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Le panafricanisme : histoire, mythes et projets politiques

Par Philippe Ouedraogo, Secrétaire Général du PAI (Parti africain de l’indépendance). Il a été ministre de l’Equipement et des Communications lors de la première année de la Révolution au Burkina

 

 Introduction 

L’Afrique est le berceau de l’humanité, tant au point de vue biologique qu’au point de vue des civilisations. C’est un continent de 30 millions de km². C’est le deuxième continent après l’Asie (44 millions de km²). Ses dimensions lui donnent une grande variété de climats : tempéré, tropical, équatorien. Presque entièrement colonisée par les puissances impérialistes européennes au XIXème siècle, elle est aujourd’hui morcelée en plus de 50 Etats. Economiquement, c’est un continent qui dispose de richesses agricoles, minières, pétrolières et hydrauliques immenses. Ce continent possède les gisements les plus importants de minerais stratégiques (cobalt, uranium, manganèse, etc.) et de substances précieuses (or, argent, diamants). Sans être les plus grandes du monde, ses réserves en hydrocarbures sont très importantes.

Les Européens qui ont dominé le monde à partir du XVème siècle, et les Américains qui le dominent depuis peu, perçoivent souvent mais à tort l’Afrique, comme un continent qui est resté à l’écart des grandes aventures de la connaissance humaine, des grandes découvertes qui ont modelé par bonds les techniques de production, bref de l’histoire du monde et de la construction de grandes civilisations. Ce sont des préjugés, mais ils vont néanmoins servir de soubassement au racisme et justifieront à leurs yeux le pillage éhonté des richesses et des hommes du continent africain.

 

Car à partir du XVème siècle, pour assurer une main d’œuvre productive et abondante aux immenses exploitations agricoles (cotonnières et sucrières surtout) de ses colons dans les Amériques, et surtout en Amérique du Nord, les Européens vont organiser un immense trafic d’esclaves noirs prélevés principalement sur les côtes de l’Afrique de l’ouest et de l’Afrique centrale jusqu’en Angola. C’est ce qu’on appellera la traite négrière. Certains historiens estiment que cette traite a concerné, en comptant les morts à l’occasion des razzias, de 100 000 000 à 150 000 000 d’Africains dont une partie mourra dans les camps de regroupement et durant la traversée de l’Atlantique.

 I – LE PANAFRICANISME LA VISION PANAFRICAINE 

Tout au long des presque quatre siècles de l’esclavage en terre américaine, les Noirs se révoltent, organisent des insurrections. Certains s’enfuient dans les forêts ou les montagnes, créent des villages clandestins, ou se vengent. Au Brésil les esclaves révoltés créent la République de Palmarès, grande comme le tiers de la France, qui résista pendant plus d’un siècle, du milieu du XVIIème siècle au milieu du XVIIIème.

 

Cette épreuve historique , avec le sentiment profond de dépossession sociale, économique, politique et psychologique, d’oppression, de persécution et de bannissement, a créé et entretenu un élan émotionnel vers la recherche de l’unité et de la solidarité entre les membres de la diaspora africaine. Vers la fin du XVIIIème siècle, un mouvement politique va se développer à travers les Amériques, l’Europe et l’Afrique, avec le projet d’unir les mouvements disparates en un réseau de solidarité pour mettre fin à l’oppression. Il va conduire au panafricanisme.

 

Le panafricanisme est par essence un mouvement d’idées et d’émotions. C’est une vision sociale et politique, une philosophie et un mouvement qui cherchent à unifier les Africains d’Afrique et les membres de la diaspora africaine en une communauté africaine globale, et qui appelle à l’unité politique de l’Afrique. Pour les fondateurs du panafricanisme, il existe une personnalité africaine commune à tous les hommes, toutes les femmes de race noire. Cette personnalité noire recèle des valeurs spécifiques de sagesse, d’intelligence, de sensibilité. Les peuples noirs qui sont les peuples les plus anciens de la terre sont voués à l’unité et à un avenir commun de puissance et de gloire. Tout en appelant les Africains à prendre conscience de leurs réalités multiples qu’il ne faut pas chercher à estomper, le panafricanisme les appelle à ne pas se diluer ou s’abandonner, mais plutôt à s’affirmer. Le panafricanisme refuse toute idée d’assimilation, d’intégration dans le monde du dominateur blanc. Mais il vise aussi à amener les Africains à participer à l’élaboration de la « civilisation de l’universel », c’est-à-dire à être attentif aux grands courants qui se dessinent dans le monde pour en saisir toute la signification, afin de participer à la construction d’une civilisation humaniste, progressiste, ouverte à tous les apports vivifiants, dans un effort pour rassembler et ordonner les efforts de tous les Africains.

