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La France, les Roms et la sensibilité humanitaire aujourd’hui

Par Roger KAFFO FOKOU, syndicaliste, poète et essayiste

 

Depuis quelques temps, la gauche au pouvoir en France se trouve confrontée au dossier des Roms et Gens du voyage, et prend des mesures. Elle n’ose pas encore les renvoyer en Roumanie ou en Bulgarie comme le fit Sarkozy en 2010 mais, mettant la charrue avant les bœufs, elle les expulse des immeubles, les évacue des terrains qu’ils squattent avant même qu’une solution de relogement n’ait été pensée pour ces gens dont nombreux sont des enfants, des tout petits comme des scolarisés. En les condamnant à une errance involontaire, le pouvoir français risque ainsi de les pousser à la faute, pour ensuite justifier l’anathème dont ils seront l’objet. Il y a là une finesse toute de gauche, qui permet d’atteindre les mêmes objectifs qu’une politique de droite, la brutalité en moins. De façon générale, à l’égard des étrangers en situation de fragilité, Roms, Maghrébins ou Négro-africains,  la politique de la France, qu’elle soit de gauche ou de droite, c’est blanc bonnet, bonnet blanc. Lisez ce texte écrit et publié dans La Voix de l’Enseignant spécial N°001 d’août-octobre 2010 et vous verrez à quel point il est d’actualité. Son titre original était « Sarkozy, les Roms et la sensibilité humanitaire aujourd’hui ».

 

« Ces derniers temps, la politique française à l’endroit des Roms et Gens du Voyage semble avoir franchi la ligne rouge, le fameux Rubicon. Coïncidences multiples, cela se passe, d’un : quand la droite est aux affaires ; de deux : sous la présidence du très contesté Nicolas Sarkozy, dans une France où l’anti-sarkozysme est devenu la plate-forme de ralliement de tous les intellectuels traditionnellement réputés de gauche ainsi que de tous les politiciens officiellement de gauche – Aubry, Royale, Fabius, Strauss-kahn grand prêtre de la cathédrale néolibérale FMI… - petit monde de personnes et personnalités qui ne sont jamais tant à gauche, progressistes donc, que lorsqu’ils sont de l’autre côté du pouvoir. Que l’on se souvienne de la France mitterrandienne des années 80 dont les analystes ont dit qu’elle avait été le pays le plus monétariste d’Europe !

 

Ainsi la politique, non pas française semble-t-on dire, mais sarkozyste, mise en musique par Eric Besson et Brice Hortefeux, défigure la France véritable, éternelle, patrie des droits de l’homme par ailleurs connue pour son sens de l’hospitalité. Mon Dieu ! Comme les clichés peuvent avoir la vie dure ! Mais un cliché est cependant une part de vérité. L’autre image de la France, celle qui apparaît convulsive et fait grimacer les bien-pensants peut, n’en déplaise, revêtir un cachet d’authenticité plus indiscutable aux yeux de ceux qui vivent la France du côté de l’empire. La politique sarkozyste à l’endroit des Roms et Gens du voyage n’est, il faut bien le dire, ni exclusivement sarkozyste, ni nouvelle ; elle n’est pas non plus exclusivement de droite. Il suffit de remonter par exemple au XVIIè siècle, sous Louis XIV, pour découvrir combien elle est ancienne. Il n’y a qu’à s’arrêter aux époques où la gauche était aux affaires pour s’apercevoir également combien elle est tout simplement française. Le fait que proportionnellement la politique française tous bords confondus à l’endroit des immigrés africains des territoires anciennement colonisés autant dire pillés par la France ne soulève  pas la même onde d’indignation ne manque pas de questionner le discours humaniste/humanitaire qui justifie l’anathème et l’opprobre que l’on jette sur une politique dite exclusivement sarkozyste, et que l’Europe reprend volontiers à son compte comme pour se dédouaner de sa longue histoire de persécution des Roms et autres peuples errants ou du voyage au rang desquels l’on ne saurait manquer de mentionner les juifs.

 

Les Roms arrivent en Europe, probablement d’Inde, approximativement au XVè siècle. A la même époque, leurs problèmes commencent sur ce continent. Des conflits éclatent entre eux et les gens des villes et des villages ; on les accuse de nombreux maux : maraude, vol de poules, de chevaux, et même d’enfants. Devant l’échec de toute tentative de les sédentariser, l’on recourt aux grands moyens : ils sont emprisonnés, mutilés, esclavagisés (au bénéfice des voïvodes, des monastères et des boyards en Europe centrale et de l’Est), envoyés aux galères ou aux colonies, et même exécutés.

 

En France au XVIIè siècle, Louis XIV décrète que tous les Bohémiens de sexe masculin doivent être arrêtés et envoyés aux galères sans procès. Par l’ordonnance du 11 juillet 1682, il confirme et demande qu’ils soient tous condamnés aux galères à perpétuité, leurs femmes rasées ( !) et leurs enfants enfermés dans des hospices. Délicates marques d’hospitalité, n’est-ce pas ? Au siècle dit des lumières, et en dépit du triomphe de l’esprit philosophique, les grands penseurs à l’exception notable de Jean-Jacques Rousseau n’éprouvent pas beaucoup d’indulgence pour les Roms et consorts. L’Encyclopédie généralise et stigmatise ces pauvres diables (Vous comprenez qu’ils n’étaient pas chrétiens n’est-ce pas ?) d’une manière curieusement peu charitable et ô combien peu philosophique : « Espèce de vagabonds déguisés, qui, quoiqu'ils portent ce nom, ne viennent cependant ni d'Égypte ni de Bohème ; qui se déguisent sous des habits grossiers, barbouillent leur visage et leur corps, et se font un certain jargon ; qui rôdent ça et là, et abusent le peuple sous prétexte de dire la bonne aventure et de guérir les maladies, font des dupes, volent et pillent dans les campagnes ».

