste s’étalant impudiquement dans les réseaux sociaux à longueur de journée), celui de cette république des vieillards dont le Cameroun détient sans partage aujourd’hui le brevet international et en tire des royalties symboliques chaque fois que des hommes politiques d’ailleurs en mal de longévité aux affaires débarquent à Yaoundé pour en prendre de la graine.
Le Cameroun est pourtant ce que Alfred Sauvy appelait un pays « jeune », en d’autres termes un pays dont l’écrasante majorité de la population a moins de 35 ans. En fait, au-delà de 65 ans et si je ne dis de bêtises puisque je donne cette statistique de mémoire, il y a moins de 4% de la population camerounaise. La configuration gouvernante, au regard de cette statistique, est donc clairement un déni de démocratie, en principe tout au moins. Il est, hypothétiquement parlant, tout à fait possible que les jeunes aient refusé de prendre leur part – ce qui leur est dû – dans la gouvernance du pays, volontairement, de façon assumée. Dans cette hypothèse, ils voteraient à chaque scrutin, en conscience, pour reconduire au sommet de l’Etat leurs grands-pères et grands-mères, arrière-grands-pères et grands-mères, satisfaits du travail que ces ancêtres y font depuis des lustres, également satisfaits de l’encadrement que ce « travail gouvernant » leur procure à eux individuellement et collectivement, aussi bien qu’à leur pays, en termes d’infrastructures et d’équipements – d’où la mise au point fort à propos d’un certain ministre, relativement jeune, lui, et ceci n’est pas un détail, sur la qualité des plateaux techniques de nos hôpitaux ! – de formation des jeunes, de redistribution des richesses du pays. Le fait que cette gérontocratie aux appétits pécuniaires boulimiques soit depuis un certain temps ostensiblement et de façon décomplexée en proie à des dérives dynastiques ne semble manifestement pas émouvoir cette jeunesse. Hypothèse réaliste ou farfelue ? Existe-t-il des données factuelles qui établissent celle-ci ?
En regardant les débats télévisés du dimanche sur les plateaux de nos chaines de télévision, on peut aisément avaliser cette manière de voir, à défaut de s’en tenir à la liste de clubs de jeunes (les motos-taximen sont les récentes vedettes de ces clubs) que l’on dit avoir pris parti pour la candidature présidentielle du géronte républicain en poste. Ces jeunes qui sur les plateaux fort courus prennent avec véhémence position pour le statut quo démentent presque l’adage qui affirme que « Celui qui n'a pas été révolutionnaire à vingt ans est un malheureux mais celui qui l'est resté à quarante est un imbécile ! ». Je discutais un jour avec un de ces jeunes conservateurs radicaux qui écument le far-west des plateaux de télévision à longueur de dimanche, mettant toute la fougue de leur jeunesse et les ressources inégales de leurs neurones (quelques-uns sont brillants, la majorité l’est beaucoup moins) au service de la momification de l’espace politique, de la sacralisation du pouvoir des gérontes républicains (quel oxymore !). Il m’affirmait alors au sujet d’un autre de ses acolytes, dans un accès de lucidité admirable depuis lors défunt, que celui-là avait longtemps franchi le Rubicon et qu’il était vain d’attendre de lui un quelconque sens des limites. Je n’avais pas très bien compris ce qu’il entendait par « franchir le Rubicon » mais je pressentis qu’il n’allait pas m’en dire plus. Depuis, sur les plateaux de télévision, j’ai vu ce « jeune ami » aller chaque jour un peu plus loin lui aussi, dans un soutien de moins en moins réfléchi du statu quo, dans l’invective de tout ce qui fleure l’esprit critique… Peut-être a-t-il lui-même, entre temps, franchi le point de non-retour ?
