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L’appel de Patrice Nganang à François Hollande : plus qu’une erreur, une faute intellectuelle

Par Roger KAFFO FOKOU, poète et essayiste.


Un bon écrivain n’est pas forcément un bon politique. L’inverse n’a pas vraiment besoin d’être énoncé ni démontré. Certains grands penseurs politiques ont cependant été de grands écrivains : Hugo, Montesquieu, Benjamin Constant…, pour s’en tenir à quelques exemples hexagonaux. Il faut peut-être croire qu’il y a peu de chance que Patrice Nganang entre un jour dans ce club fermé. Ecrivain de talent et indubitablement fertile, personnalité admirablement engagée et prête, comme tous les idéalistes, à porter sur ses épaules toutes les misères du monde, il s’est illustré ces derniers temps au premier rang de tous les combats contre l’injustice pour la transformation de son pays le Cameroun. A une époque où les engagements sincères sont rares, cette plume qui exprime admirablement les frustrations des laissés-pour-compte est exemplaire, à tous points de vue. « J’ai aussi écrit ce roman parce que j’ai souvent l’impression que les Camerounais sont tristes, car le pays est dans une période de stagnation historique », affirme-t-il à Jeune Afrique à propos de son dernier roman, Mont plaisant.  Partant de ses intentions, dont la noblesse est peu discutable, peut-on comprendre Patrice Nganang au point de valider sa démarche dans l’appel qu’il vient de lancer à François Hollande, le locataire nouvellement agréé de l’Elysée ?


Pourquoi nous interroger sur cet acte qui relève à première vue d’une décision individuelle et souveraine ? Monsieur Nganang Patrice peut écrire à qui il veut ce qu’il veut ? Eh bien, disons-le tout net : non. Un écrivain, surtout de talent, n’est pas n’importe qui et il n’est pas si facile de l’exonérer de sa responsabilité intellectuelle et sociale. Patrice Nganang est depuis longtemps devenu un patrimoine commun du Cameroun, de l’Afrique, de l’humanité. Sa voix ne lui appartient plus vraiment, dans le sens où il est écrit que « Ceux à qui il a été beaucoup donné, il leur sera beaucoup demandé ». Et que peut-on véritablement lui demander d’important ? Peut-être, dans une perspective romantique, que le phare qu’il est éclaire dans la bonne direction. Et mon modeste avis est que son appel à François Hollande est loin d’être une de ces torches qui illuminent le chemin à suivre. Cet appel en effet ne nous ramène-t-il pas deux siècles en arrière ?


Le 8 mars 1881, depuis la ville de Bell, King Bell lance cet appel pathétique au consul anglais Hewett : « Cher Monsieur, écrit-il, je suis fatigué de gouverner mon pays […]. Je vous demande pardon, faites tout ce que vous pourrez pour m’aider dans cette importante entreprise ». L’Anglais y répondit trop tard et trouva que sur le terrain les Allemands l’avaient précédé. L’histoire nous apprend que les souverains Duala ne mirent pas longtemps avant de regretter la précieuse aide de leurs « amis » étrangers.


L’appel de Patrice Nganang est-il différent de celui de King Bell de la fin du XIXè siècle ? Lisons-en un extrait : « Vous pouvez inscrire dans l’histoire des peuples qui se libèrent le sceau de vos actes, écrit-il à François Hollande, et écrire avec nous l’histoire inexorable de notre commun progrès vers la démocratie. Vous pouvez faire l’Histoire : aidez-nous à défaire les dictateurs francophones ! Vous pouvez faire du 6 mai une bonne nouvelle pour le peuple camerounais : aidez-nous à déposer Paul Biya ! Nous n’attendons rien de moins ».


François Hollande est-il le nouveau Hewett ou le nouveau Nachtigal qui viendra nous soulager du poids de la dictature que Paul Biya fait peser lourdement sur nous à la faveur de notre propre passivité et de nos absurdes divisions ? L’on peut sincèrement en douter, tant il est vrai que les mêmes causes produisent les mêmes effets.


L’Occident nous a imposé la traite négrière et nous en a débarrassé lui-même, magnanimement. Il en a été presque de même pour la colonisation directe. Cela lui était d’autant plus facile qu’il ne s’agissait dans chacun de ces cas que d’une simple opération de conversion. A chaque fois, c’est lui qui a gagné au change, et plusieurs fois plutôt qu’une. En fait, à tous les coups, nous avons donné à l’Occident l’occasion d’avoir le beurre et l’argent du beurre. N’est-il pas temps que cela cesse ?



21/05/2012
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