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L’antisarkozysme aujourd’hui et le déclin de la France

Par Roger KAFFO FOKOU, écrivain.

 

« Au secours, Sarkozy revient ! », ainsi pourrait-on résumer l’ensemble des réactions de la classe politique française, toutes orientations confondues, depuis que l’ancien président de ce pays a officialisé son retour en politique. Vent de panique donc. On dit de l’homme qu’il est une personnalité « clivante », c’est sans doute pour cette raison qu’en face de lui tous les clivages se sont estompés. Cette coalition hétéroclite, qui va de l’extrême gauche à l’extrême droite, est déjà pour le moins surprenante. Que s’y agrègent l’essentiel de ce qui compte dans le landernau médiatique et le monde de la culture en France en fait un phénomène qui cesse complètement d’être banal. M. Sarkozy, pourrait-on dire, est détesté en France presqu’autant qu’en Afrique, pour des raisons différentes et pour des raisons différemment fondées. A première vue, une telle affirmation serait vraie. Dans le fond, il faudrait plus que la nuancer. La position qui dans son pays – dans le champ de forces à la fois politique et médiatico-culturel français - est celle de cet homme, hier comme aujourd’hui, pourrait expliquer d’une certaine façon pourquoi la France est en déclin, de manière presque inexorable.

 

 

En Afrique, surtout en Afrique francophone, il faut le dire, M. Sarkozy a la cote basse, si basse qu’il faudrait plonger au fond d’un puits pour la trouver. Et cela n’est pas surprenant : ici, on ne lui pardonnera pas de sitôt son discours de Dakar, les opérations ivoirienne et libyenne, les tribulations de Gbagbo et l’assassinat de Kadhafi. Le discours de Dakar trahissait une vision impérialiste surannée, adossée sur une lecture anachronique du monde ; un monde qui n’était plus à la veille de la conférence de Berlin, un monde dans lequel la situation et la position de l’Afrique étaient en train d’évoluer, lentement peut-être mais sûrement. L’union pour la Méditerranée participait de ce projet, un projet porteur de l’idée d’une très grande France mais un projet trop grand pour la France d’aujourd’hui, comme on a bien dû le faire comprendre à M. Sarkozy[1]. L’appui ostensible par la France sarkozyenne des opérations ivoirienne et libyenne était supposé constituer pour M. Sarkozy le prix à payer pour se faire accepter[2] de ceux qui, à l’ombre des marchés mondialisés, tirent les ficelles de la politique mondiale. Ces derniers ont finalement considéré que tout cela n’était que de la menue monnaie, pour des raisons plus complexes que nous ne pouvons analyser dans cette tribune. Et tant pis pour M. Sarkozy qui, on peut le dire sans ambages, ne l’aura pas volé. Il n’avait alors pas réussi à abuser l’oligarchie qui régente dans l’ombre la gouvernance mondiale – le pourra-t-il cette fois-ci ?[3] - et dont la poursuite cohérente des intérêts seule explique l’incohérence des politiques dont les effets contradictoires peuvent se lire au Maghreb, en Syrie, en Irak comme en Ukraine. Il faudra bien que les uns et les autres finissent par se faire à l’idée que le seul véritable ami du marché, c’est le capital.

 

Les Africains ont-ils raison de tant détester M. Sarkozy ? Oui et non. Oui parce que ce dernier a fait tout ce qu’il fallait pour monter contre lui ces Africains. Mais ce n’est là qu’une façon de voir, et conséquemment, de parler. N’ayant pas été élu par les Africains, M. Sarkozy n’avait rien promis à ces derniers et n’avait pas pour mission de se mettre au service de leurs intérêts. La grandeur de la France s’est construite en très grande partie sur le dos de ses colonies – 13 millions de Km2 au début du XXe siècle -  puis de ses néocolonies, et Sarkozy, comme ses prédécesseurs et son successeur, avait été élu pour préserver cette grandeur, par les moyens les plus efficaces et les plus acceptables. De l’efficacité et de l’acceptabilité cependant, l’un l’emporte sur l’autre en fonction des circonstances. Mais la grandeur de la France s’est aussi construite ailleurs, sur une certaine vision de celle-ci, élaborée et partagée, puis mise en œuvre par tout ce que ce pays a eu comme grands hommes dans l’histoire. Plus que les matières premières, c’est cette vision-là, fortement partagée, bon gré mal gré, qui a bâti la France pour en faire la deuxième puissance mondiale du XIXe siècle. C’est l’érosion de celle-ci qui en fait la cinquième d’aujourd’hui, en attendant pire.

