LARGES CONSULTATIONS AU PREMIER MINISTERE: qui y distribue de l’argent, à qui et pourquoi?
A peine lancées, les consultations organisées par le Premier Ministre Dion Ngute suscitent, au-delà de celles de fond, des questions de formes. Qui est concerné par cette opération ? Comment ce participant est-il sélectionné ? Et dans quelles conditions est-il reçu ? Arrêtons-nous pour l’instant à la troisième de ces questions, pas parce qu’elle est la plus importante, mais en ce qu’elle est la plus scandaleuse.
En effet, des jeunes dont la délégation chez Dion Ngute représentait le Conseil national de la jeunesse ont affirmé y avoir reçu une somme de 3 000 000 FCFA (Trois millions de francs CFA). A quel titre ? Parce qu’ils sont jeunes et sans ressources ? Difficile de répondre à la place des services du Premier Ministre. Ce dimanche 22 septembre 2019, un homme politique dont l’habitus manœuvrier ne se discute plus aurait affirmé sur le plateau d’une chaîne de télévision avoir lui aussi, au sortir de la consultation avec M. Dion Ngute, reçu de l’argent. Combien ? Pourquoi ? Encore une fois, difficile à dire.
Il est difficile de réfuter le fait que de l’argent, dans le cadre de ces consultations, circule au Premier Ministère, si d’eux-mêmes certains des participants à ces rencontres affirment, sans y être forcés, en avoir reçu. Mais de nombreux autres acteurs, politiques comme de la société civile, affirment eux n’avoir rien reçu lors de leur passage à la Primature. C’est le cas du MRC qui par la voix de son 3e vice-président, Me Emmanuel SIMH, invité d’Equinoxe télévision ce dimanche soir, a tenu à clarifier sa situation quant à cette actualité. Appelé, un responsable d’une confédération syndicale reçue dans la délégation des centrales syndicales affirme également qu’il n’a pas été question d’argent au cours de leur entrevue avec le PM et son équipe. La vingtaine des représentants des syndicats d’enseignants reçus le vendredi 20 septembre autour de 18h30 n’a pas non plus eu à décharger quelque argent que ce soit.
Les sujets qui sont supposés être abordés au cours de ces consultations sont si importants que quiconque y va, s’il ne pense pas d’abord à l’avenir du Cameroun, à tous ces gens qui meurent chaque jour, qui souffrent loin de chez eux en déplacement interne ou en exil, à tous ces enfants dont l’éducation est sacrifiée définitivement pour une très grande partie, quiconque y va et s'il pense avant tout à d’éventuelles enveloppes qu’il pourrait en ramener, ne mérite pas de figurer sur la liste des participants au Grand Dialogue National. Il reste que cette actualité sur la distribution d’enveloppes suscite de nombreuses questions.
Premièrement : s’agit-il d’une prime d’indigence ? Cela pourrait se justifier dans le cas de la délégation des jeunes. S’agit-il de frais de déplacement et d’hébergement? Ce serait alors difficile de justifier le caractère sélectif et discriminatoire de leur distribution. L’homme politique qui affirme avoir reçu de l’argent dans le cadre de cette consultation, on peut présumer qu’il a voulu jouer la transparence. Pourquoi n’est-il allé au bout du jeu pour annoncer lui aussi le montant de la somme par lui perçue ? Dans un contexte de suspicion où les Camerounais, désireux de voir ce dialogue mettre fin au calvaire qu’ils vivent, souhaitent majoritairement qu’il soit organisé dans les conditions de rigueur et d’intégrité maximales, ce pavé jeté dans la marre apparaît d’une naïveté surfaite.
En effet, comment imaginer qu’un homme politique connaissant son pays, ayant le pouls de la suspicion prévalant en ce moment autour de cette opération, ait pris sur lui d’annoncer que le Premier Ministre convoque des Camerounais en amont du Grand Dialogue National pour leur distribuer des enveloppes, sans en même temps prendre conscience qu’il est en train de présenter à l’opinion le schéma d’une possible corruption des acteurs dudit dialogue ? Se dessine alors l’hypothèse d’une volonté de saboter le dialogue en préparation par la technique bien connue du discrédit de ses acteurs. S’ils sont corrompus en amont, qui peut croire que ce qu’ils produiront en aval aura quelque chance de résoudre les problèmes des Camerounais ? Une fois ce schéma mis en place aux yeux et dans l’esprit de l’opinion, il ne resterait plus qu’à organiser un semblant de dialogue, d’où ne sortirait pas grand-chose. L’échec serait alors partagé entre le pouvoir en place, et le peuple à travers ses représentants corrompus. Et ces représentants, ce serait les partis politiques d’opposition, la société civile, les leaders religieux... : du pain béni pour le pouvoir qui pourrait même bénéficier de circonstances atténuantes.
Ce schéma est-il surréaliste ? Il suffit d’interroger aujourd’hui ceux qui affirment avoir reçu de l’argent, et à partir d’où ils le disent, et l’on sera sans doute édifié. Le Conseil national de la jeunesse, de qui est-il l’instrument ? Et cet homme politique qui avec une feinte naïveté raconte avoir reçu de l’argent : qui est-il ? Quels sont ses exploits les plus récents en politique et en faveur de qui ? Certains pensent que ce journal est un titre du sérail. Sur quels médias ces déclarations se sont-elles faites ? Un journal a même consacré toute sa Une à un seul titre: "Le dialogue de la cooruption". A qui donc profitera le crime qui est en train d’être ourdi ? A chacun de répondre.
Les Camerounais doivent garder la tête froide, et refuser de se laisser distraire. Ce dialogue national doit se tenir. S’il échoue, les responsabilités de cet échec ne devront pas être détournées. De même que, 58 ans après Foumban, les responsabilités de l’échec de la conférence de réunification de 1961 sont en train d’être établies, que 28 ans plus tard celles de l’échec de la tripartite de 1991 sont aussi en train de s’établir, il est illusoire de penser que l’on pourra dissimuler, à notre époque où tout se sait, les responsabilités de celles et ceux qui se risqueront à torpiller ce dialogue qui apparaît de plus en plus, au regard de la réalité du terrain, comme le dialogue de la dernière chance.
Roger Kaffo Fokou, SG/SNAES,
Chef délégation des syndicats d’enseignants aux consultations du Premier Ministre.
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