Jihadisme, terrorisme, État Islamique : quand la mondialisation marchande joue au Dr Frankenstein…
Par Roger Kaffo fokou, auteur de Médias et civilisation, L’Harmattan, 2014
La mondialisation islamique, progressivement mise en œuvre à partir du VIIe siècle, avait produit à la fin du XIe siècle les croisades chrétiennes. La mondialisation marchande, violente, radicale, orgueilleuse, totalitaire, impitoyable et cynique a créé à son tour, en ce début du XXIe siècle, une réplique à sa mesure : le nouveau jihad, le terrorisme international, phénomènes d’écho à ambitions également mondialisatrices. Mais il faut une lecture médiatique pour bien comprendre le processus à l’œuvre ici et là.
« La mondialisation, peu importe comment on pourrait la définir, est un phénomène essentiellement médiatique. Rappelons qu’un médium est avant tout un intermédiaire de l’action, un prolongement volontaire ou involontaire de son émetteur. L’habit, disons-nous, est un prolongement de notre peau, comme la maison est un prolongement collectif de la peau de ses habitants. La cité médiévale avec ses murailles était la carapace – l’armure - de ses citoyens. Elle était en même temps un État.
Les premiers grands États de l’antiquité étaient d’abord des cités. L’Égypte ancienne commence par quelques cités isolées dans la vallée du Nil : c’est l’époque dite du Nagada I et du Nagada II. Puis ces cités se regroupent progressivement en deux royaumes, celui de Bouto, en Basse-Égypte, et celui de Hiéraconpolis, en Haute-Égypte. Menès vient réunir les deux royaumes pour former « le pays double » sur lequel il installe la dynastie thinite.
La civilisation de la Grèce antique naît aussi dans le cadre des cités et atteint son apogée dans l’empire d’Alexandre le Grand. Chaka, le grand chef des Zoulous, transforme un petit village en un vaste empire au début du XIXe siècle.
Ces mondialisations anciennes, de type impérialiste, sont le fait de peuples qui, sous l’impulsion de chefs de guerre puissants, projettent de prolonger l’espace territorial des cités ou villages qu’ils habitent pour en faire des empires, avec pour ambition d’y incorporer tout le monde alentour. C’est pour cela que ces empires peuvent être considérés comme des phénomènes types de mondialisation. Dans quelle mesure ces transformations ont-elles été tributaires des médias ?
Comme premier exemple, prenons un média simple comme le cheval, qui très vite est devenu complexe grâce à son équipement (au mors, à la selle, aux étriers, fers etc.) et à son prolongement à l’aide d’un char : «Dès le IIIe millénaire av. J.-C., le cavalier bénéficie de nombreuses inventions venues d'Asie centrale et de Chine. Le mors lui sert à guider le cheval et à faire varier ses allures. La selle et l'étrier, qui confèrent une meilleure assise et permettent au cavalier de charger, facilitent le combat à cheval. Les premiers fers à cheval fixés par des clous apparaissent à la fin du Ier millénaire après J.-C. à Byzance. Ils servent à protéger les sabots des chevaux. Ainsi équipé, le cheval donne un avantage déterminant à celui qui le monte sur le champ de bataille. Il n'est plus un moyen de transport occasionnel mais un instrument de conquête et de pouvoir »[1]. Domestiqué en réalité dès le VIe millénaire avant notre ère, il faut attendre le IIIe millénaire pour voir le cheval s’imposer, dans les grandes plaines asiatiques, comme un médium de conquête : « En Asie centrale, des tribus (qu’on nomme les Mongols, Indo-européens, Turcs) apprennent à maîtriser le cheval, le renne et le chameau. Elles découvrent aussi la roue, révolutionnant les conditions du transport et de la guerre, et se lancent à la conquête de plaines plus clémentes de Mésopotamie, d’Inde et de Chine »[2]. Les Hyksos, qui envahissent l’Égypte vers 1700 av. J.-C., s’appuient sur leurs chars de guerre; et les Égyptiens dominent le Moyen-Orient pendant plusieurs siècles grâce à leurs chars et à leur cavalerie. Les empires musulmans furent taillés et fortifiées à dos de cheval. Au sortir du Moyen Âge européen, l’irruption de l’artillerie dans l’art de la guerre fit progressivement passer la cavalerie au second plan. Mais la civilisation monde, sans doute reconnaissante envers le cheval, décide de le conserver parmi ses outils de conquête, même à l’état de symbole : c’est le cheval-vapeur, symbole de puissance qui nous rappelle, au cas où nous serions assez distraits pour ne pas nous en apercevoir, que le train, le bateau, l’avion ou la fusée ne sont que des prolongements du cheval, des chevaux d’acier.