 

Quelle est la vision que chaque Africain se fait aujourd’hui, d’abord de son pays, ensuite de l’Afrique ? Celle d’un espace qui sera construit par les multinationales et grâce à la magnanimité extérieure ? Regardez ces sommets France-Afrique, Chine-Afrique, Japon-Afrique, et plus récemment – effet de mode oblige ? – USA-Afrique : ne dirait-on pas des sommets de l’OUA hébergés en France, en Chine, au Japon ou aux USA ? Cette Afrique émiettée par la conférence de Berlin qui persiste à traîner son émiettement, comme un clochard ses haillons, de continent en continent… Quel misérabilisme ! Et quand après les chefs d’Etat, qui eux ont le privilège d’y aller en jets, les laissés-pour-compte les y suivent par tous les moyens y compris à la nage, sommes-nous vraiment surpris ? Cette image déprimante, est-elle conforme à la vision que chacun de nous se fait de l’Afrique ? Si c’est le cas, alors cette vision-là, dans un monde plus darwinien que jamais, fait plus de mal à l’Afrique que l’exploitation des matières premières de ce continent, beaucoup plus de mal que tous les Sarkozy du monde réunis.

 

Mais revenons au sujet initial de cette tribune : l’antisarkozysme dans la France d’aujourd’hui. Est-il la chose la mieux partagée? Certains veulent le croire et surtout le faire croire parce que là est leur intérêt. Le partage n’est pourtant pas parfait même s’il a atteint, en 2012, un degré tel que M. Sarkozy  a pu être débarqué de son fauteuil élyséen. Il n’empêche que, indéniablement, M. Sarkozy jouit encore d’une confortable cote de popularité en France, sans quoi l’annonce de son retour en politique serait, dans le pays sus cité, un non événement. Paradoxe donc.

J’ai regardé avec intérêt le plateau de France 24 le dimanche 22 septembre, après la première prestation télévisée de l’ex-président français de retour en politique. Quelques faits saillants m’y ont frappé. Un déséquilibre extraordinaire de casting, indigne d’un média qui se présente habituellement comme une référence mondiale du genre : à quatre ou cinq contre un, la journaliste modératrice du « débat » - un débat qui semblait n’en être un que de nom - ne faisant aucun effort pour cacher son parti pris. Véritablement très professionnel, bravo ! La représentante du parti au pouvoir n’avait finalement pas besoin d’être sur ce plateau, c’est elle qui semblait être la moins apte à détricoter l’image que venait de s’évertuer à construire M. Sarkozy. Que reprochait-on sur ce dit plateau à ce dernier ?

Justement, une question d’image. On se souvient que c’est sur cet écueil-là qu’il a buté puis chuté à la dernière grande compétition. Quel est le diagnostic établi en la circonstance par nos fins analystes ? Sans appel : M ; Sarkozy n’a pas changé ! Ecoutez Marine le Pen, elle aussi, sur BFM TV et RMC le lundi 23 septembre : « Rien n'a changé, ni les idées, ni la manière dont il se présente, ni cette fausse ingénuité. » Les mêmes causes produisent les mêmes effets ? Tant mieux, M. Sarkozy sera donc à nouveau recalé. Voyons les choses autrement, inversons la perspective : l’antisarkozysme, lui, a-t-il changé d’un seul iota ? Il faut bien croire que non. Comme hier, il passe sous silence les questions de fond pour s’arc-bouter sur les questions de forme ; et pourtant, avec François Hollande, il se voit bien que les questions de forme, généralement mieux gérées par les hypocrites, ne l’emportent jamais sur celles de fond dans la réalité. M. Sarkozy veut jouer à l’homme providentiel ? Il se peut que ce soit vrai bien qu’encore un tout petit peu trop tôt, mais à l’allure où elle va, la France en aura forcément besoin un des jours prochains. Sera-ce alors Marine Le Pen ou quelqu’un de la même écurie ? Trêve de blagues !