 

Le panafricanisme vise la coopération économique, intellectuelle et politique entre les pays africains. Il exige que les richesses du continent soient utilisées pour le développement de ses peuples. Il appelle à l’unification des marchés financiers et économiques et un nouveau paysage politique du continent.

 II - HISTOIRE DU PANAFRICANISME 

Le panafricanisme n’est pas né dans la patrie africaine, mais dans la diaspora. Il s’est développé à travers « un triangle compliqué d’influences atlantiques » entre l’Amérique, l’Europe et l’Afrique.

Le projet panafricaniste est historiquement le produit logique des conditions et des conséquences du commerce européen d’esclaves. Les esclaves africains de diverses origines et leurs descendants se sont trouvés placés dans un système d’exploitation où leur origine africaine était la marque de leur statut servile. Dans la nuit de l’esclavage, le peuple déporté, soumis à une oppression si totalement inhumaine, continuait à vivre, à créer, à épanouir sa culture en terre étrangère, à inventer le rêve du retour à l’Afrique. Le panafricanisme met l’accent sur leur expérience commune pour développer la solidarité et la résistance à l’exploitation, considérant que les différences culturelles ou d’origine sont secondaires.

 

Le Dr Williams E. DuBois, l’un des chantres de ce mouvement écrira en 1919 : « Le mouvement africain signifie pour nous ce que le mouvement sioniste doit obligatoirement signifier pour les juifs : la centralisation de l’effort racial et la reconnaissance d’une souche raciale

A Londres, le groupe des « Sons of Africa » s’était constitué vers 1776 en groupe politique pour exiger la fin de l’esclavage dans tout l’empire britannique et dans le monde, s’adressant aux hommes politiques anglais et au roi George III par des lettres et des pétitions.

 

Bien que comme mouvement, le panafricanisme soit ainsi apparu en 1776, il ne prendra son nom que plus de dix ans plus tard, en 1900. C’est en 1900 en effet, que Henry Sylvester Williams, un avocat noir originaire des Antilles anglaises, appela cette union de tous les Africains le panafricanisme. Henry Sylvester Williams concevait à l’origine le panafricanisme comme l’unité du continent africain, l’Afrique du Nord exclue.

 III - LES MYTHES FONDATEURS ET LES PROJETS POLITIQUES DU PANAFRICANISME 

L’esclavage et la colonisation se sont accompagnés de dépouillement, d’asservissement et de persécutions, de discrimination, de subordination et du sentiment d’infériorité. La résistance va traduire la soif naturelle d’indépendance, de liberté, de dignité, « du désir d’établir une identité commune entre tous ceux qui appartiennent à la race noire, de susciter un sens plus vif de leur solidarité et de leur sécurité ». Il va ainsi se créer une mystique de l’unité, de la parenté politique entre les communautés isolées et déracinées de la diaspora d’abord, entre elles et l’Afrique ensuite. Deux des principaux objectifs du panafricanisme sont le réexamen de l’histoire africaine dans une perspective africaine et comme par opposition à une perspective pro-européenne, et le retour aux conceptions traditionnelles africaines de la culture, de la société et des valeurs.

 

Le panafricanisme appelle aussi à un changement radical dans les structures coloniales de l’économie et la mise en œuvre d’une stratégie introspective de production et de développement. Il appelle à l’unification des marchés financiers, à l’intégration économique, une stratégie nouvelle pour l’accumulation initiale de capital et l’établissement d’une nouvelle carte politique de l’Afrique.

L’idéologie du mouvement panafricaniste est pour le moins assez confuse. Elle le doit en partie à la diversité des convictions idéologiques de ses différents fondateurs. Il faut dire cependant que certains des premiers leaders du panafricanisme ont été largement influencés par les idées socialistes et même révolutionnaires.

