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Journée Mondiale des Enseignant(e)s 2019: l'enseignement est-il encore "le plus beau métier du monde"?

La profession enseignante a-t-elle encore, dans le monde mais surtout dans notre pays, un avenir aujourd’hui? Je veux dire, un avenir digne de ce nom? Le “plus beau métier du monde” l’est-il encore vraiment? On peut en douter. En 2016, l’OIT et l’UNESCO publiaient des statistiques révélant que le monde avait besoin de 24,4 millions d’enseignants supplémentaires pour assurer l’accès universel à l’enseignement primaire à l’horizon 2030, 44,4 millions pour l’enseignement secondaire. Ce déficit s’est certainement creusé à ce jour.   

Dans de nombreux pays en effet, malgré le chômage, il est de plus en plus difficile de recruter et de former en nombre suffisant des enseignants, et il est tout aussi difficile de garder longtemps en fonction ceux qui exercent. Les chiffres de démissions augmentent partout dans le monde, surtout chez les jeunes enseignants. Comme nous le savons tous, de nombreux enseignants, particulièrement chez nous, continuent d’exercer leur métier dans des conditions de vie et de travail précaires, inacceptables : contrats inadéquats, formations initiales et continues lacunaires, salaires peu en rapport avec le coût réel de la vie, absence de considération sociale, environnement de travail stressant. S’y ajoutent aujourd’hui d’autres calamités : les enseignant(e)s et leurs représentant(e)s sont de plus en plus victimes de discriminations, de menaces grossières, d’agressions violentes.

Dans les régions en conflit de notre pays, les enseignant(e)s comme leurs élèves sont, ces dernières années, les cibles privilégiées de certains belligérants. Abandonnés sans protection, ils y sont violentés, mutilés du pouce pour certains, de la main entière pour d’autres, ou purement et simplement tués, décapités, et la tête exposée pour l’exemple. Le 13 septembre 2019, le sous-préfet de Manjo a ouvertement menacé les enseignants de sa circonscription : « En exécution de la correspondance en date du 28 août 2019 de Monsieur le préfet du Moungo recommandant aux enseignants le respect de l’Etat et de ses institutions, j’ai l’honneur de vous faire connaître que, tout enseignant surpris en flagrant délit de dénigrement de l’Etat, et de ses institutions sera sévèrement puni conformément à la législation en vigueur. » A Sangmélima, dénoncé par un de ses élèves pour avoir parlé d’un leader de l’opposition, un enseignant a été mis aux arrêts. A Bafoussam, un sous-officier de l’armée a fait irruption dans une école et y a brutalisé sans distinction enseignantes et directrice. Le pire dans tout cela, c’est le silence de toute la hiérarchie de l’éducation devant toute cette souffrance, une hiérarchie par ailleurs prompte à accabler les enseignants de ses propres injonctions.

Ce triste tableau montre ce qu’est devenue, au Cameroun, la profession que découvrent les jeunes enseignant(e)s qui ont le courage ou sont contraints de rejoindre le corps aujourd’hui. Ils ont très peu envie d’y rester et multiplient les « décrochages professionnels » pour s’en aller ailleurs, vers l’étranger ou dans d’autres professions. Plus de la moitié des enseignants formés au Cameroun exercent aujourd’hui dans des ministères autres que ceux en charge de l’éducation nationale. Une autre fraction a réussi, au seuil de la carrière, à échapper à la salle de classe pour des fonctions administratives et leur exemple fait d’innombrables émules dans le corps. Comment ces jeunes, aujourd’hui majoritaires dans le corps, pourraient-ils dans ces conditions être l’avenir de la profession ?

Il est grand temps que les Etats et nos sociétés se reprennent. Si l’avenir de l’enseignement est compromis, ce n’est pas seulement l’ODD4 qui le sera à son tour : ce sont tous les ODD qui ne seront pas atteints. Tous nos beaux projets de multiculturalisme, de vivre-ensemble et d’émergence, de même, tomberont à l’eau. Tous ces jeunes qui, parfois malgré eux, ont accepté de prendre la blouse et la craie, donnons-leur envie de rester dans la profession, de s’engager pour celle-ci. Les aînés dans le métier, eux aussi, ont le devoir de prendre ces jeunes par la main, de leur montrer par l’exemple la Voie. Nos sociétés ne survivront pour retrouver une croissance durable qu’à ce prix.

Excellente Journée Mondiale des Enseignant(e)s à tou(te)s.

Roger KAFFO FOKOU

Secrétaire Général SNAES

 



29/09/2019
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