LE REGIME RDPC FACE AU COUP DU SEPTENTRION : étonnement et sidération pour une débâcle désormais envisageable
« Au bout de ces quarante années de grande hypocrisie, bourgeonnant de révoltes jusque-là larvées ou étouffées, les populations du septentrion qui ont faim, les populations du septentrion laminées de choléra, les populations du septentrion dynamitées de misère, échouées dans la boue de ces inondations à répétition, dans le sable de ce sahel de la soif où une goutte d’eau potable a le coût d’une vie humaine sinistrement échouées… » Ainsi pourrait-on, pastichant le célèbre poème d’Aimé Césaire, initier une peinture défardée du Grand Nord camerounais que découvre avec un curieux étonnement et une évidente sidération le pouvoir en place au Cameroun ou ce qu’il en reste, au lendemain des démissions aussi fracassantes qu’inattendues d’Issa Tchiroma Bakary et de Bello Bouba Maïgari.
Après de longues décennies de complicité avec un régime dont les frasques chaque jour mises à nue défient toujours un peu plus les imaginations les plus délirantes (la couche y ajoutée par la désormais célèbre dame Aoua Adja n’accentue que des traits déjà connus), ces deux personnalités si dissemblables (l’un visiblement de la race des seigneurs, l’autre tout aussi visiblement de celle des serviteurs) ont fini par se rendre à l’évidence : Paul Biya, le sorcier en chef d’hier (on se rappelle ce célèbre discours dans lequel il traite ses opposants d’apprentis-sorciers), n’est plus aujourd’hui qu’un « mauvais gris-gris », bon pour le rebus. Un diagnostic qu’a implicitement confirmé sur le plateau de « Vision 4 » ce dimanche le député RDPC de la Mifi, l’honorable Nkankeu, pour qui l’exploit que peut encore réaliser le chef de l’Etat camerounais aujourd’hui, c’est arriver à reconnaître ceux qu’il salue ! Pour rester dans le fil de notre propos, ces deux défections dans leur timing et modus operandi ont complètement pris au dépourvu le pouvoir, contraint ce dernier à bafouiller littéralement. Il peine d’ailleurs encore à trouver les mots appropriés pour en parler.
Sur le timing
Le timing de ces défections ne pouvait être plus inopportun pour le régime. Ce dernier en effet luttait, d’un côté pour contenir la vague MRC portée par la houle depuis le grand meeting de Maurice Kamto place de la République à Paris, de l’autre pour éteindre l’incendie allumée par Léon Theiller Onana, le turbulent conseiller municipal RDPC de Monatélé donc l’argumentaire a eu le mérite de mettre KO les plus éminents juristes du régime peu habitués à se voir ainsi réduits à quia par une espèce de péquenot que personne n’avait vu surgir, et désormais dressé comme un iceberg au milieu du détroit conduisant à la désignation du candidat du parti au pouvoir. Le pouvoir en place en était donc à peaufiner sa stratégie pour se débarrasser de la gênante candidature de Maurice Kamto et pour faire passer sans trop de grincements de dents celle du centenaire d’Etoudi. Dans un cas comme dans l’autre, tous faits et textes examinés, il apparaissait que les solutions ne pouvaient en aucun cas être juridiques. C’est ainsi qu’il faut comprendre les interventions intempestives et hystériques de Mathias Owona Guini sur le plateau d’Infos TV lorsque, empruntant les mots et le ton au défunt président Ahmadou Ahidjo s’adressant depuis le Comice de Bertoua (1981) aux étudiants de Ngoa-Ekellé en grève, le premier chef de l’Etat camerounais martelait que « L’ordre règnera à l’université, par tous les moyens ». Par tous les moyens ? Cela veut dire plus simplement au moyen de la force, de la violence, de la brutalité.