 

3.1-LES GRANDES FIGURES DU PANAFRICANISME

Les pères du panafricanisme furent d’abord anglo-saxons, en particulier américains ou originaires des Caraïbes : Claude McKay , Countee Cullen , Langston Hughes , Williams E. B. DuBois , Henry Sylvester Williams , Alexander Walthers (évêque méthodiste) , Marcus Garvey (1868-1963, originaire de la Jamaïque) , Nnamdi Azikiwé du Nigéria , George Padmore (membre du Komintern et de son Bureau nègre) et Francis Kofie Kwame Nkrumah.

 

3.2-LES CONGRES PANAFRICAINS

Déjà, en 1897, Henry Sylvester Williams, avocat issu des Indes occidentales, avait fondé l’Association africaine pour encourager, spécialement à travers les colonies britanniques, l’unité de toute l’Afrique. Sylvester Williams, qui avait des liens avec les dignitaires de l’Afrique de l’ouest, pensait que les Africains et ceux qui en descendaient et vivaient dans la diaspora, avaient besoin d’un forum pour traiter de leurs problèmes communs.

 

En 1900, Sylvester Williams organisa à Londres la première Conférence de son Association africaine, en collaboration avec plusieurs leaders noirs représentant divers pays de la diaspora africaine. Pour la première fois, le mot panafricanisme s’inscrivait dans le lexique des affaires internationales, et devenait un élément du vocabulaire ordinaire des intellectuels noirs. Cette première conférence réunit trente délégués, principalement issus d’Angleterre et des Indes occidentales, mais attira seulement un petit nombre d’Africains et d’Africains Américains. Parmi eux figurait le noir américain Williams E. B. DuBois, qui devait devenir le porte flambeau des Conférences et des Congrès panafricains comme on les appellera ensuite.

 

Les Congrès panafricains ont consisté en une série de cinq réunions tenues en 1919, 1921, 1923, 1927 et 1945. Leur objectif était de dresser les problèmes de l’Afrique liés à la colonisation européenne dans la majeure partie du continent et d’en discuter les solutions. Ils ont proposé une voie de décolonisation pacifique en Afrique et dans les Indes occidentales, et ont fait avancer de manière significative la cause panafricaine. L’une de leurs exigences était la fin du système colonial et de la discrimination raciale. Ils ont aussi exigé le respect des droits de l’homme et l’égalité des opportunités économiques. Le Manifeste du Congrès panafricain, qui contient les exigences politiques et économiques, plaidait pour un nouveau cadre de la coopération internationale.

 

1919 – LE PREMIER CONGRES PANAFRICAIN

Après la tenue en 1900 de la première conférence panafricaine, le premier des cinq Congrès panafricains se réunira en 1919. Il était organisé par le penseur et journaliste Africain Américain W.E.B. DuBois. Cinquante sept délégués y ont participé, représentant quinze pays. Sa tâche principale fut de rédiger une pétition destinée à la Conférence de paix de Versailles qui se tenait alors à Paris. Parmi ses exigences figurent :

  • a) Les alliés administrent les anciens territoires allemands en Afrique comme un condominium pour le compte des Africains qui y vivent ;
  • b) Les Africains devraient participer au gouvernement de ces pays « aussi rapidement que leur développement le permet », jusqu’à ce que, à un moment dans le futur, l’autonomie soit accordée à l’Afrique.

1921 – LE DEUXIEME CONGRES PANAFRICAIN

Ce Congrès se tint en plusieurs sessions à Londres, Paris et Bruxelles. Le révolutionnaire indien Shapuiji Saklaatvala y fut présent. Le journaliste ghanéen W.F. Hutchinson y prit la parole. Ce congrès fut considéré par quelques uns comme la plus radicale de toutes les rencontres. De la session de Londres résulta la « Déclaration au monde » qu’on appelle aussi le « Manifeste de Londres ».

