Le Pr Mouangue Kobila et les incidents de Deido : une aussi grande légèreté de plume ne peut être que blâmable
La nuit du 30 au 31 décembre dernier et les jours suivants, le quartier Deido à Douala est entré en éruption, causant d’importants dégâts matériels et de multiples morts d’hommes, tous des Camerounais. Evénements regrettables, engrenage infernal mais schéma prévisible. Dans un article publié sur les réseaux sociaux, « Cameroun : la paix suspendue à un fil bien ténu », nous attirions déjà l’attention de l’opinion et de nos gouvernants sur le fait que notre pays tendait à devenir un baril de poudre à nos pieds. Il faut aujourd’hui insister sur le fait que la probabilité pour que la mèche de ce cocktail explosif soit allumée à Douala au cas où le compte à rebours n’est pas arrêté à temps est très grande : les émeutes de février 2008, les événements du jeudi 29 septembre 2011 sur le pont du Wouri, et les actuelles incidents meurtriers de Deido, tout semble désigner notre belle et cosmopolite cité portuaire comme le théâtre de lancement idéal. Encore une fois, relisons l’histoire : Douala, 24 septembre 1945 ; encore Douala, du 22 au 30 mai 1955.
En septembre 1945, des émeutes, parties de la misère, furent rapidement politisées et prirent tout aussi vite une tournure communautaire, sauf qu’à ce moment-là, les Camerounais faisaient tous ou presque partie de la tribu des exploités face aux Blancs. Voici comment décrit ces émeutes Richard Joseph, une voix que l’on conteste rarement : « D’une part les chômeurs, les travailleurs occasionnels mal payés et d’autres éléments du sous-prolétariat ; d’autre part, les forces de la réaction coloniale, c’est-à-dire les colons, mais aussi certains membres de l’armée et de la police et quelques administrateurs »[1]. Les émeutes du 22 au 30 mai 1955 commencèrent simultanément à Douala et à Mbanga. A Douala, le théâtre d’opération principal n’était pas Deido mais New-Bell. Ces émeutes, organisées par l’UPC, s’étendirent jusqu’à Nkongsamba, Edéa et Yaoundé et firent de nombreux morts et blessés.
Les émeutes de 1945 étaient incontestablement plus sociales que politiques mais elles furent politisées. Celles de 1955 furent davantage politiques mais sur fond de misère et de frustrations sociales. En dix ans, ce qui n’avait été au départ que social avait eu le temps de devenir politique, ce qui est le propre des engrenages. Parlant de ces deux émeutes, Richard Joseph affirme : « Ce qui compte le plus pour nous dans ces émeutes de 1945, c’est à quel point elles furent semblables à celles de 1955 »[2]. De même, ce qui nous paraît significatif dans les événements qui touchent Douala depuis 2008, c’est leur similitude profonde avec ceux des années 40-50 à Douala. 2008 était manifestement une explosion sociale due à la misère ; sept 2011 marque l’irruption de la politique avec, comme en 1955, une tentative d’extension vers le Moungo profond qui, cette fois aussi, fait long feu. Décembre 2011 montre que ce cycle peut se répéter encore et encore, jusqu’à ce que la mèche prenne. Le chef de la communauté Deido, sur Canal 2 international, pensait certainement à une telle perspective lorsqu’il déclarait que « Certains attendent toujours un second tour à l’élection présidentielle », montrant par là que pour lui, on ne pouvait pas déconnecter ce qui s’est passé à Deido du climat sociopolitique général qui règne au Cameroun. Par là même, il semble choisir son camp et en cela il est dans son droit le plus absolu même si l’on peut déplorer qu’il ramène ainsi le structurel à la conjoncture, et propose pour le coup un schéma simplificateur et même simpliste à un phénomène récurrent de nature potentiellement volcanique. En la circonstance, on ne peut que saluer la pertinence et la profondeur de l’analyse de l’écrivain Lionel Manga dont le texte, « Le spectre du Léviathan », publié sur les réseaux sociaux, devrait être largement partagé et médité. Lorsqu’il parle « des frustrations qui s’accumulent au fil du temps comme le magma dans un volcan », quand il dit que « le quotidien baigne dans une violence aveugle qui explose lorsque les circonstances s’y prêtent comme à Deido récemment », il prend une hauteur salutaire devant une situation qui pousse certains, pourtant perchés sur un Himalaya de parchemins qui en imposent généralement à l’humble camerounais, à effectuer une plongée étonnante vers les miasmes des profondeurs : c’est le cas du Pr Mouangue Kobila.