 

La France d’aujourd’hui a surtout mal à ses élites, et c’est en cela que réside le secret de sa décadence. Si elle ne veut pas faire le deuil de ses rêves de grandeur, il lui faut trouver rapidement un nouveau Napoléon, ou un De Gaulle. Et lorsqu’on mesure l’espace-temps qui a séparé historiquement ces deux figures gigantesques du passé de la France, on peut se demander s’il lui sera donné d’en avoir un en cette époque de décadence, où la préférence est, en hexagone, aux personnages sans consistance ou alors consistants mais sans aspérité. Soit des faiblesses apparemment inoffensives, soit des forces conformistes et confortablement rassurantes, dans un monde qui ne rassure plus personne, pas même la toute puissante Amérique, réduite à s’accrocher désespérément à son statut de première puissance dont le tissu ne cesse de s’effilocher.

 

On reproche à M. Sarkozy de n’être jamais parti ? Voilà qui est très intéressant. Avec tous les radars braqués sur lui, comment était-il supposé disparaître des écrans ? En s’enterrant vivant comme tout homme traqué ? Le cas de l’ex-dictateur irakien Saddam Hussein me vient irrésistiblement à la mémoire. M. Sarkozy a été suivi dans sa vie privée, à travers ses conférences qui lui rapportaient, prenait-on soin de ne pas omettre de dire, des sommes folles – il eût été plus commode, pour cette France qui déteste officiellement les riches, qu’il se retrouvât à faire la manche, comme son illustre prédécesseur ; il a été suivi, presque traqué par la justice, d’affaire en affaire… On lui a dit et redit, chaque matin, que son silence sonnait faux, qu’on voyait bien qu’il remuait dans sa tête des idées qui pouvaient se lire sur son visage comme à livre ouvert ; qu’il n’avait pas cessé de rencontrer des gens et que cela ne pouvait que signifier qu’il tramait quelque chose de noir… On a tout fait pour le mettre en scène, ses pensées, ses paroles, ses actions et ses omissions, on sondé le peuple sur ses intentions, qu’il n’avait pas encore formulées, puis l’on a sondé le peuple sur le résultat du précédent sondage, et sur le résultat du second, et ainsi de suite…

 

Encore une fois, M. Sarkozy va s’engager, seul contre tous ceux qui ont une parole publique en France[4], pour le pouvoir. Mais c’est un homme de pouvoir et il y est habitué. Je pense qu’il ne se fait guère d’illusions. On ne l’aidera vraiment qu’à la dernière seconde, s’il s’avère alors qu’il a une chance de l’emporter. Il n’est pas sûr que cette chance-là, il puisse l’avoir. Parce que la France, malgré ses problèmes, est encore, semble-t-il, loin du 18 juin 1940 ou 2040. En attendant ce moment-là, que personne ne souhaite pour ce pays malgré ses crimes, c’est bien François Fillon qui a raison : puisqu’il ne s’agit pas de sauver la France mais plus banalement de gagner l’Elysée, n’importe qui peut battre et remplacer François Hollande[5] en 2017 et faire tout aussi bien l’affaire, ce qui pourrait bien signifier conduire la France avec diligence vers l’appel à l’homme providentiel. C’est de cela que sont faites, dans les grands comme les petits pays, les époques de décadence.



[1] Il faut se rappeler que la Méditerranée et sa bordure sud (partie des grandes mondialisations anciennes perse, grecque, romaine, islamique…), à côté de l’océan indien, est l’un des espaces à partir duquel a été longtemps organisée l’exploitation et le pillage de l’Afrique subsaharienne.

[2] Assez égoïstement, dans ces deux opérations, les intérêts de la France ne furent pas au premier plan de la gesticulation médiatico-politique du pouvoir Sarkozy, ce furent d’abord les intérêts d’un groupe politique en difficulté au plan de sa politique domestique, et qui avait besoin de détourner l’attention de son opinion publique sur l’extérieur pour pouvoir souffler d’une part, d’autre part d’un leader politique voulant donner les gages de son soutien à une gouvernance mondiale inique et cynique dont son propre pays faisait déjà aussi les frais.

[3] En Russie, il aurait quelques chances d’y parvenir. En France, celles-ci sont minces.

[4] Il y aura bien sûr ses fidèles lieutenants, souvent des jeunes qui ont encore du temps devant eux pour se préparer à de plus grandes ambitions. Tous ceux qui s’estiment prêts, quel que soit le camp, seront par principe contre lui. C’est peut-être la loi du genre.

[5] On dirait un véritable bal des François !



23/09/2014
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