 

« L’Angleterre, avec toute sa Pax Britannica, ses cours de justice, ses établissements de commerce, et une certaine apparente reconnaissance des lois et coutumes des indigènes, a néanmoins systématiquement entretenu l’ignorance parmi les indigènes, les a réduits en esclavage et continue de le faire, a habituellement renoncé même à essayer de former les hommes noirs et bruns dans un self-gouvernement véritable, à reconnaitre les hommes noirs civilisés comme des gens civilisés, ou d’accorder aux colonies de couleur leurs droits à un self-gouvernement qu’il accorde pourtant sans difficultés aux hommes blancs » Extrait du manifeste de Londres

 

La seule voix discordante fut celle de Blaise Diagne qui, quoique Africain, était effectivement un politicien français, représentant le Sénégal au Parlement français. Il trouvait la déclaration dangereusement extrémiste et abandonna bientôt l’idée du panafricanisme.

 

1923 – LE TROISIEME CONGRES PANAFRICAIN

Ce congrès se tint à Londres et à Lisbonne. Mal organisé, il ne connut pas une forte participation. Mais il répéta l’exigence d’une forme de self-gouvernement, définissant une relation entre l’Afrique et l’Europe, et mentionnant les problèmes de la diaspora de différentes façons :

  • a) Le développement de l’Afrique au bénéfice des Africains et pas seulement au profit des européens ;
  • b) L’autonomie et un gouvernement responsable pour les colonies britanniques d’Afrique de l’Ouest et les Indes occidentales ;
  • c) L’abolition de la prétention de la minorité blanche de dominer la majorité noire au Kenya, en Rhodésie et en Afrique du Sud ;
  • d) La suppression du lynchage et de la « mob law » aux Etats-Unis

1927 – LE QUATRIEME CONGRES PANAFRICAIN

Il fut tenu à New-York et adopta des résolutions similaires à celles du 3è congrès.

1945 – LE CINQUIEME CONGRES PANAFRICAIN


Le 5ème congrès panafricain se tint à Manchester dans le nord-ouest de l’Angleterre, en octobre 1945. Ce congrès est généralement considéré comme le plus important de tous. Organisé par le très influent panafricaniste George Padmore, originaire de Trinidad et le leader indépendantiste ghanéen Kwame Nkrumah, il avait obtenu la participation de plusieurs chercheurs et intellectuels noirs.

 

Ce 5ème congrès réunit 90 délégués, dont 26 étaient issus de toute l’Afrique. Il y’avait trente trois (33) délégués des Indes occidentales et les représentants de cinq différentes organisations britanniques, y compris l’Union des étudiants de l’Afrique de l’ouest (WASU). W.E. DuBois, l’homme qui avait organisé le premier congrès en 1919, était là aussi, à 77 ans, ainsi que la femme de Marcus Garvey et des politiciens activistes qui deviendront plus tard des leaders influents dans divers mouvements d’indépendance africaine et dans les mouvements de droits civiques américains, comme Jomo Kenyatta, le leader de l’indépendance du Kenya, Hastings Banda du Malawi, le militant et universitaire W.E.B. DuBois, Obafemi Awolowo et Jaja Wachuku du Nigéria, Kwame Nkrumah du Ghana et le radical Trinidadien George Padmore. Il annonça la création de la Fédération panafricaine qui sera dirigé à partir de 1946 par Nkrumah et Kenyatta.

 

Marcus Grant, membre sierra léonais de la Ligue ouest africaine de la jeunesse s’exprimait ainsi : « Nous ne voulons plus mourir de faim plus longtemps alors que nous travaillons dur pour le monde, pour soutenir, par notre pauvreté et notre ignorance, une fausse aristocratie et un impérialisme discrédités. Nous condamnons le monopole du capital et la règle de l’enrichissement et de l’industrie privée pour les seuls profits privés…. Nous allons porter plainte, lancer des appels et poursuivre devant la justice. Nous allons faire en sorte que le monde écoute les réalités de notre condition. Nous allons combattre de toutes les façons possibles pour la liberté, la démocratie et l’amélioration de notre condition sociale. »

 

C’est ce 5ème congrès panafricain qui fit avancer le panafricanisme et lui fit assumer la décolonisation politique de tout le continent africain. Malgré ses résultats, cette conférence fut peu mentionnée dans la presse britannique. Il y’eut beaucoup de résolutions adoptées, dont l’une appelait à faire de la discrimination raciale un délit criminel. La principale résolution s’en prenait à l’impérialisme et au capitalisme.