A vrai dire, cette question du point de non-retour avec son relent de peine capitale me trottait par la tête ce dimanche en écoutant ce jeune journaliste, si théâtralement effronté dans ce qu’il entendait probablement faire prendre pour de l’audace, ce journaliste que je suis pourtant souvent avec plaisir sur « Royal FM », chaîne sur laquelle il est impossible de ne pas reconnaître son intelligence. Il serait donc une sorte de Janus bifront, intelligent sur les ondes de la radio, lamentable sur le plateau de Vision 4 où le plus rudimentaire des raisonnements, le bon sens ordinaire, serait au-dessus ou au-delà de ses capacités intellectuelles de circonstance. Ce sont là certaines des têtes d’affiche de notre jeunesse, ces « trophées » enlevés, peut-être même pas de haute lutte, par l’establishment à un prix, on imagine bien souvent dérisoire, pour briller et attirer les autres vers des voies surprenantes pour le moins. Je ne veux pas me donner la peine de me pencher sur les thèses que ce dernier soutenait en ce dimanche pascal si particulier pour les chrétiens, parce que je sais que lui-même ne pouvait y croire, comme me donne à le penser l’autre côté de sa personnalité que j’ai entrevue par ailleurs. Ces jeunes-là, que je ne veux pas nommer – tous ceux qui s’en donnent la peine les connaissent – donnent l’impression, à chaque instant, de s’acharner à se tirer des balles dans les pieds, avec une espèce de masochisme qui pousse à penser à Etienne de la Boétie. Peut-être parce qu’à l’instant T où ils le font, soit ils n’ont plus de pied, soit ils sont convaincus de n’en avoir plus. C’est aussi le cas de ces jeunes étudiants qui, pour 2500 FCFA, sont allés organiser l’anniversaire d’un géronte républicain, le Président de la République pour ne pas le nommer, et en ont profité pour officialiser leur soutien « indéfectible » à sa candidature.
La jeunesse au Cameroun serait donc la plus conservatrice du monde, partisane d’un statu quo permanent. Elle s’inscrit peu sur les listes électorales, et conséquemment vote peu. Elle ne se mobilise pas énormément pour les manifestations publiques, à moins que celles-ci ne soient autorisées, ou organisées et sponsorisées par la gérontocratie républicaine, encadrées par les sbires en treillis. Et du coup, les manifestations non autorisées, qui sont naturellement celles de l’opposition, peinent à impressionner numériquement. Les campus universitaires camerounais étonnent par un calme et un silence de cimetière passées les années 1990, un calme et un silence qu’on ne voit nulle part ailleurs dans ce type d’espace. Et cela ne se comprend jamais si bien que lorsqu’on découvre que sur nos campus, étudiants comme enseignants manquent rarement aux rendez-vous des motions de soutien au monarque républicain en fonction. Même les enseignants camerounais du secondaire et du primaire, qui n’ont pas arrêté d’organiser grève sur grève depuis des décennies, ne semblent pas prêts, malgré la jeunesse de l’écrasante majorité de leurs troupes, à contribuer ouvertement et ès-qualité à la lutte politique en vue d’imposer au pays des institutions incarnées par des gens pour qui la jeunesse n’est plus seulement une menace mais un atout.
Qu’a-t-on fait à cette jeunesse pour qu’elle en soit à ce stade-là en plein XXIe siècle, recroquevillée sur elle-même, ne bougeant la langue que pour défendre un statu quo mortifère pour elle-même ? Certainement rien de bon. Mais la question la plus importante reste : qu’est-ce que cette jeunesse est-elle en train de faire d’elle-même ? Comme se lamentait Verlaine, qu’est-elle en train de faire de sa jeunesse ? Qu’est-elle en train de faire de cette confiance en soi avec laquelle chacun nait et qui ne demande qu’à être extériorisée, entretenue, développée, pour permettre au génie qu’il y a au fond de chacun d’éclore, de grandir pour contribuer à transformer positivement l’espace autour de soi ? A quel moment a-t-elle perdu sa liberté d’homme, cette faculté sans laquelle né animal, l’Homme peut le demeurer toute son existence ? En prononçant ce mot de liberté, je ne puis m’empêcher de penser à cet admirable et intemporel poème éponyme d’Eluard. Cette jeunesse, qu’est-elle donc en train d’écrire « Sur ses cahiers d’écolier, Sur son pupitre et les arbres, Sur le sable, sur la poussière ? Quel nom a-t-elle écrit… Sur toutes les pages lues, Sur toutes les pages blanches, Pierre sang papier ou cendre ? Quel nom a-t-elle écrit… Sur les images dorées, Sur les armes des guerriers, Sur la couronne des rois ?... » N’est-ce donc pas le nom de la liberté ?
Roger Kaffo Fokou, écrivain.
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