En effet, cette mise en garde énergique venant de quelqu’un qui, sans détenir le moindre des pouvoirs que son ton revendique, est en même temps un des grands penseurs du système aujourd’hui (un penseur qui par deux fois a démérité le salaire et les faveurs à lui accordés puisqu’il n’a ni vu les trous dans le filet juridique destiné à arraisonner la candidature de Maurice Kamto, ni les failles dans les textes de base du RDPC sur lesquelles Léon Theiller Onana s’est appuyé pour donner l’assaut à la forteresse décrépite des gérontocrates de ce parti) et un adepte des solutions les plus radicales, c’est-à-dire paradoxalement les moins pensées, avait pour fonction d’avertir les Camerounais de ce que le régime avait, en désespoir de droit, choisi le passage en force. L’assurance avec laquelle M. Owona Guini tançait ainsi le peuple camerounais, lui que personne n’a jamais élu nulle part, venait de ce que, analyse faite des forces en présence, le stratège du chaos qu’il ne se cache plus depuis longtemps d’être était arrivé à une double conclusion évidente : premièrement, que le cas Léon Theiller Onana n’est en rien susceptible de déboucher sur une mobilisation populaire, étant un contentieux interne au RDPC ; secondement, que le cas Maurice Kamto peut être circonscrit à l’ethnie bamiléké et assimilé avec succès à une dérive ethno-fascite, suprémaciste, pilotée par des entrepreneurs de la violence isolés et/ou isolables donc maîtrisables, comme l’ont démontré les récentes exactions des autorités de maintien de l’ordre à Douala à l’occasion du retour de Paris du président du MRC.
Sur le modus operandi
La démission d’Issa Tchiroma Bakary a été une grande surprise pour quasiment tout le monde. Les vitupérations de dame Aoua Adja en donnent un témoignage éloquent. Celle de Bello Bouba Maïgara s’annonçait depuis les élections locales de 2020, même s’il apparaît que personne n’y a cru jusqu’à la dernière minute. Il est d’ailleurs possible que M. Tchiroma Bakary n’ait pas voulu se laisser prendre de vitesse par le repositionnement en vue de M. Maïgari, et que de l’autre côté le saut de M. Tchiroma ait accentué sur M. Maïgari la pression de sa base, rendant celle-ci davantage déterminante. On sait aujourd’hui que les barons du pouvoir, défiant la peur du ridicule, ont fait des pieds et des mains pour maintenir M. Maïgari dans le camp du pouvoir, échouant au finish devant l’inéluctable.
Séparés sur la manière de quitter le navire en folie, M. Tchiroma et M. Maïgari se retrouvent quant aux raisons de ce repositionnement stratégique. Et c’est là que tout se corse. Ils dressent tous les deux un bilan identique, au vitriol, de la gouvernance du régime, qu’ils jugent l’un comme l’autre catastrophique. Ce bilan, émanant de partenaires de longue durée, qui est donc d’une certaine façon un bilan interne, va être difficile à réfuter par le régime, donc à discréditer auprès des populations. M. Tchiroma et M. Maïgari se désolidarisent de « l’imposture », de la grande forfaiture en cours au sommet de l’Etat, où un petit groupe d’individus se sert de postiches pour faire croire que M. Paul Biya, visiblement hors-jeu depuis pas mal de temps (on se souvient de la scène effrayante de New-York où le monde entier médusé observait le chef de l’Etat camerounais demandant, égaré, s’il y avait des gens importants dans la salle), préside toujours aux destinées du pays. « Ce n’est plus Paul Biya qui gouverne », affirme Issa Tchiroma, catégorique. Et du coup, leur acte, quoi qu’on puisse en dire par ailleurs, fait d’eux des lanceurs d’alerte autrement plus crédibles que tous ceux qui l’ont dit avant eux.
Cependant, on peut toujours dire (on se le dit certainement au RDPC et dans les apartés du palais d’Etoudi ou de Mvomeka), une hirondelle ne fait pas le printemps. Un adage qui tombe d’ailleurs fort à propos dans le contexte de ce long hiver camerounais de 43 bonnes années. Mais deux hirondelles ? Trois ? Car, dans cette équation du septentrion à plusieurs inconnus, on ne saurait oublier ni minorer l’intervention sur Equinoxe télévision d’Aboubakar Ousmane Mey.