Comme second exemple, prenons un médium complexe comme le mythe : « Pour mieux se défendre contre leurs voisins, dit Jacques Attali, les Grecs révolutionnent les bateaux, les armes, la poterie et la cosmogonie »[3]. La plupart des gens, souvent plus hypocritement que naïvement, aiment à absoudre les religions pour en condamner les serviteurs. Ils adoptent ainsi le comportement du général David Sarnoff que cite Mc Luhan. Il y a quelques années, nous dit ce dernier, à l’université Notre-Dame qui venait de lui décerner un titre honorifique, le général David Sarnoff tint les propos suivants : « Nous sommes trop portés à faire de nos instruments technologiques les boucs émissaires des fautes de ceux qui s’en servent. Les réalisations de la science moderne ne sont pas bonnes ou pernicieuses en soi : c’est l’usage que l’on en fait qui en détermine la valeur ». Les cosmogonies ne sont-elles bonnes ou mauvaises qu’en fonction de l’usage ? En tout état de cause, comme médias de conquête, les mythes ont depuis l’antiquité fait la preuve d’une efficacité redoutable. A dire vrai, l’on sait maintenant qu’on ne se sert pas des mythes pour faire des conquêtes, on ne peut les servir qu’en faisant des conquêtes.
Le futur Constantin Ier le Grand doit sa bonne fortune à la croix – autant dire au christianisme - sous la bannière de laquelle il livre la bataille victorieuse en 312 contre Maxence, son rival au trône. Et ce n’est pas lui qui choisit la croix. Selon la légende, c’est la croix qui le choisit : en rêve, le Christ se serait révélé à lui et lui aurait ordonné d’inscrire les deux premières lettres de son nom (XP en grec) sur les boucliers de ses troupes. Le lendemain, une croix lui serait apparue dans le soleil, portant l’inscription suivante : « Triomphe par ceci ». Constantin s’exécuta et pour lui la voie s’ouvrit vers la gloire.
Médias et civilisations, L’Harmattan, 2014, p.161-165
A partir du VIIe siècle, le concept de djihad, théorisé comme nécessité de propager sans discontinuer l’Islam sur toute terre non musulmane jusqu’à la conversion du monde entier fut le médium parfait de la mondialisation islamique. A la fin du XIe siècle, sa force de frappe inquiéta le haut commandement de l’Église chrétienne et suscita un médium opposé, la croisade. Du choc entre les deux naquirent des convulsions qui ensanglantèrent l’Europe méridionale, le Moyen-Orient et l’Afrique du nord sur près de deux cents ans.
La mondialisation actuelle, plus que tout autre, est fille des médias. Elle naît dans le cœur et l’esprit des marchands médiévaux et est théorisée par toute la pensée philosophique et économique au sortir de la Renaissance : philosophie des droits de l’homme, mercantilisme, libéralisme, utilitarisme etc. Elle est mise en œuvre grâce aux grandes inventions : la poudre à canon, le papier, l’imprimerie, la boussole, le gouvernail, la machine à vapeur, bref, toute la technologie mécanique qui domine jusqu’à la fin du XIXe siècle et permet à l’Europe de bâtir d’immenses empires couvrant toute la surface du globe. Dans sa forme actuelle, que le Fonds Monétaire International (FMI) définit à juste titre comme « l’interdépendance croissante de l’ensemble des pays du monde, provoquée par l’augmentation du volume et de la variété des transactions transfrontalières de biens et de services, ainsi que des flux internationaux de capitaux, en même temps que par la diffusion accélérée et généralisée de la technologie », la mondialisation est plus que jamais un phénomène médiatique. Elle résulte entre autres de la découverte de l’électricité et du perfectionnement des technologies de l’information et de la communication. Prolongement de la volonté de l’homme d’étendre sa domination sur la totalité de la planète pour en contrôler et confisquer les richesses, la mondialisation marchande est un médium extrêmement complexe : il est violent, radical, orgueilleux, totalitaire, impitoyable et cynique. Le djihad autrefois avait déclenché les croisades meurtrières, une réponse équivalente de même nature. Parce que l’effet d’un médium ne peut être que son image, c’est-à-dire sa représentation inversée. Cela est vrai de tous les médias et c’est vrai pour la mondialisation libérale dont l’image mondialisée, qu’elle peine à identifier comme sienne est, n’en déplaise aux hypocrites, le terrorisme en voie de mondialisation accélérée. De même que le capitalisme mondialisé n’hésite pas à se travestir en s’affublant des oripeaux du christianisme – revisiter les discours de George W. Bush Jr sur l’axe du mal et l’axe du bien ainsi que les relations adultères entre les églises chrétiennes et le capitalisme international - , de même le terrorisme en voie de mondialisation ne se gêne pas pour se déguiser du masque le plus grimaçant de l’Islam, celui de l’islamisme radical."
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