 

La France moderne, si soucieuse de son image de marque, aimerait bien faire oublier un tel passé et elle a raison. On n’exorcise cependant pas aisément les vieux démons. Les choses seraient plus faciles si l’on pouvait se débarrasser de cette souillure sur le Front National et en faire un simple avatar d’un extrémisme que la généreuse France a jusqu’ici réussi à maintenir hors de la sphère du pouvoir. Les choses sont malheureusement différentes et lorsque l’on passe en revue les lois et les exactions à l’encontre des Roms et autres communautés en situation délicate de séjour en France, l’on enfile une galerie tapissée de portraits prestigieux de gauche comme de droite : Fabius (loi du 7 juillet 1984, loi « Dufoix » du 17 juillet 1984), Chirac (Lois " Pasqua " du 9 septembre 86), Rocard puis Cresson (Décret du 31 août 89 qui règlemente la délivrance du certificat d’hébergement qui n’est dès lors donné qu’à compte-gouttes), Balladur (les multiples lois Pasqua, l’institution des charters que Mme Cresson viendra remettre au goût du jour, l’ouverture des camps de rétention ou plutôt de concentration qui sait ?…), Jospin (le projet Chevènement et la loi Debré). De la gauche et de la droite, laquelle aura été plus inhumaine vis-à-vis des étrangers en situation précaire en France ? Il est difficile de trancher. De l’avis de l’association Jeunes contre le racisme en Europe, « La loi Debré marque un pas de plus dans la répression contre les immigrés, mettant en place un arsenal juridique qu'il ne sera désormais plus possible de contourner, donnant à l'état la possibilité d'expulser à sa guise et menaçant ceux qui voudraient héberger des immigrés ». Et nous sommes là sous le gouvernement socialiste de M. Lionel Jospin ! Si étonnant que cela ? N’est-ce pas M. Rocard, autre chef d’un gouvernement français de gauche qui affirmait en son temps : « Nous ne pouvons accueillir en France toute la misère du monde » ?

 

Ces temps derniers, il semblerait qu’un pas aurait été fait par-dessus la ligne rouge, par M. Nicolas Sarkozy. Depuis 2007, il a fait reconduire à la frontière entre 8000 et 9000 Roms roumains, (et encore, cela n’a représenté que 30% des objectifs fixés) malgré l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’Union Européenne le 1er janvier 2007. Et c’est sans doute là que le bât blesse. Mais l’histoire se répète souvent. Lorsqu’à partir de 1933 le pouvoir nazi ouvre en Allemagne les premiers camps de concentration pour les Juifs (aujourd’hui on préfère parler pudiquement de camps de rétention !), aucun autre gouvernement européen, ce au nom du principe de non ingérence,  ne lève la voix pour condamner. Comme l’écrit Ferdinand Kerssenbrock pour l’Allemagne, « Hormis quelques exceptions, le sort réservé aux millions de Juifs déportés n’a guère suscité d’indignation en Allemagne ni de la part des citoyens ni du clergé. Même le très courageux Mgr von Galen n’a pas dénoncé la persécution des Juifs[1] ». Les Juifs n’étaient-ils pas une communauté étrangère à l’Europe, comme les Roms ? En les excluant dès 1935 de la citoyenneté allemande, Hitler ne surprenait pas réellement. La position de M. Sarkozy, qui refuse de prendre en compte l’appartenance de la Roumanie et de la Bulgarie à l’UE pour le traitement du dossier des citoyens de ces pays que sont les Roms ne correspond-elle pas à un déni du droit de citoyenneté de ces gens ?

 

En effet, le sort qui est réservé depuis quelque temps en France aux Roms n’a rien d’exceptionnel ni de nouveau. Il est aussi révoltant aujourd’hui qu’il l’était hier lorsque ces Roms n’étaient pas encore citoyens de l’UE. Il est tout autant révoltant que celui réservé depuis longtemps aux immigrés africains que les charters Pasqua puis Cresson et autres rapatriaient en Afrique ligotés, bâillonnés, et quelquefois anesthésiés, jetés comme de vulgaires bagages certainement dans les soutes des avions cargo. L’épisode de l’église Saint-Bernard en 1996 avait suscité quelque émoi dans l’opinion française, de même que la marche toute récente des « sans-papiers » africains de France en 2010 (Un mois, 1100 km et 23 étapes entre Paris et Nice pour protester au sommet Afrique-France contre les accords de réadmission). Mais toutes proportions gardées, rien de comparable avec la grande levée de bouclier de toute la classe intellectuelle, politique et même religieuse française, européenne pour ne pas dire occidentale sur le sort des Roms. Sensibilité humaniste à plusieurs vitesses donc. Même le pape Benoît XVI a dû mêler sa sainte voix au concert d’indignation et de protestation, ce qui a eu le don d’obliger M. Sarkozy à aller… à Canossa ! En quoi « l’encampement » et l’expulsion, la « chartérisation » en un mot des immigrés africains hors de France serait-elle plus conforme aux droits de l’homme que le même traitement appliqué aux Roms ? Droit du sol ? De sang ? Quel péril représentent ces Africains pour l’hexagone ? Selon certaines statistiques, en 1990, sur 2,84 millions d’étrangers vivant en France, les Africains des anciennes colonies françaises n’étaient que 148.000 ! »



[1] Cf. « La possible contestation citoyenne », in La Shoah, Les Clés de l’actualité Hors série, janvier 2006, p.29  



27/08/2012
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