Le front du septentrion en ordre de bataille…
Dès 2020, nous attirions déjà l’attention de tous sur les mutations en cours dans cette partie du pays et pointions les signaux de plus en plus visibles d’un éveil que nous disions irréversible (« Fronde au sein de l’UNDP et boycott des régionales du 6 décembre 2020 au Cameroun: ne pas banaliser une fragmentation en voie de métastase », https://demainlafrik.blog4ever.com, 19 sept. 2020). Autiste à son habitude, le pouvoir de Yaoundé n’y avait pas prêté la moindre attention, engoncé dans ses certitudes. Ce qui se passait pourtant dans le Mayo-Rey était à l’image des évolutions dans l’ensemble du grand nord du pays. Les avertissements de Guibaï Gatama, le promoteur de l’opération « 10 millions de Nordistes » n’ont pas non plus suffi à sortir le régime de ses certitudes rances. Le passage d’Aboubakar Ousmane Mey sur Equinoxe télévision peut à juste titre être analysé comme l’indicateur d’un mûrissement continu.
Ce passage clôt en effet une étape clef du lent déplacement de la plaque tectonique septentrionale. Il met au-devant de la scène et dans une posture de rupture radicale une personnalité dont la famille, au cœur du pouvoir depuis toujours, y est encore valablement représentée. Son père est resté fidèle à M. Paul Biya jusqu’au bout ; son frère est encore ministre de l'Économie, de la Planification et de l'Aménagement du territoire, un portefeuille difficilement considérable comme secondaire dans le gouvernement actuel. On est donc bel et bien au cœur de l’effritement du socle d’appui interne au régime dans le septentrion. Il inscrit dans une rationalité unique l’ensemble des déplacements tactiques que l’on observe dans le septentrion et met sérieusement en doute la possibilité qu’il puisse s’agir d’une concomitance de faits isolés et disparates. Le grand nord est prêt à pousser M. Paul Biya hors du fauteuil présidentiel et, au besoin, à le récupérer, affirme calmement M. Aboubakar Ousmane Mey. Il y a donc désormais, face au pouvoir en place, au moins deux fronts : le front MRC qui ne se revendique d’aucun point cardinal, et le front du grand nord qui s’assume comme tel, sans pour autant vouloir s’enfermer dans cette logique cardinale. Pris entre deux feux, et en attendant pire, comment le pouvoir compte-t-il se sortir de cette évidente impasse ?
Et si se produisait une convergence des fronts…
L’histoire ne se répète pas toujours à l’identique. En mars 1992, les partis d’opposition à Paul Biya raflent la majorité des sièges à l’Assemblée nationale : 92 députés sur 180. Avec sa majorité relative de 88 sièges, le RDPC réussit pourtant à fragmenter l’opposition et rallier deux de ses partis pour se constituer une majorité de gouvernement au Parlement. Ouf ! Cette alliance scellée in extrémis (sur le déficit stratégique de ses adversaires) est utilisée la même année pour imposer la filouterie de la présidentielle du 11 octobre aux dépens du SDF de Ni John Fru Ndi. Un coup double qui ouvre un boulevard pour 33 ans de pouvoir marginalement partagé du RDPC. Un pouvoir progressivement excessif, exubérant, arrogant, violent, prédateur, de plus en plus boulimique, vorace (voire les lignes 94 et 65 du budget de l’Etat), dénué de tout scrupule, incapable de se remettre en question. Un pouvoir qui relègue peu à peu ses cautions d’hier aux rangs de pierres de touche, d’alibis de diversité : ministère du tourisme (!), ou de l’emploi et de la formation professionnelle, ou encore de la jeunesse et de l’éducation civique ; secrétariats d’Etats invisibles, et quelques autres strapontins. Le passage de Marafat Amidou Yaya au Secrétariat Général de la Présidence de la République, soldé par une sortie calamiteuse ; l’impression mal vécue d’un acharnement judiciaire ingrat contre les fils du Grand Nord (les cas Iya Mohamed et Amadou Vamoulké sont symboliques à ce sujet), tout cela n’a guère contribué à lustrer le tableau. A l’heure du bilan global, les élites du Grand Nord s’estiment cocues plusieurs fois plutôt qu’une. Sont-elles prêtes à prendre le risque d’un nouveau contrat avec le pouvoir de Yaoundé pour un bail non limité à Etoudi ? Le projet d’institution d’un poste de vice-président de la République au lendemain d’octobre 2025 est un présage éloquent à ce sujet. Et si d’aventure elles l’étaient, les masses les suivraient-elles ?