Ce monsieur nous a tiré les larmes des yeux en relatant l’histoire pathétique de ses déboires avec l’autre Professeur, M. Maurice Kamto. Malgré le respect que le Pr Kamto a par ses prouesses dans l’affaire Bakassi mérité auprès des Camerounais de tous les points cardinaux, la plaidoirie larmoyante de M. Kobila a su toucher le cœur de plus d’un et, nonobstant la présomption d’innocence, a commencé à faire apparaître le Pr Kamto sous le jour peu sympathique d’un tyran somme toute pas très différent de nombre de ses collègues qui martyrisent de pauvres étudiants sans défense sur la plupart de nos campus universitaires. Voici qu’à la faveur des événements de Deido, M. Mouangue Kobila, plus Professeur que jamais, secoue la peau de l’agneau et montre qu’en fait celle du loup lui va bien mieux. Ecoutez-le plutôt et admirez ces accents qui font penser irrésistiblement à un certain M. Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur gérant les émeutes des banlieues en France en 2005 : « C’est le lieu de rappeler aux uns et aux autres les termes de la Déclaration issue de la Conférence de Copenhague… ». Le schéma simplificateur qu’adopte en la circonstance le Pr Mouangue Kobila, au regard de son pédigrée, gêne particulièrement, parce qu’il tente de le crédibiliser par des approximations scientifiques qui devraient faire honte à la science et à tous ceux qui s’en réclament.
Quel est le type de régime politique qui convient au Pr Kobila, agrégé de droit? Lorsqu’il parle « des références absurdes à un modèle de République ou d'Etat-nation aujourd'hui désuet », le mépris dont il charge ces mots semble si profond que l’on en vient à se demander s’il est même un républicain. Existe-t-il un modèle de république, digne de porter ce nom, où les citoyens ne seraient pas des égaux ? Faut-il croire que la protection des minorités, indiscutablement nécessaire quand il est prouvé qu’elles sont menacés où que cela se produise et pas nécessairement dans « leur village », « dans leur terroir » ou « sur leurs terres ancestrales » parce qu’il existe des minorités en exil qui n’en sont pas pour autant moins des minorités défendables quand elles sont menacées, correspond-elle forcément à l’enfermement des individus dans un carcan tribal artificiel qui jure avec un brassage quotidien auquel aucune tribu n’échappe, brassage d’autant plus intense dans des cités cosmopolites comme Douala où le Nigérian ou le Chinois ne peuvent qu’être surpris de la volonté de certains à vouloir distinguer des gens qui sont si semblables à leurs yeux ? Semblables par la discrimination sociale qui les frappe pareillement autant que par une histoire et une géographie tribales autrefois dressées d’infranchissables fortifications heureusement de plus en plus poreuses si bien que pour beaucoup le fait tribal, loin de diviser tend de plus en plus à unir ? Le Pr Kobila se rend-il compte que les Camerounais qui se marient dans leur village seront bientôt minoritaires et que ceux qui se sont retrouvés à l’étranger estiment de plus en plus que se marier à un/e Congolais/e c’est choisir le village d’à côté ? Comme le disait justement Renan, l’un des premiers défenseurs de l’universalité que M. Kobila propose en référence, « La vérité est qu'il n'y a pas de race pure et que faire reposer la politique sur l'analyse ethnographique, c'est la faire porter sur une chimère ». En écho à Renan et sans doute insensible à la désuétude du modèle national, M. Barack Obama nous révèle : « Je pense en outre que le génie de l’Amérique a toujours résidé en partie dans sa capacité à intégrer de nouveaux venus, à forger une identité nationale à partir des groupes disparates débarquant sur nos côtes »[3]. La grande contradiction du professeur, c’est justement de vouloir défendre la théorie de l’universalité et de la diversité qu’avait si bien soutenu Ernest Renan à la Sorbonne en 1882, mais à l’aide des arguments de Fichte et de Herder qui ont inspiré en Allemagne les partisans de la Shoa fanatisés par Hitler. Quand il parle de « certains habitants de la ville de Douala animés par une volonté hégémonique », il reprend un discours qui fit fortune dans les années 90 lorsque M. Mono Djana encore dans ses beaux jours et espérant par là accéder à l’échelle de promotion de l’Etat clientélo-tribal prêchait « l’ethno-fascisme ». On sait ce qu’il s’est passé depuis l’époque. Ce saut dans le passé est forcément périlleux et il ne fera pas du Pr Mouangue Kobila, tout agrégé qu’il est, un homme du futur. Il est vrai que le passé a tellement l’air de devoir se succéder à lui-même dans notre pays qu’il semble à certains compatriotes, pressés de mettre en valeur des parchemins parfois laborieusement acquis, de plus en plus risqué de parier sur le futur.
Par Roger KAFFO FOKOU, essayiste et poète.
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