 IV - L’IMPACT DU PANAFRICANISME SUR LES MOUVEMENTS DE LIBERATION EN AFRIQUE 

Les exemples qui suivent montrent que, à la faveur des contextes internationaux qui ont été ceux de la période 1917 – 1945, les idées du panafricanisme, en raison des revendications portant sur la fin de la domination coloniale, la liberté de l’homme noir, l’égalité des races et des hommes, et enfin la solidarité et l’unité de tous les africains, ont rapidement eu des impacts importants auprès des masses noires.

 

La première guerre mondiale vit les puissances coloniales européennes faire appel à des soldats originaires de leurs colonies. Les Britanniques lèveront 25 000 hommes en Afrique de l’ouest, dont 12 500 du Nigéria et 10 000 de Gold coast. En Afrique de l’est, outre des combattants, ils recrutèrent 350 000 porteurs non armés. Au moment du bilan, en 1924, il y avait 46 618 morts et 40 645 disparus. Les Allemands vont quant à eux lever 11 000 soldats africains. La France elle, non contente de lever 6 000 millons de francs de l’époque en impôts, recruta 211 000 soldats noirs, 270 000 autres en Afrique du Nord et 40 000 autres à Madagascar. On estime à 205 000 morts les morts africains des troupes coloniales durant cette première guerre.

 

Cet enrôlement forcé des soldats africains dans la guerre amèneront les Africains à considérer qu’ils avaient eux aussi droit à la parole une fois la paix revenue. Leur participation à ces guerres, la fréquentation de représentants de mouvements panafricains, vont accélérer l’évolution idéologique du panafricanisme et le conduire à poser le problème de l’indépendance des peuples africains. Dans plusieurs colonies, ils vont s’organiser pour protester contre les injustices du colonialisme.

 

Assez rapidement, les contestataires africains passeront de la résistance passive aux grèves, notamment là ou s’était créé un prolétariat urbain (1935 dans les mines de cuivre de Rhodésie, 1939 à Mombassa). Ces manifestations conduiront plus tard aux mouvements syndicaux et à la naissance de partis politiques.

 

En 1935 survint l’attaque brutale de l’Ethiopie, qu’on appelait alors l’Abyssinie, par les armées de l’Italie fasciste dans l’indifférence complice des grandes puissances. Tous les Africains en Europe se sentirent concernés. La défaite de l’Ethiopie sonna comme un appel à l’unité du continent contre le colonialisme Les réalités de la de la IIème guerre mondiale, avec ses atrocités et ses misères, ont affaibli les pays colonisateurs. La Grande Bretagne avait cette fois engagé 169 000 « volontaires » d’Afrique occidentale. Ce que ces coloniaux vont voir de ces pays, de leurs peuples, de la guerre avilissante, a descendu l’homme blanc du piédestal qu’il s’était lui-même construit, et le mythe de l’homme blanc s’était effondré de lui-même.

 

A la fin de cette guerre, en 1945, les conditions historiques, politiques, économiques et culturelles paraissent réunies pour lancer le mouvement de revendication nationaliste à travers le monde. Le refus des injustices coloniales prendra la forme de révoltes (noyées dans le sang comme en 1945 à Sétif en Algérie ou en 1947 contre le MNRM à Madagascaret les grévistes de Lourenço Marques au Mozambique, en 1952 contre les Mau-Mau au Kenya, en 1954-1955 contre l’UPC du Cameroun), ou la forme de luttes de libération ou même la forme de mouvements pacifistes. Il ne s’arrêtera plus jusqu’à l’indépendance de ces peuples.

 V - LE PANAFRICANISME AUJOURD’HUI 

Incontestablement le Panafricanisme a connu ses heures héroïques et de gloire dans la dernière phase de la période coloniale de l’Afrique, et durant les luttes qui ont été organisées à partir des années 1960 contre la ségrégation raciale, aux Etats-Unis notamment. Durant toutes ces époques, le sentiment de fraternité et de solidarité entre les noirs de l’Afrique et de la diaspora a été très fort et exaltant.