Il y a 33 ans, les populations du Grand Nord étaient encore, dans une certaine mesure, ce que beaucoup de sudistes n’hésitaient pas alors à considérer comme « des moutons » et à le dire. Si la métaphore était particulièrement mal choisie pour désigner les habitants de la région la plus spécialisée dans l’élevage y compris des ovins, elle traduisait bien la réalité d’un embrigadement des masses sous le contrôle des hégémonies traditionnalistes et modernistes à qui celles-ci obéissaient au doigt et à l’œil. Trois décennies plus tard, les populations du Grand Nord du Cameroun ne sont plus véritablement les moutons de personne : ni des lamibé, ni des élites politiques et d’affaires. La scolarisation, lente et difficile de la région, est passée par là et a fait entrer sur la scène une jeunesse plus éduquée mais en proie au chômage comme sur l’ensemble du pays. Cette jeunesse septentrionale, on l’oublie souvent, est plus connectée qu’on ne le croit avec celle des pays du Grand Sahel qu’elle considère comme un modèle à suivre. Ce sont donc ces populations qui, de plus en plus, entendent mener le jeu et dicter aux élites la conduite à tenir pour rester en phase avec le peuple. A quoi peut-on donc s’attendre dans la configuration actuelle ?
En politique, dit-on, tout est possible, y compris l’impensable, l’inimaginable. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, Issa Tchiroma Bakary comme Bouba Bello Maïgara peuvent toujours, à la dernière minute, se laisser convaincre et rouler une fois de plus pour le pouvoir en place. Mais chaque acte posé emporte des conséquences qu’il faut ensuite assumer.
Les décisions prises au lendemain du 11 octobre 1992, les calculs et les positionnements des uns et des autres ont eu une conséquence majeure qui a entrainé une multitude d’autres conséquences secondaires et désastreuses pour l’ensemble du pays. Elles ont permis à Paul Biya de rester 33 années de plus au pouvoir. Ce bail supplémentaire de plus de trois décennies en lui-même était déjà une catastrophe. Une anecdote. Le Cardinal de la Curie romaine qui vient au Cameroun en 1985 préparer la visite de Jean-Paul II retourne à Rome et confie au chef d’agence de Cameroon Airlines dans la capitale italienne (personnalité qu’il fréquente amicalement) que si le nouveau président camerounais gouvernait le pays dix années, celui-ci aurait pour le moins 50 années de retard à rattraper. En 1992, Paul Biya en était exactement à dix années de pouvoir ! Les magouilles politiciennes de l’époque lui permirent alors d’y ajouter plus de 30 autres années. Le Cameroun était déjà au bord de la falaise ; on venait de décider qu’il lui fallait faire un grand pas en avant ! Ce bail trentenaire a débouché sur la crise puis la guerre du NOSO. Chacun peut en faire le bilan. Il a également accouché des émeutes de 2008 et leur bilan est encore à faire. Et sur tout le reste…
Cette année 2025, l’occasion est à nouveau donnée aux politiciens camerounais de l’opposition de choisir. Ils ont désormais à choisir entre un Faure Gnassingbé camerounais, et une véritable alternative au pouvoir néocolonial en place depuis les « indépendances ». Faure Gnassingbé est au pouvoir depuis 2005, indéboulonnable malgré les tentatives de l’opposition togolaise. Il a reproduit le régime de son père, en plus fin, pour perpétuer sur le Togo le règne d’une dynastie. Au Gabon, pour se défaire d’une autre dynastie, celle des Bongo, il a fallu aux Gabonais en passer par un coup d’Etat. L’élite politique camerounaise sera-t-elle capable, cette fois-ci, de transcender ses petits calculs, ses petites chapelles et clochers, pour élever le débat au-dessus des régionalismes, le porter au niveau de la nation, et mettre ainsi en place l’infrastructure nécessaire à l’alternance politique véritable par la voie des urnes ? Ce moment-là, le cas échéant, pourrait devenir fondateur pour le nouveau Cameroun que le peuple du changement appelle de tous ses vœux.
Roger KAFFO FOKOU, écrivain
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