 

C’est sous sa bannière que les jeunes africains qui se sont retrouvés en Europe comme étudiants ou comme travailleurs dans les années 1950 et 1960 ont constitué des fédérations d’étudiants (FEANF, WASU, Ligue africaine de la jeunesse, etc.) ou de travailleurs dans les pays européens où ils se retrouvaient, ou dans les villes africaines où fonctionnaient alors de rares universités (UGEAO ou AED à Dakar). C’est à son nom que la solidarité de tout le continent s’est manifestée après 1960 à l’endroit des peuples encore sous domination coloniale (britannique, portugaise ou espagnole) et contre la politique de l’apartheid (Afrique du Sud, Namibie).

 

Une partie des objectifs politiques du panafricanisme a été atteinte : tous les pays africains sont devenus indépendants (exceptés quelques ilôts), au moins formellement. Aux USA, grand pays du racisme, de la ségrégation raciale et des pratiques terroristes du KU KLUX KLAN, les pratiques racistes ont été mises officiellement hors la loi, même si elles n’ont pas totalement disparu dans la réalité.

 

Cependant, les objectifs d’unité et de solidarité de l’Afrique, de restauration de la personnalité de l’homme noir, et de la construction d’une économie florissante commune à toute l’Afrique sont loin d’être atteints. De même aux Etats-Unis l’égalité véritable des citoyens, les chances égales pour entrer dans la vie sont toujours à rechercher. Manifestement, le passé pèse encore d’un certain poids dans ces situations, car elles ont laissé des séquelles durables dans de nombreux esprits et dans toutes les situations sociales.

 

Certains penseurs africains ont considéré que la vision du panafricanisme et ses objectifs politiques péchaient par le fait qu’ils prônaient l’entente et l’harmonie entre tous les africains ou les descendants africains, où qu’ils soient. Or les Africains ne sont pas tous égaux devant la richesse, et ils se retrouveront à des positions différentes dans les modes de productions propres à chaque pays ou à chaque région. La vision panafricaniste semblerait donc nier la lutte de classes inévitable et la répartition inégale des richesses et des avantages dans les sociétés africaines.

 

A l’époque de la révolution burkinabé, sous le Conseil National de la Révolution (CNR) de Thomas Sankara (1983-1987), et dans l’esprit du panafricanisme, un Institut des peuples noirs (IPN) avait été créé en 1985. Il avait été conçu comme un institut de recherches sur l’histoire et la culture des peuples africains et des peuples noirs de la diaspora. Sa mise en place avait été précédée par la tenue d’une grande conférence internationale qui avait paru lancer le réveil d’un nouveau panafricanisme militant. Il devait rassembler des chercheurs noirs de tous les continents et bénéficier de soutiens de multiples origines. Mis en veilleuse après la chute du CNR et la disparition de son leader, cet institut existe encore, mais n’a plus qu’une vocation nationale et ne dispose pratiquement pas de ressources pour son fonctionnement. Il faut en outre rappeler que le CNR avait lancé de grandes manifestations de solidarité avec la lutte anti-apartheid de l’ANC en Afrique du Sud, et qu’il n’avait pas hésité à signifier à la France de Mitterand sa désapprobation, lorsque celle-ci a reçu très officiellement le Président d’Afrique du Sud, Pieter Botha à Paris.

 

« L’Afrique aux Africains », était un beau et noble slogan de lutte du panafricanisme. Cinquante à soixante ans après, l’absence persistante de démocratie, la misère généralisée dont sont victimes de nombreux africains sans couverture sociale minimale, la dépendance économique et culturelle de l’Afrique à l’égard de l’Europe et surtout de l’Amérique, la fascination exercée sur de nombreux jeunes Africains par l’Europe et les Etats-Unis, tout cela amène à dire que comprise au premier degré, ce slogan est loin d’être entièrement juste. Il eut fallu approfondir les conditions à remplir par ceux des Africains qui veulent exercer le pouvoir dans leurs pays. Et ces conditions doivent correspondre aux bonnes réponses à donner aux questions suivantes :

  • Quel est le but poursuivi et les objectifs intermédiaires visés dans la gestion du pouvoir ?
  • Suivants quels principes sera assurée la gouvernance du pays ?
  • Le pouvoir respectera-t-il la souveraineté du peuple et son droit à la libre expression ?
  • Quelles sont les qualités personnelles des hommes qui constitueront les équipes dirigeantes ?
  • Le principe de l’imputabilité sera-t-il respecté par tous, à commencer par le premier dirigeant ?




29/01/2013
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